• Chasse Macabre

    Chasse macabre

     

    La forêt était verdoyante et le bruit des oiseaux résonnait. Pourtant, alors que les écureuils grimpaient dans les faîtages, des loups, des sangliers et des renards se baladaient ci et là. Mais il n’y avait pas qu’eux. C’était peut-être le bruit des sabots, le son de la cravache ou l’odeur de la carabine chargée qui dérangeait la quiétude paresseuse de cette fin de dimanche particulièrement ensoleillée.

    Une magnifique journée pour abattre du gibier. Peut-être des biches ? Le chasseur espérait même trouver un faisan car ça faisait longtemps qu’il espérait en manger.

    Sa fidèle monture avançait dans le reposant calme partiel alors qu’il préparait son arme.

    Il avait repéré quelque chose.

    Il vit les ailes majestueuses d’un faisan et tira. La détonation se répercuta dans les arbres, tirant des hurlements de nombreux animaux, figés sur place, alors que les autres fuyaient.

    – Va au Diable ! siffla-t-il.

    Il releva son arme et la braqua une nouvelle fois sans trouver sa cible. Mais un vent glacé secouait ses cours cheveux bruns.

    – Le Diable ? Je peux vous offrir mieux.

    La voix à la fois froide et inconstante saisit l’homme, le poussant à se tourner. Il pâlit en voyant une ombre. Quelque chose d’insidieux s’infiltrait en lui et le poussait à craindre plus que ce sourire et ses yeux qui flottaient dans une silhouette noire et plate. Quelque chose comme des bras glacés s’enroulant autour de ses organes le forçait à souffrir de cette peur.

    L’ombre s’étendit autour du chasseur, le vent et le feu l’entourèrent avec force et, machinalement, l’individu donna un coup de pied dans le flanc de son cheval qui se mit à courir. La poussière se déployait derrière lui alors que le pataclop de ses sabots s’étendait dans son dos.

    – Ma chérie ? J’ai ça pour toi.     

    La main plate et ténébreuse était mystérieusement et étrangement fermée sur une boule lumineuse qui semblait être apparue de nulle part. Le bras s’étendit vers le sol, dans le sol, et continua à s’allonger sans que rien ne puisse vraisemblablement l’en empêcher. Poursuivant jusqu’à l’infini.

    – En quelques sortes, lâcha brutalement l’ombre. Ah !  Surpris que je vous parle ? Habituez-vous. Il paraît qu’on va devoir se supporter un moment mais vous, comparez à moi, vous pouvez encore fuir. Bandes de chançards. Alors… Présentation ?

    L’ombre se tenait toujours dans la forêt, ses yeux verts jetant de temps en temps un regard vers les poussières qu’on voyait à travers les arbres. Les cris des animaux emplissaient l’air avec une tension toute nouvelle.

    – Ensuite ?

    Et il continuait de se dresser, profitant de sa vilenie, du nouveau mauvais coup qu’il avait laissé. Lui, le Dieu de la Ruse, le nom connu depuis longtemps tant pour sa fourberie que par son caractère aussi mauvais que facétieux. Le fripon Lo…

    – Ptr ! Loptr, pas Loki, s’il te plaît. Quant à l’explication… Ce type va s’amuser à courir encore et encore dans une chasse interminable et il tuera tout ce qui sera sur son chemin, jusqu’à ce que sa chair pourrisse, jusqu’à ce qu’il ne soit plus que des os. Charmant, n’est-ce pas. À présent.

    Il leva la main.

    – Revoyons nous un peu plus tard. Je ne sais pas pour qui ce sera le plus long.

    Il sembla faire un clin d’œil alors que tout son noir disparaissait pour n’être plus qu’un œil, un sourire…

     

     

    Les jours se succédaient encore et encore dans une ronde infinie. Les fourberies et les vilénies étaient semées sur le chemin de Loptr et il avait constamment cet ennui qui l’entourait. Même quand il passait son temps à Helheim, le pays des morts.

    Rien ne l’obligeait à rester sur Midgard, si ce n’était les promesses de jeux, d’Humains à tourmenter et de se donner l’impression que son temps était un peu moins éternel.

    Il filait dans les rues comme l’ombre qu’il était, jetant des fois un sort de vent sur une flaque qui se gelait soudainement et les faisait basculer impitoyablement. Des gémissements, des grognements et beaucoup de rires. Pas toujours de sa part.

    Le vent se leva brusquement. Certains le remarquèrent en pestant de plus belle, tirant bonnets et écharpes autour de leurs visages déjà rougis, rares étaient ceux qui levèrent leurs têtes. Plutôt à cause des papiers qui virevoltaient et menaçaient à tout moment de les frapper. Mais Loptr savait qu’il y avait autre chose dans ce vent annonciateur…

    Et on ne pouvait pas dire qu’il avait besoin qu’on le lui souffle pour le savoir. Il était bien assez intelligent et rusé pour tout ça. Et surtout, ça faisait des années qu’à cette période de l’année, il devait subir les tours de passe-passe complétement ridicules d’Odin, le Dieu des Dieux.

    Loptr cessa d’être ombre et, devant les yeux de tout le monde, prit une apparence plus humaine. Néanmoins, il ne s’était créé que des globes oculaires, un nez, des lèvres et des dents, rien d’autre, pas de vêtements, pas de chevelures. Mais il n’était même pas appareillé.

    – Est-ce qu’il est ? demanda le Fripon à l’adresse du vide.

    Il mit sa main sur sa hanche, attendant une réponse qui ne venait pas. Il soupira, secoua violemment la tête et plissa les yeux dans ce qui se tenait au sein du vent si puissant.

    – Forcément, je n’aurais pas de raison d’être là, sinon.

    Son corps rapetissa alors, sa tête s’emplit de cheveux rouge foncé qui attrapait les éclats du Soleil. Et son corps se couvrit d’habits noirs, à la fois pratique, confortables et seyants. Enfin, un collier en cuir tressé orna son cou, un saphir miroitant en son milieu. Il porta ensuite ses doigts à ses lèvres et siffla rudement dedans. Mais au lieu que le sifflement ne meure dans l’air comme l’aurait fait n’importe quel autre sifflement, le sien fut porté par son souffle, son vent, et alla se perdre dans la cohue là-haut.

    Il plissa les yeux et attendit. Il savait qu’il aurait ce qu’il voulait. Il suffisant d’attendre un peu. Entre autre que la rue se vide. Mais ça ce n’était pas bien compliqué. Il leva les mains, le vent s’infiltra dans les maisons et claqua les rideaux, les gens étaient repoussés où se voyait face à de telles bourrasques qu’ils ne pouvaient rien faire et devait rebrousser chemin. S’ils ne se fracassaient pas contre le givre en laissant même des cris et des gerbes de sang sur les pavés.

    Il fallut près de dix minutes pour que tout soit vide et que Loptr siffle une nouvelle fois. Cette fois-ci, il y eut des mouvements dans le ciel et en quelques instants, un énorme cheval argenté à huit pattes atterrissait sur le macadam de la rue. Le Fripon s’avança et caressa le museau de la bête qui frotta sa grosse tête contre la sienne.

    – Bonjour, Wotan, lança jovialement le garçon.

    – Que t’arrive-t-il ? Ce n’est pas dans tes habitudes de m’appeler de la sorte.

    – Allez savoir, je suis peut-être fourbe, complètement détraqué ou j’ai juste envie de semer le doute. Ou bien je sais que vous allez m’appeler « Loki » alors je me venge d’avance, cher Père.

    Le garçon sourit de plus belle puis pencha brutalement la tête. Il regarda la charge toute gênée sur l’arrière de Sleipnir et son sourire s’allongea encore. Il posa un baiser sur le museau de l’étalon et trottina jusqu’à la croupe pour attraper le fardeau en question et l’obliger à descendre. Ses dents toutes dévoilées, il étendit les bras.

    – Loki, ne fait pas l’enfant et dis-moi ce que tu fais ici, exigea le cavalier.

    – Je ne sais pas, répondit Loptr en lui lançant un regard. Père, dites à Thierry qu’il peut me câliner, il a peur de vous décevoir.

    Il vit les joues marquées de taches de rousseur rougirent et son sourire s’agrandit encore si c’était seulement possible.

    – Vas-y, Thierry.

    Loptr étendit un peu plus les bras et son vis-à-vis prit une bourse en cuir dans sa main avant de passer ses bras autour des épaules du rouquin qui répondit à l’étreinte en souriant.

    – Alors content de me voir ? lui sourit le Fripon. Tu peux répondre « oui » sans blâme, rassura-t-il d’emblée.

    – Oui, marmonna l’autre.

    L’intriguant le relâcha et se tourna vers son père qui avait levé les yeux vers le ciel pour regarder l’étrange cohue qui virevoltait dans les airs, libérant des volutes blancs et un épais brouillard.

    – Yule !

    – Exactement. Je suis ravi que tu connaisses toujours nos traditions à Asgard.

    – Vous savez que je peux avoir le luxe d’oublier ce que je veux, on me le rappellera si je dois le savoir. Je ne me vante pas d’avoir le savoir infini, Wotan.

    – Quitte à ne pas m’appeler Père, tu pourrais au moins m’appeler « Odin » comme tout le monde, soupira l’illustre Dieu.

    Le rouquin haussa un sourcil sans se dépeindre de son sourire et il se tourna vers l’autre garçon qui était enveloppé dans une épaisse écharpe blanche. Ce qu’il trouvait tout à fait ironique vu que ses bras, eux, étaient laissés à découvert, exhibant tant leur maigreur que les hématomes qui le marquaient.

    – Vraiment ? Comment l’appelles-tu, toi ?

    – Euh…

    Thierry leva les yeux vers Odin, toujours juché sur Sleipnir, lequel donnait des coups de tête à Loptr, ne recevant que des caresses machinales en retour.

    – Tu sais parfaitement comment il m’appelle.

    – Oui, Seigneur des Ases, nargua le rouquin.

    Il tourna la tête le long de la rue puis revint à son père qu’il regarda avec malice.

    – On est au vingtième siècle.

    – Mes félicitations, répondit Odin.

    – Votre présence ici est bien inutile. Celle de Heimdall serait bien plus intéressante mais ce sera réservé pour une autre fois. Ce serait stupide, vraiment stupide, de mélanger les choses et de mettre trop d’informations en une seule fois. Vous ne pensez pas ?

    – Tu me fatigues, Loki.

    – Oui, je sais, sourit-il.

    Il plissa les yeux en se tournant légèrement une seconde fois, observant les environs. Il revint ensuite à son père.

    – Si tu as fini, tu es invité au banquet.

    – Oui, oui, il est de tradition de se rejoindre en famille. Mais c’est très stupide, Père, parce que, que je sache, je ne peux toujours pas retourner sur Asgard. Pour quelle raison vous m’avez banni encore ?

    Thierry marmonna quelque chose qui attira le regard de Loptr, le faisant plisser les yeux.

    – Je crois que je déteste quand tout tourne autour de moi, en fin de compte, soupira le rouquin.

    Il désigna le Dieu des Deux d’un doigt mutin.

    – Parce que vous avez peur que je tue Baldr. Ne vous inquiétez vraiment pas Père… soupira Loptr.

    Ses lèvres s’étirèrent alors que ses yeux devenaient lumineux.

    – J’y arriverais.

    Odin porta sa main à sa ceinture et Loptr se recula en tirant Thierry devant lui.

    – C’est petit, même pour vous, marmonna le garçon en question.

    – Je pensais que, tant que nous étions là, je pourrais montrer à votre petit Elfe de Noël chéri ce à quoi servait Yule au début. De toute façon, c’est ce que vous vouliez faire, pas vrai ? Pourquoi ne pourrait-il pas voir à quel point vous êtes un Dieu illustre ? demanda le rouquin.

    – Et pourquoi je ferais ça, Loki ? soupira l’illustre Dieu.

    – Ça pourrait bien me décider à venir à votre petite fête. Et vous n’avez jamais besoin de Thierry.

    Le Seigneur des Ases haussa le sourcil au-dessus de son œil valide puis il regarda son serviteur freluquet qui avait l’air tout gêné, se tenant du haut de son mètre soixante avec gêne. S’il n’avait pas des cheveux verts flashis sur la partie inférieure de sa chevelure châtain, on aurait facilement pu ne pas le remarquer. Surtout que, lorsqu’il levait les yeux vers le brouillard de fantômes, il ne voyait que des bêtes et des hommes forts et robustes.

    – Où veux-tu aller ? soupira Odin.

    – Ici. Quatorzième siècle ? Ça promet d’être marrant.

    Le Dieu soupira de plus belle mais leva la main.

    – Heimdall, abaisse le Bifröst ! Quatorzième siècle, quand bon te semble !

    Loptr resserra Thierry contre lui, son bras enroulant sa taille. Il tendit sa main libre vers le cheval pour le caresser, lui tirant un doux hennissement, puis poussa son « otage » vers l’arc-en-ciel qui venait de se fracasser sur le sol. Bordé de flammes, il ne portait que trois couleurs, ce qui ne surprenait ni l’un, ni l’autre.

    Ils connaissaient bien ce pont entre les mondes…

    L’arc-en-ciel vibra et tout bougea autour d’eux. Le macadam disparut, les maisons s’évaporèrent, perdirent de leur éclat, de leur nouveauté. Les arbres apparurent de toute part et la mousse ainsi que les herbes poussèrent.

    – On y est, dit Loptr quand les tremblements cessèrent.

    Il lâcha son ami et sauta en bas du pont coloré avant de lui tendre les mains.

    – Merci, je sais encore descendre seul, souffla-t-il.

    Il accepta pourtant sa main et se laissa traîner à la suite du Dieu alors qu’il avançait parmi les quelques maisons, sur la route pavée.

    – Où est-ce qu’on va ? demanda Thierry.

    – Même si je ne te le disais pas, tu me suivrais, sourit Loptr.

    – Eh bien, je n’ai pas trop le choix…

    – Oui. Parce que tout nous menait vers ici. Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire quand on est…

    – Je ne comprends rien de ce que vous dites, coupa l’« Elfe » d’Odin. Mais c’était surtout que vous me tenez la main et vous avez plus de poigne que moi.

    Loptr éclata de rire.

    – Ce n’est pas faux.

    Il continua de l’entraîner à sa suite et le mena jusqu’aux champs environnant. Il y avait beaucoup de monde ce qui était très surprenant pour Thierry : il avait toujours entendu qu’il n’y avait plus d’activité agricole pendant les saisons froides. D’un autre côté, il y avait une grande différence entre ce qu’il avait toujours appris à l’école et ce qu’il pouvait voir de ses yeux en voyageant dans le monde et dans le temps au nom illustre d’Odin.

    – Eyh ! Je croyais qu’on s’intéressait à moi !

    Thierry sursauta violemment en entendant son ami parler d’un seul coup. Il se sentit nerveux.

    – Rien, t’occupe, lui sourit Loptr. Ils ne s’occupent pas de labourer ou quoi que ce soit, lui dit-il ensuite.

    Le garçon resserra sa bourse dans sa main.

    – Que font-ils ?

    Loptr lui désigna les deux personnes qui se tenaient au milieu du champ, l’un ayant la main sur l’encolure d’une vache, l’autre tenant une serpe.

    – Sacrifice. Tout le monde peut en faire. Mais ils ne sont pas très intéressant, eux, soupira-t-il avec déception.

    – Vous vouliez m’apprendre tout des sacrifices ? rit gentiment Thierry. Vous savez que comme je m’occupe de Freki et Geri, je sais comment la nourriture nous arrive.

    Il se sentit gêné en voyant la moue de son ami.

    – Hm… Si vous voulez me montrer un truc, je veux bien le voir ? Vous voulez me monter… des sacrifices ?

    Il regarda le couple, muni de leur serpe, trancher la gorge de leur fidèle animal après qu’ils aient récités quelques mots dans une langue déjà ancienne pour eux. Une langue que les deux comprenaient parfaitement, l’un par son ascendance, l’autre par des années d’apprentissage.

    Loptr souriait néanmoins en observant le sang couler. Pourtant, il s’agissait d’un sacrifice en bonne et due formes comme il avait dû en voir des milliers au cours de sa vie trop longue. Il avait juste une pensée pour sa fille bien-aimée qui ne recevait jamais le moindre sacrifice. Il y aurait pourtant eu de quoi lui demander de calmer son père. Si quelqu’un devait en être capable, ça devait fatalement être elle.

    Les années lui avaient apprises qu’on redoutait le Mal, qu’on pleurait lorsqu’il s’abattait mais qu’on le craignait tant que personne n’avait la folie de tenter, d’une façon ou d’une autre, d’entrer en contact avec lui.

    – Il y a le sacrifice du sanglier aussi auprès des gotbis mais les meurtres de sanglier, ça te connaît, hein Thierry ?

    Le garçon en question leva la main en riant nerveusement.

    – On ne peut toujours pas dire que je sois très doué pour ça.

    – Je sais.

    Il haussa les épaules et joignit leur main, ce qui n’était pas sans surprendre le serviteur d’Odin. Il connaissait Loptr depuis longtemps maintenant et leur relation avait beau être tortueuse, elle n’avait jamais rien eu du genre.

    – Et les sacrifices humains ?

    Thierry ne put retenir un frisson.

    – Ça se fait vraiment ?

    Loptr éclata de rire. La tête que faisait son ami était impayable.

    – Bien sûr ! dit-il en pressant son front contre le sien. Il n’y a rien de plus marrant !

    – Vous… ne voyez pas assez d’Être Humains torturés à Helheim ?

    – Ils ne sont pas tous torturés, soupira le Dieu en haussant les épaules.

    – Ça a l’air de terriblement vous décevoir, rit Thierry avec plus de nervosité qu’il l’aurait pensé.

    Il s’éloigna d’un pas et regarda vers le couple qui rependait le sol de leur animal sur le champ.

    Loptr soupira, songeant que pour un si faible spectacle, il n’avait même pas la force de leur dire à quel point ils étaient stupides. Il n’éprouvait même aucun plaisir à aller les narguer pour leur dire la triste vérité mais est-ce qu’il avait seulement autre chose à faire ?

    Pas vraiment.

    Il était le Dieu Fripon après tout.

    Et était tristement bloqué dans ce bourbier jusqu’à la dernière ligne.

    Alors il tira Thierry à sa suite, ne portant pas attention à la bourse qui miroitait dans la main du serviteur de son père. Ni au fait qu’il l’ouvrait tant bien que mal et en sortait une pierre scintillante en lançant des regards inquiets à Loptr. En fait, tout se passait dans son dos et le rouquin n’aurait rien dû en savoir pourtant l’expression sur son visage indiquait clairement qu’il en savait plus qu’il ne le dévoilait.

    – Bonjour ! lança le Dieu au couple.

    Un flop attira son attention lorsqu’il marcha dans une coulée de sang qui avait rendu la terre gelée étrangement boueuse. À croire que la végétation trouvait vraiment cette vie bovine délicieuse.

    – Nous sommes en pleines pratiques du sacrifice. Vous devriez vous tenir au courant de tout cela, dit la femme. Bientôt, ce sera votre tour.

    Alors qu’elle parlait, l’homme regardait plus attentivement tout ce qui les faisait. Tant leurs couleurs de cheveux singulières que le collier qui était au cou de Loptr.

    Non. Il venait de disparaître sous ses yeux. Ou l’avait-il seulement imaginé.

    – Ne faites pas ça en publique, souffla Thierry, gêné.

    – Quoi, mon thrall préféré ? questionna le Dieu en souriant.

    Le garçon s’inclina devant le couple à la mention de son statut. Courbé l’échine ne l’avait jamais gêné. Mais à voir l’éclat dans l’œil de Loptr, il y avait bien quelqu’un que ça gênait. Il resserra sa main sur celle de Thierry.

    – Je tenais à vous dire que vous étiez complètement à côté du rituel. Vous n’êtes pas gotbi, hein ? sourit-il.

    – Non, mais nous avons besoin de l’aide d’Odin.

    – Le Dieu des Dieux entendra vos demandes, répondit Thierry, presque mécaniquement.

    Geste qui tira un rire à Loptr avant qu’il ne le serre contre lui puis lui colle un baiser sur la joue.

    – Tu es adorable.

    – M… Merci…

    – Vous devriez vraiment rentrer. Vos parents ont certainement besoin d’aide et les sacrifices sont des choses sérieuses. Si nous attirons la colère des Dieux…

    Le Fripon sourit comme jamais et le serviteur divin serra les dents, inquiet.

    – S’il vous plaît.

    – Ce n’est pas encore un s’il vous plaît qui m’empêchera de m’amuser.

    Loptr claqua des doigts et des bourrasques de vent claquèrent le champ. Alors qu’il se retournait, son corps devint étrange, s’aplatissant et devenant noir. Le couple poussa une plainte et ils rejetèrent plus de sang sur le sol encore. Le rouquin ricana alors qu’il attirait Thierry à sa suite.

    – Les Humains sont vraiment marrant. Il faudra que je demande à Hel s’ils ont survécus à ça. Si non, ils feront partie de la joyeuse Chasse Fantastique de Père. Ça leur laissera l’éternité pour maudire les Dieux.

    – Vous êtes…

    – Oh, ne gaspille pas ta salive. Je sais que tu m’adores mais que tu as bien envie de m’en coller une. Tu peux me frapper si tu veux.

    Thierry pinça les lèvres. Le frapper n’était pas tout à fait ce qu’il comptait faire pour plusieurs raisons. D’abord Loptr était un Dieu, pas de sang mais d’adoption, ensuite c’était son ami et il n’avait pas assez d’ami pour se permettre de les frapper et enfin… Loptr était Loki ! Il avait vu assez souvent ce qu’il pouvait faire pour se le mettre à dos.

    – Je ne m’énerverais pas. Hel m’a déjà frappé. Et Baldr et Thor l’ont fait plus que de raison. Je ne te parle même pas de Père. Heureusement que je peux changer d’apparence, sourit-il. Vas-y ! J’attends.

    – Vous êtes un peu maso.

    – Ou je m’ennuie.

    Thierry récupéra sa main ce qui tira une moue à Loptr.

    – Dieu Heimdall, pouvez-vous abaisser le Bifröst ? demanda le thrall.

    – C’est un moyen aussi, remarqua le Fripon en haussant les épaules. C’est comme ça que nos adieux vont être ? Pas de câlin déchirant ? dit-il en tendant les bras.

    Il jeta un coup d’œil vers la bourse. Si son seul amusement depuis longtemps devait être écourté et qu’il devait rejoindre sa Hel bien-aimée débordée de travail, il pouvait au moins essayer de s’amuser une dernière fois.

    Thierry soupira et s’approcha pour le prendre dans ses bras. Il ne manqua pas de sentir que le bras de son vis-à-vis s’allongeait et que les doigts atteignaient la bourse qu’il tenait dans sa main. Main qui se resserra. Mais au lieu d’essayer de vraiment soustraire le petit sac au Dieu, ce qui aurait été de la plus grande intelligence, il se rapprocha de lui et colla leurs lèvres ensembles.

    Ça, Loptr ne s’y était pas attendu. Et il fut si désarçonné que, lorsque la terre trembla, il ne put rien faire contre la main qui le poussa sur le Bifröst. Ils tombèrent l’un sur l’autre parmi les flammes qui ne firent pourtant que les lécher sans les brûler.

    – Eh bien !

    Le rouquin ne fut plus qu’ombre et il se glissa loin du corps de Thierry avant de retrouver son apparence d’enfant, jusqu’au collier de thrall qu’il portait au cou. Il toucha sa peau avec le pressentiment qu’il allait brûler mais, au contraire, il n’éprouvait que du froid. Un regard circulaire lui permit d’embrasser le paysage glacé de Jötunheim, sa contrée natale, mais aussi les quelques invités qui se tenaient là. Le Puissant Odin qui venait de lancer le fameux « eh bien », bien sûr, mais aussi Thor accompagné de ses deux compagnons, Thjálfi et Röskva, juste à côté de Baldr, sans oublier Sleipnir vers lequel il tendit le bras pour le saisir à l’encolure et le serrer contre lui.

    Néanmoins, il n’y avait pas que des hommes. Parce que, si Sif restait derrière son époux en lançant un regard peu avenant au Fripon, Nanna agita la main vers lui en souriant. Puis Frigg s’avança et lui prit le visage dans les mains pour poser un baiser sur son front. Pour parfaire le tableau, Forseti, fils de Baldr et Nanna, attendait contre le char de Thor, discutant avec sa cousine Thrúd. Et s’il ne fallait pas sublimer le tableau ? Hel se tenait un peu en retrait et souleva les pans de sa robe qui ne semblait qu’ombre pour s’approcher.

    – Père… Yule se fête en famille. Vous ne comptiez tout de même pas nous faire défaut ? sourit-elle.

    Loptr tourna la tête vers Thierry alors que le bras de sa mère l’enlaçait.

    – Thierry Evrard, tu es un sale petit comploteur.

    – J’ai appris auprès du meilleur, répondit-il en rougissant.

    – Oh, j’ai encore beaucoup à t’apprendre. Comme ceci.

    Il étendit son bras, l’obligeant à se rapprocher de lui pour planter ses lèvres contre les siennes comme l’autre l’avait fait un peu plus tôt.


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