• Spètin

     

    Assis dans le noir, Spètin regardait par la fenêtre, observant une chambre maintenant aussi sombre que l’extérieur. Où qu’il posât les yeux, il ne voyait que les ténèbres car les lampes avaient toutes éclatées dans ces bas quartiers et si les animaux et les loubards se disputaient la nuit, personne n’arrivait à casser l’étau ébène. Les étoiles auraient pu le faire si seulement la pollution n’avait pas couvert la voûte céleste de son brouillard amer.

    Il soupira et effleura la vitre gelée. Ses longs doigts blafards retracèrent un mot alors que ses ongles démesurés raclaient le verre dans un bruit stressant.

     

     

    Pierre Jan Claes se réveilla en sursaut. Il alluma la lumière en tirant sur une cordelette et serra ses couvertures sur lui. Extirpé de ses songes, il se rappelait le gel qui courait en ce début de décembre, d’autant plus cuisant lorsqu’on vivait dans une maison aux murs si fins. Il se redressa dans son lit et s’empressa de tirer les épaisses tentures pour garder un peu de chaleur.

    Pourquoi ne l’avait-il pas fait plus tôt ? Il savait pourtant que sans cela, il jouait à pile ou face pour savoir s’il finirait congelé…

    Sachant qu’il ne trouverait pas immédiatement le sommeil, Pierre enfila ses pantoufles et sortit de sa chambre, arrivant directement dans la cuisine. Comme tous les jours, son père s’était endormi, une bouteille d’alcool à la main. Le carrelage gelé était à nouveau couvert de liquide poisseux mais l’adolescent passa à côté de son géniteur sans rien faire. Il avait fini par apprendre qu’il valait mieux oublier : trop de risques de se prendre des coups. Il se contenta alors de se préparer une tasse de lait chaud et retourna se réfugier dans sa chambre, étendant la crasse dans les autres pièces. Il ramasserait demain cette vaisselle sale. De toute façon, c’était lui qui faisait le ménage.

    Pierre sirota le nectar, juste tiède, et regarda vers les tentures qui lui cachaient encore le monde affreux. Pour l’instant, il n’entendait pas les klaxons, ni les sirènes ou les insultes… C’était une bonne nuit.

    Il termina rapidement sa boisson, posa le mug sur sa table de chevet, éteignit et se roula en boule sous ses couvertures pour se plonger à nouveau dans le doux cocon de ses rêves. Morphée l’enserra très vite dans ses bras, comme chaque jour. Son visage d’abord impassible se tordit bientôt, balayé par les cauchemars, le rappel à cette vie qu’il espérait chasser à chaque fois qu’il fermait les yeux dans son lit. Mais ils ne perdurèrent pas. Ses traits s’étaient à peine chagrinés qu’ils se détendirent et s’apaisèrent signe qu’il demeurerait jusqu’au matin dans un sommeil que même le juste n’avait pas.

     

    La mallette en travers de son épaule, Pierre ferma la porte. Il leva le regard vers l’Est, là où se situait son école. Comme chaque matin, il se demandait s’il ne devrait pas sécher, se trouver un travail et fuir cette maison où un père alcoolique les embourbait dans les dettes chaque jour un peu plus. Mais comme chaque matin, il enfonçait ses mains dans ses poches et partait vers l’établissement scolaire. Avoir un diplôme était la seule option qu’il lui restait s’il voulait avoir assez d’argent pour le sortir de ce cycle vicieux.

    Oui, il comprenait son père. Lui aussi il avait été dévasté, lorsque sa mère s’était noyée dans la Meuse par une après-midi aussi glaciale qu’aujourd’hui. Mais lui, il n’avait jamais pu sombrer dans l’étau chéri d’une dépression aussi petite soit-elle. Il avait dû supporter son père, tenir la maison. Survivre. C’était ce qu’elle aurait voulu…

    Il soupira et traversa la chaussée glissante en jetant un rapide coup d’œil à droite et à gauche. Il n’était pas à la moitié de la route qu’il sentit une main sur son poignet et fut brusquement tiré en arrière. Il tomba violemment sur le passage clouté et sentit une douleur lui monter dans le fessier. Mais il n’eut pas le temps de crier sur le malotru qu’il vit une voiture de riche passer à toute vitesse devant lui. Il serra les dents, déçu de ne pas avoir pu cracher sur la carrosserie.

    Il soupira et se redressa en s’arrachant à l’étreinte gelée. Il avança jusqu’à atteindre le trottoir de l’autre côté puis pivota tout en regardant sa mallette maintenant imbibée de lait chocolaté.

    – Merci, lâcha-t-il enfin.

    – Ah. Je pensais que je n’aurais aucun merci, sourit son « sauveur ».

    Pierre haussa un sourcil et tendit la main.

    – Pierre Jan Claes…

    – Spètin. Je sais que ce n’est pas très poli, mais je ne préfère pas vous serrer la main…

    – Propagation des microbes ? s’enquit l’adolescent.

    Il remarquait que l’homme lui souriait à peine et que, lorsqu’il parlait, il essayait de ne pas trop ouvrir la bouche. Ses lèvres rouges chevauchaient toujours ses dents. Des lèvres rouges qui alarmaient Pierre sans qu’il ne sache pourquoi. Il fixait alors ce rempart d’ivoire, cherchant à desceller ce qui le frappait.

    – Ce n’est pas très poli de dévisager les gens comme ça. En plus, tu vas être en retard à l’école, non ?

    – J’espère que vous n’allez pas me proposer des bonbons, lança Pierre en se détournant.

    Il partit d’un pas rapide, évitant les plaques de verglas avec une expertise qui fit sourire Spètin. Il regarda cette silhouette s’éloigner puis observa sa main blafarde aux ongles noirs. L’un d’eux luisait. Luisait de sang…

     

     

    Pierre se frotta le poignet lorsqu’il arriva devant son école. Il réalisait à présent qu’il lui démangeait. Il remarqua la griffure presque féline qui s’étendait sur sa peau. Étrange, lui qui n’avait jamais pu avoir de chat malgré l’envie. Avant sa mère avait peur de ces petites boules de poil, maintenant ils n’avaient plus l’argent et quand on vivait dans des quartiers comme le sien, on savait bien qu’il fallait mieux éviter de faire ami-ami avec les chats errants.

    – Eyh ! lança une voix.

    Pierre serra les dents. Damien, appuyé contre la Mustang rouge qui avait manqué de le renverser. Cet homme de dix-neuf ans qui avait doublé à maintes reprises et qui s’en amusait. Il était toujours entouré de toute une bande de garçons et de filles qui voulaient profiter de sa voiture ou de sa richesse et lui, réfractaire à tout cela, subissait les brimades d’un coq écœuré de ne pas avoir toutes les poules désirées dans sa basse-cour.

    Il s’éloigna au maximum pour le contourner mais deux de ses camarades se jetèrent sur lui, le saisirent par les poignets et laissèrent Damien s’approcher. Celui-ci sourit, lui faucha les jambes pour le faire tomber et lui enfonça la tête dans la neige gelée. Le bouc-émissaire frissonna mais contint son dégoût et son amertume. Il les laissa l’embêter, lui tirer les cheveux comme s’ils n’étaient que des enfants, lui enfoncer leurs pieds dans les flancs et les écraser sur ses mains. Il ne bougea que lorsque l’air commença à lui manquer. Là, il se dégagea rudement, se redressa, envoya son pied dans les testicules d’un des garçons et cracha au visage de Damien.

    Telle une anguille, il s’enfuit et glissa entre leurs mains pour courir jusqu’aux toilettes sous le préau. Le jeune adulte se frotta le visage et désigna la cachette de Pierre. Ses « amis » ricanèrent en se dirigeant vers le dernier repli de leur camarade.

    – Que se passe-t-il ? cria une voix rauque et grave.

    Damien tourna la tête et vit un individu malingre et grand d’au moins deux mètres. La peau blafarde et les lèvres rouges. Il ne put retenir une moue écœurée en voyant les longs ongles noirs et crasseux.

    – Qu’est-ce qu’t’veux ? cracha-t-il.

    – Est-ce Pierre que vous ennuyez ?

    – Pierre comment ? ricana le jeune adulte.

    L’inconnu s’avança jusqu’à lui et sourit tranquillement. Mais ses dents étaient effilées, trente-deux petites armes inquiétantes, blanches comme la neige qui tombait du ciel, mais qui étaient pourtant rouges sur la pointe.

    – Mec… C’est bientôt Noël, pas Halloween, se moqua Damien en se détournant.

    – On l’a ! cria un des garçons.

    – Attention Damien Dubois…

    L’homme haussa un sourcil et lui fit un doigt d’honneur avant de partir d’un pas calculé vers sa victime.

     

     

    Damien se coucha dans son lit après avoir renvoyé une de ses multiples conquêtes. Il alluma la télévision et chercha la chaîne pornographique, un sourire aux lèvres. Il pourrait s’en vanter auprès des petits de quinze ans qui l’entouraient. Lui qui n’était qu’un raté et n’avait que l’argent de ses parents pour lui avait la sensation d’être un dieu au milieu de tous ces adolescents appâtés par ses possessions…

    Il se sentait puissant.

    Il sourit en voyant les seins de l’une des actrices mais sursauta lorsque la fenêtre claqua violemment contre le mur. Il se redressa immédiatement et se dirigea vers les vitres pour les refermer. C’est alors qu’il réalisa que la poignée était disloquée, les carreaux brisés.

    – Il a deux yeux grands et perçants. Une grande bouche, de grosses dents, chuchota une voix d’outre-tombe.

    – Qui est là ?! ‘Pa ?!

    Il sentit une douleur vive dans son oreille et hurla en voyant un crochet noir qui partait de son lobe jusqu’à la fenêtre. Il essaya de se débattre mais était attiré toujours vers le vide et, il n’en doutait pas, la chute de six mètres qui allait suivre.

    Il était tout contre le rebord lorsqu’un visage surgit devant le sien. Il s’époumona en cri alors qu’un souffle passait sur sa peau, l’engourdissant. De grands yeux d’argent penchés sur lui, un sourire digne de la Mort elle-même et le froid le plus mordant qu’il n’avait jamais senti…

     

     

    Recroquevillé dans son lit, Pierre ressassait les persécutions : la tête enfoncée dans les toilettes ; les coups toujours plus rudes ; déchirer ses devoirs pour qu’il ne puisse pas les rendre ; les crachats qui lui avaient été rendus et la brûlure de cigarette qui ornait maintenant le creux de chacun de ses bras, lui rappelant la douleur dès qu’il les pliait. Depuis trois mois de brimades continues, il pleura pour la première fois.

    Il leva son regard brun sur le lapin en peluche qui avait appartenu à sa mère et dont les poils blancs étaient si doux. Il n’avait pas la force de tendre la main pour l’attraper et le serrer contre son cœur meurtri.

    Mais, comme il pensait qu’il désirait ce câlin fictif, il vit la peluche avancer vers lui. Il s’en saisit et la pressa contre son torse. Il redressa la tête et aperçut cet homme si grand, si étrange… Celui qui lui avait sauvé la vie ce matin. En cet instant, pour la première fois, il se demandait pourquoi il n’avait pas été écrasé ? Cette question lui semblait bien plus importante que le simple fait qu’un inconnu se tenait dans sa chambre alors qu’il n’aurait pas dû être là.

    – Si vous êtes un assassin, faites vite. Si vous êtes un pédophile, je suis pas trop âgé pour vous ? Si vous êtes un violeur, vous ne pouvez pas m’assassiner d’abord ?

    Spètin s’approcha de lui. Son souffle glacé vint sur les joues de Pierre qui rougirent sous l’agression. Il se cacha derrière son lapin, oubliant ses quinze années.

    – Lorsque tu avais deux ans, tu as commencé à chanter une chanson…

    Pierre leva un œil vers lui. Lui demandait-il vraiment de se souvenir de quelque chose d’aussi lointain ?!

    Un frisson le parcourut. Comment pouvait-il en être seulement au courant ? Ou n’était-ce que des déductions stupides ? Tout enfant ne chantait-il pas des paroles abracadabrantes qu’il finissait par oublier même si elles avaient du sens pour lui ?

    – Qu’étaient-elles ? questionna-t-il en se redressant.

    Il sentit la douleur le lancer mais l’ignora aussi bien que possible.

    – Connaissez-vous Croque-Mitaine ? Miton, miton, mitaine. Il a deux yeux grands et perçants. Une grande bouche, de grosses dents.

    Cette chanson fit l’effet d’un fouet à Pierre. Il ne l’avait plus chantée depuis trois ans, il avait essayé de l’oublier.

    Spètin s’assit à côté de lui et étendit la main. Les yeux du garçon s’écarquillèrent en apercevant ces crochets noirs. Surtout qu’ils fondirent vers lui ! Il ferma les paupières à se les fendre mais ne ressentit rien… Lorsqu’il osa affronter le danger à nouveau, il vit des brumes sombres accrochées à ces griffes. Et dans ces brumes, tous les soucis qu’on lui avait causés durant la journée, tout ce qui le travaillait et le torturait sans cesse.

    – Qu’est-ce… ?

    – Des cauchemars… Je les retire. Je les retire depuis trois ans… Lorsque tu as arrêté de me chasser avec ta chanson et que j’ai enfin pu t’approcher…

    – Ma mère m’a appris cette chanson pour chasser le Croque-Mitaine…

    L’homme s’inclina.

    – Pour te servir, sourit-il.

    Pierre s’horrifia de voir ces dents pointues rehaussées de sang. Il se recroquevilla dans son lit et enfonça son visage dans son lapin.

    – Pour me servir ? Pourquoi moi ?!

    Nouveau sourire inquiétant.

    – L’amour ne se commande pas. Ça arrive à tout le monde...

    – Tu es le Croque-Mitaine ! protesta Pierre.

    La créature lui prit la main et la posa sur sa poitrine. Qu’il était gelé ! Ses fins doigts étaient également de glace… Le jeune homme frissonna, gagné par ce linceul d’hiver. Mais là, sous sa peau qui s’engourdissait, il sentait un cœur qui battait.

    – J’ai un cœur. Si j’ai un cœur, pourquoi ne puis-je pas tomber amoureux ? D’une voix parmi tant d’autres qui me chasse dans la pénombre. D’un enfant parmi tant d’autres qui veille à ce que jamais ses mitaines ne soient croquées. Je suis dans tous les placards, dans toutes les caves, sous tous les lits… Pourquoi, une fois de temps en temps, je ne peux offrir mon cœur ?

    Pierre était désarçonné. Incapable de parler. Il battait des paupières et dévisageait en même temps cette créature d’horreur : longues jambes trop fines, doigts de sorcière, dents de vampire, yeux de loup-garou, cheveux noirs, peau blafarde. L’incarnation de toutes les peurs.

    Croque-Mitaine.

    – Pourquoi tu ne peux offrir ton cœur ? demanda Pierre.

    Les lèvres rouges s’étirèrent en un sourire à la fois doux et moqueur, séducteur et horrible.

    – Le Croque-Mitaine n’a pas de vie, n’a pas de mort. Il ne dort jamais, il guette toujours. L’obscurité est sa maison, la souffrance sa raison d’être. Il est les yeux de l’effroi, la main qui se ferme sur les membres qui ne sont pas dans leurs lits, celui qui se jette sur ceux qui ne sont pas sages. Il n’a pas de répit, pas d’appétit, pas d’apaisement. Qui voudrait le suivre ? Qui voudrait l’aimer ?

    Le garçon le dévisagea à nouveau. Qui pouvait sentir le cœur sous la cage thoracique squelettique ? Qui pouvait voir les sentiments sous les actes de mort ? Qui pouvait comprendre la douleur dans une routine sans fin ?

    Non… Qui n’avait rien à perdre à aimer le monstre de tous les monstres ?

    Il se redressa, le lapin dans les bras, pressé contre son cœur. Il posa ses doigts sur une des joues de la créature et vit toute son horreur, toute sa beauté. Ses lèvres se posèrent contre les siennes. Les bras enlacèrent son corps, le resserrant, le rapprochant de ce torse malingre.

    Qui l’attendait ? Qu’avait-il à perdre ?

    – Est-ce ta réponse, Pierre Jan Claes ?

    L’adolescent l’embrassa une nouvelle fois, avec plus de vigueur, plus de sentiments, un bras se serrant autour de ses épaules même si le lapin restait entre eux.

    – Mironton, mirontaine, prends l’arme de ce héros ; puis, en vrai Croque-mitaine, tu feras peur aux marmots, chantonna Spètin.

    Pierre se blottit contre lui. Contre la seule personne qui lui donnait l’impression d’être aimé depuis que sa mère était morte dans la rivière. Suicide, meurtre, accident ? Il ne l’avait jamais su. Sa mère le détestait-elle ? Il pouvait chasser ces questions, chasser ses cauchemars… parce qu’on l’aimait et qu’il avait offert son éternité au dévoreur de membres, au monstre du placard, à ce qui se terrait dans le noir…

    Au Croque-Mitaine !

     

     

    Entendez-vous dans la plaine
    Ce bruit venant jusqu’à nous ?
    On dirait un bruit de chaîne
    Se traînant sur les cailloux


    C’est le grand Lustrukru qui passe
    Qui repasse et s’en ira
    Emportant dans sa besace
    Tous les petits gars
    Qui ne dorment pas


    Lon lon la, lon lon la
    Lon lon la lire la lon la


    Quelle est cette voix démente
    Qui traverse nos volets ?
    Non ce n’est pas la tourmente
    Qui joue avec les galets
    C’est le grand Lustrukru qui gronde
    Qui gronde et bientôt rira
    En ramassant à la ronde
    Tous les petits gars
    Qui ne dorment pas


    Lon lon la, lon lon la
    Lon lon la lire la lon la

     

    Qui donc gémit de la sorte
    Dans l’enclos, tout près d’ici ?
    Faudra-t-il donc que je sorte
    Pour voir qui soupire ainsi ?

    C’est le grand Lustukru qui pleure
    Il a faim et mangera
    Crus, tout vifs, sans pain ni beurre
    Tous les petits gars
    Qui ne dorment pas


    Lon lon la, lon lon la
    Lon lon la lire la lon la

     

    Qui voulez-vous que je mette
    Dans le sac au vilain vieux ?
    Mon Dorik et ma Jeannette
    Viennent de fermer les yeux

     

    Allez-vous en méchant homme
    Quérir ailleurs vos repas !
    Puisqu’ils font leur petit somme
    Non vous n’aurez pas
    Mes deux petits gars


    Lon lon la, lon lon la
    Lon lon la lire la lon la

     

    Les jambes balançant dans le vide, Pier Jan Claes observait la voûte céleste emplie d’étoiles. Sa voix portait, loin du tohu-bohu de la ville, des klaxons des voitures, du cri des gens, des disputes et de la musique…

    Il sauta sur le sol lorsque le clocher résonna douze fois. Il marcha dans les herbes vertes qui se raidirent et se teintèrent de blanc. Une démarche de fée, une allure fantasque, des cheveux d’or et des yeux marron mais le sourire du Froid, de la Mort…

    Pier Jan Claes souffla sur la fenêtre d’un enfant et le bois craquela. Il le poussa puis enjamba l’appui de fenêtre. Il s’avança jusqu’au lit où était recroquevillée une fillette, les yeux grands ouverts, la peau blême. Elle croisa son regard, vit son sourire ainsi que la peluche qu’il tenait à sa main.

    – Est-ce que tu viens ? demanda-t-il.

    – Venir où ?

    – Ailleurs. Là où tu n’auras plus mal.

    Elle se redressa dans ses draps roses, voulut prendre sa poupée mais sentit une main sur la sienne. Ses doigts furent guidés vers le lapin dont elle se saisit en souriant. Pier Jan Claes l’emmena à l’extérieur et marcha dans la plaine qui se givrait.

    Ils marchèrent quelques pas, jusqu’à arriver dans un rond de champignon que la fillette traversa sans le remarquer. Son petit corps se transforma en fumerolles et en lucioles qui dansèrent, ajoutant des étoiles dans les constellations.

    La main de Pier Jan Claes se resserra sur sa peluche et il leva les yeux pour sentir une goutte d’eau qui s’écrasa sur son visage et roula sur sa joue.

    Des bras s’enroulèrent autour de son corps devenu maigre. Il renversa la tête en arrière et sourit. La pluie tomba, venue de nulle part mais les enserrant dans un étau humide et glacé qui était devenu leur pain quotidien.

    Mais ils se sourirent et leurs lèvres se scellèrent. Qu’importe pour les idées noires de tous les jours, pour les craintes enfouies, pour les maîtres incontestés du monde.

     

    Qui avait dit que le Croque-Mitaine n’aurait jamais de répit ?

     


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