• Le droit au bonheur

    Cette histoire a été écrite dans le cadre d'un concours sur la dystopie. Les informations relatifs à la maladie ont été vérifiées !



     

    Le droit au bonheur



    Le 1er Janvier de l’année 1851, la femme de la très réputée famille Smith accouche de son premier fils qui sera par ailleurs, son unique enfant. Elle est encore en train de le mettre au monde qu’elle sait déjà comment l’appeler : Léandre, comme un des personnages de Molière dont elle est si friande et ce malgré le fait qu’elle soit une Londonienne plutôt riche.
    Son mari n’est pas là, il a bien trop de travail pour s’arrêter pour « si peu ». Il savait que sa femme serait entre de bonnes mains, parce qu’il y avait la meilleure sage-femme de toute la région à ses côtés. Il l’a payée plusieurs centaines de livres sterling pour être sûr que tout se passera sans anicroche.
    Madame Smith, Elizabeth de son prénom, sourit en voyant qu’on lui apportait son enfant. Une toute petite chose braillant si fort que sa peau en devenait rouge. La jeune mère tendit les bras et elle serra la petite créature contre elle. Elle ne le remarqua pas, mais la sage-femme paraissait moins heureuse que celle qui venait de le mettre au monde. En effet, elle, elle avait vu la couleur de cheveux peu orthodoxe de son fils. Des cheveux roux.
    Pourtant, ni Elizabeth, ni John, son mari, n’étaient roux. D’aussi loin que se souvenait le couple, il n’y avait pas de roux dans leur famille.
    Mais puisqu’à cette époque, on ne parlait pas d’adultère, et encore moins lorsque c’était l’épouse qui le provoquait, personne ne sembla penser que Elizabeth ait pu le concevoir avec un autre que son mari.
    – Probablement… l’œuvre du Malin, chuchota la sage-femme quand la jeune mère remarqua, enfin, les cheveux de feu.
    Par peur de son conjoint, ou plutôt des racontars, Madame Smith s’empressa d’adopter cette conclusion : le Malin avait pris possession de cette jeune âme. C’était pour ça que ses cheveux étaient rouges, comme l’enfer, et que son corps se parsemait de petites taches étranges.
    Le temps passa et les parents, bien sûr, s’occupèrent de leur fils prénommé Léandre mais avec un certain détachement.
    L’enfant reçut beaucoup de cours, de précepteurs tous plus talentueux les uns que les autres. Professeurs qui acceptaient « le handicap » du garçon grâce à une somme plus que généreuse.
    Léandre devint vite très instruit, plus intelligent que la norme, mais il manquait désespérément d’amour. Surtout que ses géniteurs s’entêtaient à le confiner dans leur maison. Parce que le petit mensonge de sa mère les avait condamnés tous trois à la honte. S’il était le fils du Diable alors la famille était forcément touchée. Cela expliquait pourquoi le père était si riche et la femme si belle.
    Ainsi, pour limiter les dégâts, on cachait Léandre. Comme si les parents auraient souhaité qu’on oublie jusqu’à l’existence de leur enfant. Le petit roux ne pouvait pas voir le monde. Il ne pouvait parler à personne, à part ses professeurs, bien sûr. Il ne pouvait ouvrir la porte. Il n’avait pas non plus le droit de regarder par la fenêtre dont tous les rideaux étaient toujours tirés. Ça donnait une impression austère à la maison qui n’était plus qu’un lieu sombre seulement éclairé par des bougies. Ce qui n’aida pas à les faire passer pour des gens respectables.

    Pourtant, ce jour-là, jour de ses seize ans, Léandre récupéra assez de courage pour braver les interdits. Il s’approcha de la fenêtre et posa ses mains sur les pans de tissu. Ils étaient doux, si doux. Il ferma ses doigts dessus, inspira de l’air puis ouvrit les rideaux. Le roux se rassasia à la vue externe ce n’était qu’une ruelle, jonchée de pourritures et ordures, mais comme il était heureux.
    Mais braver la première interdiction ne lui était pas suffisant : Il lui fallait plus. Léandre ouvrit la fenêtre. Celle-ci lui résista bien sûr, puisque n’ayant plus été ouverte depuis plus de seize années. Lorsqu’il réussit enfin à faire céder le bois, de grandes bourrasques, contenant des relents de crasse, entrèrent dans la pièce et il s’enivra de cet air qui lui était pur et frais. Il se pencha en avant, au-dessus du vide et sourit un peu plus.
    Il remarqua des gens dans l’allée et les salua poliment.
    – Bonjour Messieurs, agréable journée n’est-il pas ? sourit-il doucement.
    En bas, les personnes se tournèrent et levèrent le nez. Un des deux hommes attrapa des fruits pourris sur le sol, signe qu’un marchand de primeurs venait par ici assez souvent.
    – Tu es celui qui a été enfanté par le Diable, non ? questionna celui sans fruit.
    – Mes parents s’appellent John et Elizabeth Smith.
    Les hommes se firent des messes basses avant que la pomme ne vole en direction du roux. Léandre connaissait les fumets fruités mais toussa en percevant la putréfaction lorsque le fruit lui atterrit sur le visage.
    Si lui devait rester confiné à l’intérieur de quatre murs et ignorait tout de la vie, la ville, elle, savait tout de son existence.
    Léandre en vint à la conclusion que le monde ne contenait que deux choses : Le malheur et le dégoût.
    C’était à lui de régler, dès lors, cette gangrène. Et, par chance pour lui, ses parents avaient un grave problème. Ils s’en voulaient tellement de le rejeter de la sorte qu’ils lui passaient absolument tout.

    Quatre ans plus tard, dans sa chambre, Léandre était allongé sur son lit, il entendait ses parents crier, hurler. Ils avaient peur de l’eau et ils avaient renversé le seau qu’il y avait toujours dans un coin en prévision d’un incendie, la phobie de sa mère. De plus, depuis quelques jours, ils faisaient preuve d’une telle activité que leur fils avait préféré s’enfermer dans sa chambre.
    Mais ce n’était certainement pas là un comportement inné. Les deux venaient d’être infectés par le virus de la rage. Mais ce n’était pas dû à un quelconque animal. Si rien ne sortait de la maison, rien n’y entrait non plus, mis à part peut-être les provisions qu’on leur achetait en échange de beaucoup d’argent. Ça faisait longtemps que John ne travaillait plus, puisque vu comme un paria. Il n’y avait pas même des chauves-souris à la surprise quasi générale des habitants de la ville.
    En réalité, c’était leur fils lui-même qui les avait infectés avec le virus de la rage. C’était une maladie incurable. Il était alors sûr que ses parents, ses cobayes plutôt, en mourraient. Et si ça fonctionnait, il détiendrait entre ses doigts la source de son bonheur.

    Trois jours plus tard, les cris ayant cessé, Léandre quitta sa chambre et il descendit dans le salon, prudemment, un bout de bois en main. La seule chose qu’il devait éviter c’était d’être mordu car, sinon, il serait infecté par le virus. Le paria afficha un rictus froid en voyant le corps inerte de ses parents. Ceux-ci commençaient même déjà à se décomposer. Le roux donna un coup de pied dans les cadavres avant de sourire un peu plus. L’ayant privé d’amour, de liberté et même de vie, il était content, et même fier, de leur avoir pris la leur. Sans même se tacher les mains.
    Léandre alla récupérer son flacon avec le virus de la rage et il l’enroula dans du tissu avant de le mettre dans la poche de son pantalon en toile. Prenant soin d’écraser la dépouille de ses parents, il sortit de la maison pour la toute première fois de sa vie. Il aspira l’air par grande goulée. Il sourit de joie, peut-être pour la première fois de son existence, et se rendit jusqu’au journal le plus influent de tout le pays.
    Il entra dans l’endroit et il ne tarda à trouver l’éditeur. Il s’introduisit dans son « bureau » qui était en réalité une chaise derrière un panneau de bois. L’éditeur fronça les sourcils en le voyant. Il s’apprêta à se lever pour appeler la sécurité mais Léandre posa le flacon devant l’homme.
    – Ceci est le virus de la rage.
    Le journaliste fit un bond en arrière, surpris. Ça ne pouvait pas…
    – Mettez un message dans le journal. Toute personne ne faisant pas ce qu’il me plaît trouvera la mort, infectée par le virus de la rage.
    – Ce n’est pas…
    – Si vous insistez, je peux vous l’inoculer, mon bon monsieur. Sourit Léandre, jouant avec la fiole sous les yeux médusés de son vis-à-vis.
    – Ne soyez pas fou, je vous en prie…
    Il eut un hoquet puis prit un papier et d’écrire dessus. Le roux le fit réécrire plus de quinze fois avant d’être satisfait par le message que l’on délivrerait. Il agita la main pour lui dire que c’était bon puis se leva.
    Il attendit que l’homme donne ce feuillet à imprimer pour finalement, enfin, s’éloigner.

    Trois jours plus tard, un message apparaissait dans les journaux du pays, accompagné par une très mauvaise photo de Léandre qui permettait cependant de le reconnaître. Peu de personnes étaient à la fois si belles et si effrayantes. Avec sa peau d’albâtre parsemé de douces taches de rousseur mais avec des yeux qui semblaient venir tout droit des enfers.
    « Avis à la population,
    Léandre Smith, que nous appelons le fils du Diable dans la ville de Londres, possède entre ses mains l’arme qui causera notre mort à tous.
    Si vous ne vous pliez pas à sa définition du mot « bonheur », vous trouverez la mort sans plus tarder.
    Restez sur vos gardes. »

    Dix ans plus tard, n’étant pas fou, Léandre s’était terré quelque temps dans des caves inoccupées, mangeant des produits qu’il avait cultivés et des restes. Il sortait de temps à autre pour inoculer le virus de la rage à des gens qu’il n’aimait pas où à des innocents, rappelant ainsi qu’il existait et était toujours vivant.
    Il s’était arrangé pour que personne ne sache jamais ce qu’il faisait exactement, de sorte qu’on le laissait tranquille. Et les années passant, à mesure qu’il remontait petit à petit à la surface, son nom fut même oublié.
    On ne parlait plus de Léandre Smith mais seulement de « l’envoyé du diable » ou encore « le larbin de la mort ».
    En seulement dix ans, Léandre avait réussi à étendre la peur jusqu’au monde entier.
    Dehors, on employait des personnes pour déplacer les corps. Le virus prenait une ampleur qui déplaisait à la population, surtout que la maladie s’était accrue au-delà des désirs du roux.
    Ce dernier restait chez lui la plupart du temps, les courses étant faites par un tiers.
    Les rares sorties de Léandre lui avaient permis de rencontrer un Français. Un homme avec qui il s’était étrangement lié d’amitié bien qu’il avait le double de son âge, facilement. Il répondait au nom de « Louis Pasteur ». Ils avaient souvent de longues discussions Louis et lui. Leur prénom était fréquemment un sujet de conversation mais leur préféré demeurait la science.
    Ce jour-là, Louis vint chez lui. Il faisait toujours attention à ne pas être contaminé par qui que ce soit. Les rues étaient devenues dangereuses. Les comptes d’un journal prouvaient que plus de la moitié de la population humaine avait été décimée par le virus.
    Louis entra dans la maison et il rejoignit Léandre, qu’il ignorait, comme beaucoup d’autres, être l’investigateur de ce carnage sur terre. La plupart de ceux qui étaient au courant étaient morts depuis longtemps maintenant.
    Louis serra la main de son ami et regarda vers le bureau. Il remarqua alors la souche du virus que le roux avait oublié de mettre à l’abri, comme il le faisait à chaque fois qu’il avait de la visite.
    – Tiens, tiens, tiens, que vois-je. Toi aussi tu fais des expérimentations pour soigner la rage ? J’espère ne pas te voler la vedette, rit-il gentiment.
    Léandre le regarda et eut un rictus. Louis ne le vit pas car il restait obnubilé par le bureau de son ami.
    – Et où en es-tu ? demanda le roux d’un ton doucereux.
    Il s’approcha de son lit, silencieusement. Louis sourit et se tourna vers lui.
    – Très proche. Je pense que d’ici un an, j’aurais la solution. N’est-ce pas formidable ?
    Léandre prit un tisonnier qu’il gardait comme ornement car il était très beau, avec une fleur de lys sur le bout. Il virevolta vers son ami et fracassa l’arme de fortune sur le nez de Louis. Il commença à le frapper, malgré les cris, jusqu’à ce qu’il soit couvert de sang et que le scientifique perde le souffle.
    Il le fixa et lâcha la barre de métal avant de sourire. Il s’avança jusqu’au bureau et, en y répandant la vie de son ancien ami, vérifia que les échantillons étaient restés intacts. Il sourit alors en voyant que tout allait pour le mieux.

    On était en 1949, Léandre était assis dans un siège. Étonnement, à deux années près, il serait centenaire. Il avait vécu aussi longtemps grâce à sa propre médecine. Ironiquement car il avait causé la mort autour de lui. Tuant sans réfléchir, sans même prendre le temps de savoir si la personne qu’il infectait était vraiment mauvaise ou pas.
    Il avait une règle d’or : seul son bonheur comptait. Ce pour quoi les gens avaient vécu dans la peur, tremblant à chacun de leurs faits et gestes.
    Léandre eut un sourire glacial.
    – Je suis… le seul… à pouvoir être heureux…
    Il ferma lentement les yeux et son souffle se coupa. Sa main s’ouvrit et un flacon glissa, faisant se fracasser le virus de la rage sur le sol.

    Dehors, il n’y avait plus rien. La Terre était couverte de corps en décomposition. De personnes agonisantes sous la maladie mortelle de la rage qui, suite à la disparition de Louis Pasteur, dont on s’intéressa que peu à cause du manque de loi, ne trouva jamais d’antidote.
    Rares devaient être les survivants. Mais ceux-ci pourraient peut-être réellement vivre. Sachant que le poison qui avait créé cet enfer, cette presque fin du monde, venait enfin de trouver le repos éternel.

     


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