• La Porte de Lebna Cai

    La Porte de Lebna Cai

     

     

    Lebna Cai était une grande ville bâtie sur plusieurs étages. Elle avait été construite le long des parois d’une montagne, ce qui créait presque naturellement des échelons.

    Plus on était élevé sur le versant de pierre, plus on était riche et fortuné. Tout souriait à ceux qui avaient la chance de vivre dans les sommets.

    Inversement, ceux qui étaient situés au plus bas étaient les plus malheureux. Ils avaient du mal à survivre, ils fouillaient les poubelles en espérant trouver celles de ceux qui seraient plus riches qu’eux.

    C’était par contre impossible de monter ses parois injustes par ses propres moyens. Les pentes de roc étaient bien trop escarpées, trop dangereuses. Et les différents « étages » étaient bouchés par des murs infranchissables. À nouveau, plus on était en hauteur, plus le mur se révélait merveilleux.

     

     

    Aubry Williams était une de ces personnes qui vivaient dans les bas-fonds de Lebna Cai. Assez médiocre pour être estimée comme néfaste à la ville mais assez haute pour ne pas craindre le manque de nourriture qui surviendrait le lendemain. Elle n’était pas non plus condamnée à devoir se sustenter dans les détritus, comme les autres de sa patrie moins fortunés qu’elle.

    Mais Aubry était excitée pour une autre raison : Elle avait eu dix-huit ans hier. Elle avait reçu un cadeau d’anniversaire inestimable. Déjà un vrai muffin de ses parents, qu’elle avait partagé avec toute sa famille. Mais aussi une lettre. C’était déjà exceptionnel d’en recevoir en temps normal. Seulement, cette missive l’invitait à traverser La Porte.

    Rare étaient les personnes qui avaient le droit d’aller dans La Porte. Personne ne revenait jamais de cet endroit.

    Aubry n’avait pas apeurée pour autant. Pourquoi le serait-elle alors qu’on disait toujours que franchir La Porte permettait d’atteindre la Félicité ? On disait que ceux qui pénétraient cet endroit étaient au plus près de la Noblesse.

    Comment pouvait-elle seulement refuser de passer La Porte ?

    Bien sûr, il y avait sa mère, son père et ses trois frères. Cependant, elle pourrait leur envoyer de l’argent, de la nourriture ou autre.

    Elle comprenait que personne ne soit jamais revenu de La Porte. Pourquoi revenir alors qu’on allait vivre dans le luxe ?

    Elle connaissait la puanteur du monde, elle connaissait l’aspect sombre de l’humanité. Elle connaissait la tristesse, la souffrance. Jamais plus elle ne voulait vivre cela. Si elle avait la chance de pouvoir demeurer ailleurs, elle le ferait !

    Mais elle ne pouvait se résoudre à oublier ses parents et ses frères.

    Elle ne voulait pas faire comme tous les autres bénis. Ceux qui avaient négligés les leurs.

    Elle ne se pardonnerait pas de faire cela.

     

     

    Aubry Williams préparait ses affaires. Elle ne voulait rien oublier. Il fallait qu’elle ait son nounours préféré, mangé aux mites et ayant vécu sept générations, et ses vêtements. Eux étaient troués de toutes parts.

    Sa valise lui semblait lourde mais elle savait que ce n’était qu’une illusion. Comme ceux de cet échelon, elle n’avait que de maigres effets.

    Des coups furent frappés à la porte d’entrée. Aubry sautilla de joie. Elle serra son famélique bagage contre elle et vint dans le salon-cuisine-salle-à-manger-hall-d’entrée. Ses parents venaient d’ouvrir à des hommes en uniformes. Ceux-ci entrèrent dans le taudis. Ils eurent un reniflement dédaigneux. À leurs habits on comprenait qu’ils venaient des hauteurs de Lebna Cai. Ils ne devaient pas être acclimatés à cette odeur pestilentielle.

    - Aubry Williams ?

    - C’est moi ! sourit-elle en venant vers eux.

    - Bien, venez.

    Aubry se tourna vers ses parents. Ils avaient les larmes aux yeux. Autant de joie de voir leur fille avec un plus bel avenir, que de tristesse de la voir partir.

    - Je reviendrais vous voir ou je vous enverrais des lettres, jura la jeune femme en leur embrassant les joues.

    Les hommes sourirent avant que l’un d’eux ne saisisse la demoiselle par le bras.

    - Ne perdez pas notre temps dans ces effusions d’amour. Veuillez venir au plus vite. Vous devez passer La Porte. Vous êtes attendue.

    Aubry rougit. C’était la première fois qu’elle était attendue ! Autant de sa vie que de son avant-vie. Ses parents ne voulaient pas d’enfant. Bien qu’ils les aimaient tous, pour eux, ils n’étaient qu’une chose : des bouches à nourrir.

    L’un des hommes la poussa hors de la maison. Aubry eut juste le temps d’agiter la main une dernière fois. Elle ne vit même pas ses parents répondre de la même façon. Les hauts-gradés la guidèrent jusqu’au grand ascenseur de verre. Il fallait une clé pour l’activer, la raison pour laquelle personne n’en profitait pour s’enfuir avec.

    Cette chose qui était si accessible.

    Il aurait fallu être très conditionné pour refuser de prendre une porte de sortie qui était à portée de main.

    Aubry rentra dans la cage avec ravissement. Elle se demandait ce qu’allait penser les autres citadins en la voyant s’élever comme ça.

    Élever était le terme le plus parfait : elle montait de grade. Elle cessait d’être une clocharde pour devenir une Noble.

    Elle ne sautillait pas sur place seulement parce qu’elle craignait que le verre cède sous son poids. Pourtant si menu.

     

     

    Aubry Williams sourit de toutes ses dents en voyant qu’elle était devant La Porte. C’était un huis somptueux, fait de bois blanc. Elle avait été taillée de telle sorte qu’il y avait des moulures en volume et en profondeur. Il y avait quelques dorures aussi qui s’y mêlaient.

    La Porte, en elle-même, s’enchâssait dans la roche au niveau du deuxième échelon de la grande montagne.

    - Allez-y, mademoiselle.

    Aubry sourit et posa la main sur la poignée en or. Elle la fit descendre doucement puis tira le battant vers elle. Il n’y avait là que le noir. La jeune femme supposa qu’elle devrait d’abord passer un couloir.

    Elle sourit aux hommes puis entra.

    La porte claqua derrière elle.

    Des hurlements de terreurs puis de douleurs ne tardèrent à retentirent. Une nouvelle fois, les hommes affichèrent un sourire.

     

     

    Lady Otter mangeait un plat en sauce avec une excellente pièce de viande juteuse. Elle appela un des garçons de la salle. Elle posa ses couverts en or sur ses assiettes de porcelaine.

    - Oui, ma Dame ?

    - Comment s’appelle cette viande ? D’où vient-elle ?

    - Échelon treize, Aubry Williams, ma Dame.

    - Il faudra plus souvent en choisir là-bas. C’est très bon.

    - Il sera fait selon votre désir, ma Dame.


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