• Bonus : Destins croisés

    Destins croisés

     

                Assis dans son trône, le Dieu Odin buvait à sa corne à vin. Son œil unique était rivé vers un point que lui seul voyait alors que les deux loups à ses pieds, l’un blanc et l’autre noir, entouraient un garçon. Ils avaient beau être plus grand que cet adolescent à peine sorti de l’enfance ils mangeaient sagement la pitance qu’il leur présentait depuis un immense saladier de bois.

    - Nous allons recevoir de la visite, informa l’homme.

                Il se leva sans écraser la jeune personne et se dirigea vers la porte.

    - Thierry ! ordonna-t-il.

    - Oui.

                Il se leva et posa le panier entre les deux canidés qui se jetèrent immédiatement dessus. L’adolescent trottina pour rejoindre le Dieu.

    - Nous recevons une très grande dame, annonça-t-il.

                Thierry observa rapidement l’homme qui était effroyablement grand et puissant. Il mesurait près de deux mètres et n’était que muscle, difficilement tenus dans des vêtements bleus surmontés d’une armure en cuir. Une hache et une épée reposaient à sa ceinture à côté de la corne à vin qu’il avait réinstallé.

    - Vous êtes parfait, Dieu des Dieux, assura-t-il.

    - Bien.

                Son œil unique et perçant se perdit sur l’enfant. Il portait une braie un peu grande et était toujours vêtu d’une écharpe blanche et de mitaines noires mais il était présentable. De plus, même si ses bras étaient malingres, et que ses taches de rousseur trahissaient sa jeunesse, il y portait des hématomes. Triste constatation mais valeur plus que sûre ici, au Walhalla.

    - Libère le passage, ordonna l’homme.

    - Oui, Dieu des Dieux !

                Il courut vers la porte, dont l’encadrement était fait de lances, et entreprit de déblayer l’ouverture. Elle était bouchée par un amoncellement plus que conséquent de vivres en tout genre : volailles rôties, porc ou bœuf séché, fruits et légumes divers et variés, vins et eau mais aussi un peu de fromages ou quelques pâtisseries qui embaumaient l’entrée. Il n’était pas habitué à cette tâche, ne prenant usuellement que de petites quantités à la fois pour nourrir les deux loups.

                Il réussit toutefois à libérer un passage qui était bordé par une montagne de nourriture. L’adolescent s’assura qu’elle ne risquait pas de s’effondrer puis se hâta de revenir au côté d’Odin qui n’avait pas bougé et observait l’entrée sans un mot, les doigts serrés sur le manche de sa hache.

                Thierry se mit aussi droit que possible, tentant d’avoir l’air aussi fier et imposant que son Maître mais il savait pertinemment qu’il n’en était rien. Ça revenait à comparer une brindille avec un mur…

                Derrière eux, les loups se disputaient, probablement pour un dernier morceau de viande, et se grognaient dessus. Même s’il était habitué à ce bruit de fond, n’entendre que ça perturba le garçon. Sans doute à cause du sérieux du Dieu…

    - Le moment arrive.

                Il venait de finir ce mot qu’une jeune fille apparut. Elle ne devait pas avoir plus de dix ans et sa robe verte flottait joyeusement autour d’elle tandis qu’elle courrait. Ses cheveux d’ambres retombaient doucement sur son corps alors qu’elle affichait un sourire radieux.

                Thierry ne pouvait que battre des paupières en observant cette incongrue demoiselle.

                Il n’avait encore jamais vu Odin faire la moindre courbette de cinq cent années de services, même lorsqu’il s’adressait à Freyja Maîtresse du Fólkvangr et autre puissante entité d’Asgard… Et pourtant, là, il agissait avec une enfant comme si elle était le Messie elle-même.

    - Dia duit !

    - Bonjour, oui. Sommes-nous déjà le moment de l’affrontement sur vos terres ?

    - Oui. Contre qui nous battrons nous cette fois-ci ? demanda la jeune fille.

                Odin tourna la tête vers Thierry qui écarquilla les yeux et se retint de faire un pas de côté. Il n’y pensait pas… si ?

    - Ce sera lui, dit Odin en posant sa main dans les cheveux châtains ternes de l’adolescent.

                Si… Il y pensait.

                Un affrontement ? Il aidait régulièrement un ami guerrier, Simen, à se préparer et n’était même pas capable de porter ses armes… Tout ce qu’il était bon à faire c’était préparer les éléments les moins important du repas, récurer le palais et nourrir les animaux. On ne pouvait pas attendre de lui qu’il se batte contre qui que ce soit.

    - Qui est-ce ?

    - C’est mon thrall, Thierry Evrard.

                Le garçon s’inclina, nerveux.

    - Il a soigné Munin de son vivant et je l’ai récupéré lorsqu’il est mort un soir de Noël.

    - Mort un soir de Noël ? C’est amusant ! Notre champion est né à Noël ! Ils étaient faits pour s’affronter ! sautilla-t-elle. Il vous reste une heure pour vous préparer, ça ira ? demanda-t-elle joyeusement.

    - Ça ira. Les règles sont inchangées ?

    - Inchangées, certifia la jeune fille. Slán, souffla-t-elle d’une voix enchanteresse.

                Elle attrapa les pans de sa robe et fit une référence en souriant. Elle s’en retourna et virevolta. Le tissu dansa autour d’elle et libéra des pétales et des plumes. Plus elle tournoyait, plus il y en avait. Et il y en eut tant qu’ils la recouvrirent. Lorsqu’ils retombèrent, il n’y avait plus rien.

    - Qu… Qui était-ce ? murmura Thierry.

    - La jeunesse de Dânaan Déesse-Mère. Elle gouverne Mag Mor, les terres celtiques et elle a l’arrogance de vouloir régulièrement m’affronter parce que, jadis, à présent ou dans le futur nous régnerons en partie sur des régions qui lui appartiennent.

                L’homme repartit vers son trône et le garçon trottina derrière lui. Il comprenait bien « jadis, à présent ou dans le futur » puisque le Walhalla était hors du temps et qu’un simple tour de magie pouvait permettre de voyager de l’antiquité à l’an six mille. Mais il comprenait mal cette histoire d’affrontement. Toutes les terres avaient un jour ou l’autre appartenu à un autre Dieu. S’ils devaient se battre contre toute entité ayant un jour frôlé leur culture, ça ne cesserait jamais !

                Et puis c’était la première fois qu’il en avait entendu en cinq cent ans… Pourtant, il était presque toujours avec Odin. Même avec tout le labeur qu’il devait effectuer ci et là pour qui avait besoin d’un peu d’aide…

    - Mag Mor est également hors du temps, expliqua le Dieu, voyant le trouble de Thierry. Eux aussi, vivent dans un Royaume où les morts sont leur seule source de discussion. Le temps s’écoule plus vite chez eux mais c’est toujours le printemps.

    - Alors que chez nous, la même journée se répète inlassablement mais nous jouons de temps en temps avec les saisons pour changer, s’’amusa Thierry.

    - Exactement. De ce fait, je la laisse venir me chercher quand elle estime qu’il s’est passé assez de temps.

    - D’accord…

                Le garçon ramassa le panier et caressa les loups.

    - Et pour cet affrontement, dites-moi…

    - Ah oui. Voilà comment ça va se passer…

     

     

    - Es-tu prêt ?

                La vieillarde venait de répéter cette question pour la septième fois en moins d’une minute s’il avait bien compté. Elle devait forcément le chercher à ce niveau-là.

    - Je ne suis pas encore prêt, je te le dirai quand je le serai, la vioque.

                Il lui dressa son majeur puis s’accroupit pour caresser un Setter irlandais de couleur noir aux yeux d’étain. La petite bête agita joyeusement la queue.

    - Nous te faisons confiance… Devoir te faire confiance à toi. La dernière fois, tu t’es révélé d’une inutilité aberrante ! cracha-t-elle.

    - Oui, oui, répondit-il.

    - Es-tu prêt, Nollaig O’Ceallaigh ?

                Le dénommé Nollaig se retint d’être énervé en tournant la tête vers une femme aux cheveux d’ambre qui s’avançait. Toute la Noblesse qui l’entourait astreignait le jeune homme au calme. Ça et le fait qu’il n’avait pas d’animosité pour elle à l’inverse de la vieillarde.

    - Presque.

                Il renifla et se tourna lorsqu’il perçut une odeur qu’il connaissait bien. C’est alors que, dans sa chevelure brune, deux petites oreilles animales remuèrent puis il courut vers la jeune Dânaan. Celle-ci tendit les bras vers lui et sourit lorsqu’elle fut soulevée dans les airs. Le chien trottina autour des jambes du jeune homme en poussant des aboiements. Elle essayait quelquefois d’attraper la queue d’animale touffue qui allait de pair avec les oreilles.

    - Demande-lui, toi, quand est-ce qu’il sera enfin prêt, maugréa la vieille.

    - Notre invité devrait bientôt arriver. Nous devons l’accueillir dans le terrain que nous avons apprêté, pressa la femme.

    - Oui, oui.

                Nollaig porta sa main à sa ceinture où une flûte argentée aux arabesques bleues scintillait.

    - Avec ça et Pátraí, on dirait que tout va bien.

                Le Setter aboya joyeusement à l’évocation de son nom.

    - Allons sur le lieu de l’affrontement, ordonna la vieille.

                Elle fit signe à Nollaig qui posa à regret la jeune fille. Celle-ci courut vers les deux autres femmes et prit la main de chacune. C’est alors qu’elles se fondirent l’une dans l’autre, sublimant les traits de la femme qui grandissait un peu tandis que les couleurs de leurs robes se mélangeaient.

                C’est alors qu’elle claqua des doigts. Un carrosse apparut telle une voiture de conte de fée, harnachée à deux beaux chevaux puissants à la robe beige et des fleurs dans leurs crinières.

    - Allons-y, décréta-t-elle en rentrant dans le fiacre.

     

     

                Odin descendit de son cheval gris à huit pattes et observa le labyrinthe de ronces qui s’étendait. On voyait une haute esplanade avec quelques sièges qui surplombait le tout à plus de cent mètres de haut. D’instinct, Thierry tendit la main pour attraper les rênes mais le Dieu secoua la tête.

    - Viens.

                Il contourna l’enchevêtrement d’épines et partit vers les escaliers des tribunes. Il jeta un regard par-dessus son épaule, manquant de donner un coup de nez à Munin, et vérifia que les loups les suivaient. Hugin poussa un cri sur sa seconde épaule et l’homme le caressa en souriant.

                Ils grimpèrent les marches pour survenir devant tous les sièges. Les animaux étaient si nombreux et si imposant que le plancher menaçait de craquer sous leurs poids mais un mouvement de Dânaan renforça le bois et du lierre poussa, s’insinuant un peu partout, caressant les jambes du garçon et les pattes des bêtes.

    - Vous êtes venus avec de biens étranges invités, sourit-elle.

    - Déesse-mère, mes invités arriveront bientôt. Ils ont déjà hâtes de vous voir perdre.

                Elle éclata de rire pour toute réponse puis observa Thierry. Celui-ci s’inclina bien bas, sans un mot. Lorsqu’il se redressa, il reçut des rênes en main juste avant que le Dieu ne s’éloigne pour rejoindre des hommes et des femmes qu’il salua avec vigueur et respect.

                Le garçon resserra sa main sur les courroies alors que la Déesse s’avançait vers lui, un sourire sur ses lèvres rouges.

    - Je vous ai déjà en quelque sorte rencontré. Je suis Dânaan et vous avez eu l’occasion de voir mon moi jeune.

                Le temps passait donc si vite sur Mag Mor ? S’il n’était pas déjà mort, il s’inquiéterait de ne pas pouvoir repartir auprès de son Maître.

    - Re-bonjour.

    - Vous êtes prêt ?

    - Oui, Madame…

                Il eut un geste de recul lorsque d’autres personnes arrivèrent. Petit à petit, les places étaient prises par des femmes gracieuses et des hommes forts. Odin revint vers l’enfant et lui posa la main sur l’épaule. Seules trois chaises n’étaient pas utilisées. L’une reviendrait à la Déesse-Mère, l’autre au Dieu des Dieux… Mais la dernière.

                L’Asgardien remarqua également cette place vacante puisqu’il posa la question qui occupait l’esprit de son thrall.

    - Pour qui est ce siège ?

    - Votre fils.

    - Thor est…

                L’homme se figea et regarda la chaise d’apparat avec un rictus.

    - J’espère que vous ne comptez pas sur sa présence pour gagner.

    - Je ne suis pas aussi fourbe, répondit-elle.

                Elle leva la main et des petites fleurs s’envolèrent, flottant dans les airs et parfumant le vent.

                Un jeune homme grimpa de l’autre côté de l’estrade et s’avança. Thierry eut un frisson d’angoisse en voyant un chiot noir. Pourtant, il était au moins vingt fois plus petit que Freki avec qui il passait son temps.

                Il entendit des rires dans les Ases et Vanes alors qu’on applaudissait du côté des Gaéliques. Le garçon ne savait pas exactement comment réagir. Son adversaire semblait à peine sortit de l’adolescence mais son air ennuyé durcissait ses traits même si ses attributs d’animaux lui conférait un côté adorable… Lui n’avait de singularité que par une partie de ses cheveux teints en vert. Au moins, il ne se retrouvait pas face à un effroyable mastodonte qui l’aurait mis au tapis d’une pichenette.

    - Amies, amis, lança Dânaan. Voici le champion de notre hôte… Thierry Evrard, le thrall d’Odin.

                Thierry rougit lorsqu’il fut applaudit. Il regarda le chiot qui l’effrayait un peu moins à présent mais qui le laissait mal à l’aise malgré tout.

    - Et le nôtre, Nollaig O’Ceallaigh, mon émissaire.

                Les applaudissements furent plus importants et le semi-furet soupira.

    - Prenez place, chacun d’un côté du labyrinthe. Au signal, des gerbes de pétales, vous commencerez vos recherches. Le premier à ramener un Feldgeister a gagné, informa Dânaan.

                Thierry leva timidement la main. La Déesse fronça les sourcils mais lui offrit un doux sourire.

    - Qu’est-ce que c’est un Feldgeister ?

    - Vous le découvrirez. Il n’y a pas qu’un Feldgeister. Ramenez un Feldgeister, rien d’autre. Dans un souci de partialité, il y a tant des créatures scandinaves que celtes. Comme vous le savez, vous pouvez utiliser tout ce que vous avez emmené avec vous. Animaux, objet, magie. Et tout ce qui est avec vous dans le labyrinthe est considéré comme une arme. Vous ne pouvez pas demander de l’aide extérieure. Vous ne pouvez pas quitter le labyrinthe avant la fin du temps imparti. Ça équivaut à six heures de notre temps. Allez vous installer ! ordonna-t-elle.

                Thierry recula en serrant les rênes de Sleipnir mais remarqua que Nollaig lui tendait la main.

    - Bonne chance, lui sourit-il.

                Le thrall répondit à cette poignée de main.

    - M… Merci, vous aussi…

                Odin siffla et ses corbeaux s’envolèrent pour se poser sur les épaules de Thierry qui tira sur les rênes de Sleipnir. Les loups trottinèrent à leur suite. Il stressait à mesure qu’il avançait vers l’ouverture qui scintillait de mauve comme si elle l’invitait à rentrer. Il vérifia pour la centième fois qu’il avait sa dague et aussi la pierre gravée d’une rune qu’il portait toujours, ou presque, avec lui.

                Il s’arrêta devant l’ouverture.

    - Vous savez ce que c’est un Feldgeister ?

                Munin acquiesça.

    - Génial… Vous pourrez me prévenir… dit nerveusement Thierry.

     

     

                Nollaig franchit le mur de ronce qui se referma derrière lui. Il jeta un œil par-dessus son épaule puis prit son téléphone portable dans sa poche. Bien sûr, il n’avait ni du réseau, ni le wifi.

                Il ne savait pas plus que Thierry ce qu’était un Feldgeister. Et ce n’était ni un nom gaélique, ni anglais aussi, il ne savait pas le traduire pour trouver la moindre piste…

                Il posa le chien qui aboya joyeusement et se mit à sautiller, surexcité. Le jeune homme leva la tête et remarqua des pétales de fleurs colorées qui tombaient depuis le ciel.

    - Six heures, hein ? Je pense qu’elle a eu tort de se fier à moi, soupira-t-il doucement. Cherche Pátraí. Cherche ma chérie !

                Le chien aboya joyeusement et se mit à trottiner, bifurquant subitement et menant la marche en reniflant. Nollaig la suivit, les oreilles agitées. Il se concentrait sur le son que faisait le vent en se prenant dans les ronces, ou sur les lianes piquantes qui se brisaient, sur le bruit des créatures glissant d’un couloir à l’autre…

                Son nez aurait pu faire le travail du museau de Pátraí mais elle était si heureuse de le guider !

                Le canidé s’arrêta soudainement et fila se cacher derrière Nollaig, tremblant comme une feuille. Le semi-furet fronça les sourcils, dévoilant des dents aiguisées. Il s’avança lentement et découvrit des yeux jaunes, presque doré, dans l’enchevêtrement compact de ronces. Il se pencha sans crainte et découvrit une tête féline qui le fixait sans sourciller.

    - Ce n’est rien, Pátraí.

                Nollaig s’accroupit et récupéra le chien avant de se remettre en marche, passant à côté du félin comme s’il n’existait même pas. C’était la meilleure chose à faire dans une situation comme celle-ci. Il décrocha sa flûte et continua d’avancer.

                Quelquefois, Pátraí aboyait et fixait une direction précise ce qui poussait le semi-furet à s’y rendre. Et s’ils se perdaient ? Bah, il espérait bien que Dânaan ne le laisserait pas s’ennuyer éternellement dans des ronces où des mûrs ne poussaient même pas ! Il doutait de la forme vieille mais avait pleine confiance dans la plus jeune. Ça équilibrait les forces…

     

                Quelques heures plus tard, Nollaig portait de nombreuses traces de sangs sur le corps et sa respiration était un peu hachée. Il en avait plus qu’assez de tout cela, marre de se prendre des ronces en évitant des créatures et assez de s’en débarrasser à tour de bras ou de carrément les fuir.

                Dans ses bras, Pátraí avait même perdu sa gaieté et observait les environs d’un air paisible. Presqu’embêté… Ses oreilles étaient basses alors que sa queue remuait à peine.

                Un bruit alerta Nollaig qui tourna la tête. C’était un bruissement qu’il connaissait assez. Celui des feuilles de maïs séchées qu’on chiffonnait. Un son caractéristique qui ne lui était familier que parce qu’il était cuisinier et qu’il aimait travailler avec des produits frais et qu’il ne jetait presque rien.

                Il s’avança vers ce tumulte. Il ne connaissait aucune créature qui faisait des sons pareils. Peut-être appartenait-elle au folklore scandinave mais qui ne tentait rien, n’avait rien, n’est-ce pas ?

                Il tourna au détour d’une rangée de ronce et vit une créature composée d’un maïs enveloppé dans ses feuilles et surmontés de bras et jambes. Un visage était tracé sur ses grains et Nollaig croyait presque découvrir une parodie de manga.

                Il sourit et s’approcha. Habitué à la cuisine, il ne doutait pas que ce fut un adversaire qui ne devrait pas lui poser trop de problème. Mais d’un autre côté, il n’avait aucune raison de se battre contre ça.

                Pátraí aboya tandis que le semi-furet s’avançait vers l’étrange créature.

    - Tu es un Feldgeister, dis-moi ?

                La chose pencha tout son corps en avant puis se redressa et ce succinctement plusieurs fois.

                Un acquiescement ?

    - Tu viens avec moi ? sourit Nollaig en tendant les bras.

                Cette fois, le corps se pencha vivement de gauche à droite.

                Nollaig serra les dents. Il avait espéré que quelque chose de si mignon se laisse gentiment faire.

                À sa grande surprise, les grains de maïs se mirent à se mouvoir et s’éloignèrent petit à petit. Tant et si bien qu’ils prirent de l’ampleur, se multiplièrent et formèrent petit à petit une créature.

                Le semi-furet pâlit en se rendant compte de ce qu’il devenait. Une créature connue dans tout le Monde. Une créature que n’importe qui pourrait restituer. Crachant le feu et agitant des ailes… Bien sûr, le fait qu’elle était constituée de beau grain doré et que ses membranes étaient des feuilles de maïs la rendait comique. Pouvait-il voler avec ça ? S’il se soufflait dessus, ne créerait-il pas du pop-corn ?

                Un majestueux dragon.

                Pátraí aboya nerveusement alors que Nollaig reculait. Ses poils étaient tout hérissé. Il avait la nausée. Il sentit des épines lui rentrer dans le dos et se laissa tomber sur le sol, les yeux écarquillés. Le chien s’agitait mais le monstre de maïs continuait de se pencher vers lui.

                Le semi-furet se recula encore, comme s’il voulait rentrer dans la haie de ronce. Et malgré la douleur et le sang qui coulait de ses chairs, il était réellement capable de s’y fondre si ça lui permettait de fuir ce dragon.

     

     

    - Ah… On dirait que vous partez gagnant cette fois-ci, remarqua Dânaan.

    - Je m’en vois honoré, sourit Odin.

    - Pensez-vous vraiment que le freluquet qu’il a emmené pourrait battre un dragon ? questionna la Reine Medb.

    - Le vôtre n’y arrivera pas, visiblement, intervint Frigg.

                La Déesse-Mère eut un soupir.

    - Je ne suis pas sûre que leur champion ait la moindre chance. S’il ne ramène pas le Feldgeister, on ne peut pas leur accorder la victoire, certifia le Dieu Lug.

    - Ne vous inquiétez pas, répondit Odin. Il possède plus d’atout que vous ne pouvez le croire.

     

     

                Thierry leva des yeux écarquillés en voyant un gigantesque dragon sortir des ronces. Munin poussa un croassement et décolla pour partir vers ce monstre de maïs. Le jeune garçon ne savait pas ce qui le surprenait le plus : le départ du corbeau ou cette créature si particulière ?

                Il enroula son écharpe autour de lui afin qu’elle arrête de se prendre dans les épines et remarqua que le volatile stagnait dans les airs en poussant des cris à répétition. Une invitation ?

                Il regarda vers les animaux. Il devait rejoindre cet endroit au plus vite mais il ne pouvait pas quitter l’enceinte du labyrinthe. Il n’était même pas sûr de pouvoir le survoler, toutefois, ils n’avaient pas précisé un détail qu’il comptait utiliser à son avantage…

    - Freki, Geri, mangez ces ronces, s’il vous plaît.

                Les loups aboyèrent joyeusement et se jetèrent sur les épines qu’ils dévorèrent. Aucune goutte vermeille ne tombait et les bêtes se régalaient. Les arbrisseaux disparaissaient à une vitesse inquiétante. Rien ne pouvait arrêter les crocs enfiévrés. Il ne restait que quelques lierres épineux.

                Sleipnir donna un petit coup de boule au garçon avant de désigner la selle qu’il revêtait toujours. Thierry pinça les lèvres, leva le regard vers les tribunes dont il ne voyait qu’une faible partie. Il pouvait presque sentir le regard d’Odin brûler son corps mais les croassements de Munin lui rappelèrent sa mission.

    - Merci, dit-il en grimpant sur la monture.

                Le cheval se mit en route, écrasant les restes de buissons sous ses épais sabots. Il avançait lentement en suivant les loups mais évitait toute blessure inutile au thrall.

     

                Hugin décolla à son tour et, avec Munin, ils attaquèrent l’étrange créature de maïs. Thierry entendit un faible aboiement qu’il ne pouvait absolument pas identifier comme ceux de Freki ou Geri. Il remarqua alors Nollaig, recroquevillé dans les ronces, et sauta sur le sol.

    - Geri ! appela-t-il.

                Le loup blanc se jeta sur le lierre et déblaya la zone. Il venait à peine de finir que le garçon s’accroupit auprès du jeune homme. Dânaan avait l’air si sûre d’elle lorsqu’elle leur avait présenté Nollaig qu’il était surpris de le découvrir ainsi.

    - Ça ne va pas ?

    - Dr… Dragon… dit-il en désignant la créature d’un doigt tremblant.

                Le serviteur jeta un regard à la bête qui se faisait maintenant harceler de coup de becs ou de crocs. Mais les grains de maïs avaient beau tomber, le reptile se battait avec force et se reconstituait sans cesse.

    - Vous avez peur ?

                Un acquiescement lui répondit.

    - C’est… le Feldgeister… Moi, je ne peux pas, murmura-t-il.

    - Je ne peux pas plus… Pourquoi croyez-vous que Odin m’ait confié cinq animaux ? Et regardez… Ils se battent et je suis là avec vous, incapable de faire quoi que ce soit… Je comprends que vous ayez peur.

                Nollaig baissa légèrement les mains, ses yeux bleu profond scrutant l’adolescent embarrassé.

    - Je suis juste doué pour me faire des amis dans toute situation, rit nerveusement le serviteur. Je ne suis pas un héros et je ne suis même pas capable de faire quoique ce soit par moi-même et je dois toujours m’en remettre aux autres. … Enfin, c’est ce que dis une personne à qui je tiens beaucoup.

                Il se frotta le crâne, gêné.

    - Tu es…

                Nollaig tendit les bras et le serra contre lui.

    - Trop adorable !!

                Thierry eut un rire surpris. Il accepta l’étreinte mais s’éloigna tout de même, perturbé. Il remarqua que les oreilles animales s’agitaient.

    - Est-ce que vous avez une idée ? demanda le serviteur.

    - Euh… Pátraí ! Effraie-le, ordonna Nollaig.

                La chienne sauta sur le sol, elle aboya et le dragon s’arrêta un instant. Geri bondit sur la gorge du Feldgeister et arracha des grains qui s’effondrèrent au sol.

    - Continue comme ça.

                Nollaig se leva péniblement et posa sa main sur l’épaule de Thierry.

    - Toi… tu as quelque chose ?

                Il ferma les yeux en entendant un cri et sentit ses jambes flageoler. Sa queue fit balancier pour lui permettre de demeurer debout.

    - Hormis les créatures de mon Maître, j’ai ça…

                Thierry sortit une pierre blanche de sa bourse. Une rune y était inscrite et chatoyait.

    - Elle fait de la magie mais je ne sais jamais comment…

    - Toi aussi ? rit Nollaig.

                Il tira sa flûte et la porta à ses lèvres.

    - Alors mêlons deux magies dont nous ne connaissons pas les effets. Ça ne peut que faire mouche, s’amusa-t-il.

                Il souffla dans les trous et une mélodie commença à s’élever. Elle virevolta dans les cieux et se dessina en partition noire.

    - Polaris… murmura Thierry en portant la rune à ses lèvres.

                La pierre s’illumina, les notes prirent une teinte dorée. Elles roulèrent autour de la gorge de la créature alors que les animaux attaquaient maintenant les pattes. Les aboiements de Pátraí se mêlaient à la musique, poussant le dragon à l’immobilité.

                La musique dura deux minutes avant qu’elle n’explose. Le maïs vola en éclat. Les loups se précipitèrent dessus pour dévorer ce qu’ils pouvaient. La chienne courut à son tour pour ramasser deux grains qu’elle lui apporta en poussant du museau. Nollaig s’accroupit et les récupéra. Il en jeta une à Thierry en souriant.

    - Merci.

    - Merci à vous !

     

     

                Odin et Dânaan virent arriver leurs champions. Le labyrinthe avait disparu, ne laissant plus qu’une lande à perte de vue.

    - Nous savons déjà qui a gagné, annonça la Déesse-Mère. Je te reconnais bien là, Nollaig.

    - Et moi je reconnais bien mon lutin ! rit le Dieu des Dieux en fracassant sa main sur le crâne du garçon.

                Celui-ci rigola alors que les loups lui lavaient le visage joyeusement.

    - Vous nous offrez un magnifique match nul, sourit la femme.

    - Vous avez bien choisi votre champion, je vous félicite, dit Odin.

    - Je vous le rends aussi.

                Nollaig jeta le grain à la femme et s’approcha de Thierry pour le prendre dans ses bras en souriant.

    - On se reverra mon petit !

    - Je… J’ai hâte ! rit-il, surpris.


  • Commentaires

    1
    Mercredi 23 Mars 2016 à 21:27

    Encore une jolie petite tranche de vie de Thierry, j'adore le retrouver et voir comment il se fait à sa vie près d'Odin.

    Très heureuse également de retrouver Nollaig qui reste pareil à lui-même, heureux de rendre service et de laisser les gens qu'il apprécie avoir l'impression qu'ils sont importants.

    Une fin un peu rapide, mais j'ai hâte de les revoir ensemble également

      • Mercredi 23 Mars 2016 à 22:10

        Merciiiiiiiii >w< ! Je suis contente que ça plaise !
        Pour l'instant j'ai rien prévu entre Nollaig et Thierry mais mon petit doigt me dit que Nollaig adopterait volontiers Thierry alors qu'il n'en demordra pas ce furet !

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