• L'or noir

    L’or sombre

     

                Le chant du coq résonnait seulement qu’il était déjà au travail, récurant le sol qui en avait bien besoin depuis quelques temps. Était-ce pour ça que ses taches de rousseur, ainsi qu’un grain de beauté, ressortait à ce point sur une peau blafarde, presque jaunie ? Avait-il toujours eu cet aspect ? Toujours était-il que ce garçon de quatorze ans continuait de laver avec ardeur.

                Ce jour ne promettait aucune pause.

                Il se frotta le front, happant des mèches châtains qui retombèrent sur son visage. Il essaya de les ranger mais elles se rebellèrent. Tant pis… Il n’avait pas vraiment besoin de bien voir pour laver un dallage qu’il connaissait par cœur.

                Il ne s’arrêtait qu’une seconde de temps en temps pour rajuster ses mitaines détrempées ou pour remettre les pans de son écharpe dans son dos.

    - Thierry…

                Le garçon releva la tête, frottant son visage au passage. Il sourit à une somptueuse femme blonde dont les pieds étaient à quelques millimètres du sol pour cause ? Ses ailes dorées battaient l’air avec vigueur.

    - Bonjour, Anneke !

    - As-tu vu Odin ?

                Bêtement, l’adolescent regarda vers le trône d’or où somnolaient encore deux loups gargantuesque.

    - Non. Munin et Hugin les ont trouvés seuls aujourd’hui.

    - Les offrandes sont arrivées. Dit-elle.

    - D’accord.

                Il lança un coup d’œil emplit de désespoir au sol au demeurant bien trop sale. Il lui faudrait beaucoup plus d’huile de coude pour finir ce labeur !

    - Est-ce que tu peux le trouver ?

    - Oui.

                Anneke posa un baiser sur sa joue et s’envola vers une haute porte à l’encadrement constitué de lance.

                Thierry se redressa, essuya ses mains sur son pantalon, récupéra un panier sur un guéridon d’or et fila vers l’entrée du domaine qu’il trouva emplie de victuailles, comme toujours. Il le remplit avec soin de mets juteux ou colorés et récupéra un pichet de vin.

                Revenant dans la salle, il chercha après le Dieu mais sa haute stature ne projetait aucune ombre. Il retint un soupir surtout que les loups, appâté par les odeurs, s’étaient redressés et avaient déjà la langue pendante.

    - J’arrive, mes gros ! Rit-il.

                Il courut à eux, posa le vin et se laissa tomber sur le sol, au pied du trône. Comme il commençait à libérer un poulet de sa chair, les canidés lui léchèrent la figure. Toutefois, une langue s’attardait bien souvent pour happer de la nourriture, ni vu ni connu. Pourtant, Thierry était habitué à ce petit jeu et savait pertinemment que ces animaux n’étaient que deux imposants gloutons chapardeurs.

    - Thierry !

                Le garçon tenta de se lever mais fut expédié au sol par la gueule blanche de Geri qui s’enfonçait dans la banne.

    - Oui, Dieu des Dieux ?

                Si sa voix portait, l’adolescent ne voyait pas encore la moindre once de peau divine.

    - Je dois descendre sur Midgard, va préparer Sleipnir et apprête-toi, tu m’accompagnes.

    - Oui, Dieu des Dieux !

                La figure burinée d’Odin lui apparut, son œil unique se posant sur lui. Ses lèvres s’étirèrent avec amusement et il siffla. Les loups grognèrent mais s’écartèrent. Thierry en profita pour se lever, remerciant l’homme. Il trottina, s’inclinant lorsqu’il passa devant lui, et fila à travers les nombreux et interminables couloirs du palais. Il dut quitter l’enceinte pour finalement longer la bâtisse et arriver devant une écurie où il se dirigea vers le huitième box. Là où se tenait un cheval à la robe grise et au crin d’argent.

                Thierry caressa l’animal qui hennit doucement et lui donna un petit coup de museau. Si le garçon sourit, il eut une pensée pour tout ce qui s’était déjà produit ici. Les heures harassantes de travail, bien sûr, les nombreuses blessures qui se résorbaient au petit matin mais aussi sa rencontre avec Loki sous les traits de Loptr. Peut-être parce qu’il avait tendance à oublier ce que ça faisait de parler à un égal. A fortiori à quelqu’un de son âge… en apparence.

                Il chassa toutes ses pensées en attrapant le tapis de selle d’Odin, un travail de tisserand somptueux : des scènes de combats dantesques sur fond bleu. Il termina d’apprêter la bête, s’assura que les rênes ne le généraient pas et l’emmena jusqu’à la salle du trône. Odin avait jeté un peu de nourriture à ses loups et se tourna vers sa monture en entendant son pas caractéristique.

    - Bien. Nous pouvons partir. Décréta Odin en grimpant sur sa selle.

                Il fit un signe de tête à Thierry.

    - Nous nous revoyons là-haut. Ne me fais pas trop attendre.

    - Je vous le jure.

                Alors que la monture se mettait au trop, le garçon inspira de l’air et il courut. Il savait que ce serait dur. Ce serait forcément pénible comme toutes les autres fois mais ça ne l’empêcha pas de courir hors du Walhalla, de filer vers l’imposante montagne et de grimper les escaliers qui y étaient sculptés droit vers la somptueuse demeure d’Heimdall.

                Si au début il restait proche de son maître, il eut tôt fait d’être bien dépassé par la monture.

                Aussi, essoufflé il parvint à l’étage mais il continua de courir jusqu’à survenir dans une salle où les Dieux discutaient. Odin buvait à une corne en riant. Il remarqua Thierry, sans doute à cause des cheveux verts flashy qui se perdaient dans sa coupe châtain, et lui tendit le breuvage.

    - Reprends ta respiration, nous ne tardons pas. Le Bifröst n’attend que nous.

                Thierry n’était pas très porté sur le vin, quel ironie pour une personne vivant au Walhalla, mais il but tout de même. Parce que son maître le lui sommait, certes, mais parce que le liquide qui coulait dans sa gorge lui faisait beaucoup de bien. Il garda toutefois le goût âcre tandis que Sleipnir s’engageait sur le pont Arc-en-ciel, brûlant des flammes qui léchaient son bord.

    - Bon courage.

    - Merci, Dieu Heimdall.

                Thierry lui offrit un sourire aussi nerveux que timide puis suivit son maître, trottinant derrière lui, courant franchement par moment. Descendre le long du pont vaporeux lui semblait particulièrement pénible mais il n’allait pas se plaindre. Il était tiré de sa monotonie, on lui faisait confiance… Il ne pouvait se permettre de se plaindre même s’il n’était pas reconnaissant par ailleurs.

                Ils débouchèrent dans les Scandes où les embruns salés franchissaient les rocs pour venir flotter autour d’eux. Thierry porta sa main à la rune Polaris qu’il gardait toujours sur lui. Il se sentait plus rassuré de la sorte surtout qu’il avait l’impression que la magie vibrait ici…

    - Dieu Corbeau… Où et quand sommes-nous ? Si je puis vous le demander ?

                L’homme ouvrit une poche accrochée à une chaîne elle-même suspendue à la broche sur son torse. Il sortit un quartz rosé et le fit tourner entre ses doigts. Des émanations électriques vibrèrent l’air pendant quelques secondes puis la pierre retourna dans la sacoche.

    - Nous sommes le sept avril mille huit cent trente-deux, dans les Scandes non-loin de Bergen.

    - Merci. Répondit Thierry.

                Il compta rapidement. Il naîtrait dans cent trente ans… Il aimait beaucoup faire cet exercice. Ça l’aidait à lui rappeler qu’il vivait dans un autre univers, qu’il avait plus de deux cent ans quand on y pensait, que le petit Thierry de quatorze ans n’était plus qu’une ombre qui guidait pourtant tant de choses en lui…

                Odin descendit de Sleipnir et tendit les rênes au garçon qui s’empressa de les saisir. Il caressa l’encolure de l’animal et suivit l’homme quand il se mit en marche. Ils avancèrent dans les monts escarpés, grimpant des à-pics et descendant le long de flanc. Si le Dieu déambulait avec assurance, ne trébuchait jamais qu’il y ait du givre, des cailloux ou de la boue, c’était loin d’être le cas de Thierry. Il se désespérait tant il devrait se tenir aux rênes de la monture pour ne pas s’effondrer lamentablement.

                Remarquez qu’il ne serait pas très surpris de se donner en spectacle et de rappeler qu’il était plutôt pathétique. Il savait qu’Odin en rirait et se moquerait gentiment de lui mais qu’il l’aiderait à se relever… Ce n’était pas pour autant qu’il voulait finir plus blessé qu’il ne l’était déjà.

                À force de descendre le long des pentes plus ou moins abruptes, ils arrivèrent devant une tanière juste en-dessous d’un rocher blanc. Un lemming aurait peiné à se glisser dans ses étroites galeries mais Odin paraissait satisfait. L’homme se tourna vers la selle, attrapa Gungnir, sa lance en or, et la planta à la base du rocher. Des runes apparurent en bleue clair tandis que l’antre s’étendait. Le borgne saisit son thrall par l’épaule et le poussa dans la cavité, guidant ses pas et ceux de son cheval par la même occasion.

                Ce n’est que lorsqu’ils se furent enfoncé dans les tréfonds du Monde qu’Odin marmonna. Thierry tourna la tête vers lui et remarqua une rune brillant dans sa main. Des fragments se détachèrent et devinrent comme des lucioles autour d’eux, flottant allégrement et conférant à ces galeries un aspect à la fois effrayant et féérique. Les ombres étaient blafardes, amplifiées mais les pierres scintillaient comme milles joyaux.

    - Wouah…

    - Je ne t’avais jamais emmené dans les Domaines des Nains, Thierry ?

    - Jamais, Dieu des Dieux…

    - As-tu déjà rencontré des Nains ? Demanda-t-il en s’enfonçant dans les galeries.

                Ils y avançaient maintenant sans mal. Dur de croire qu’ils venaient de passer par une misérable tanière…

    - Oui, Dieu des Dieux… Quelques-uns sont venus au Walhalla et j’en ai rencontré…

                Thierry essaya de se remémorer quelques noms. Il y avait quelque chose avec « rond » non ? Il ne savait plus… ses idées étaient très fouillis mais il avait déjà dû retenir tant de nom, ceux des Ases et Vanes, ceux des animaux, de certains Einherjar ou Walkyries…

    - As-tu rencontré Korin ?

    - Korin… Non, je ne pense pas…

    - C’est un Nain digne de ce nom !

                Thierry sourit, continuant de marcher à sa suite. Il restait accroché à Sleipnir pour éviter de tomber sur ce sol qui lui était partiellement caché et rivait son regard sur le dos d’Odin. L’homme bifurquait sans hésiter, l’entraînant dans des galeries interminables et ce jusqu’à ce qu’ils débouchent dans une cavité éclairée par des torches. Les murs scintillaient de vraies pierres qui réverbéraient la lumière là où les flammes ne le pouvaient.

    - Bienvenue au clan de Norôrfjall ! Annonça Odin.

                Thierry, les yeux grands ouverts, opina. Il se serait certainement incliné s’il y avait eu quelqu’un d’autre que son maître. Au lieu de quoi, il resta droit et remonta le bout de son écharpe sur sa bouche pour se protéger de la poussière. Pourtant, il faisait chaud ici… Il avait pourtant toujours cru que les tréfonds des montagnes étaient gelés. C’était ce qu’un professeur de géographie lui avait dit jadis dit, en tout cas…

                Une personne s’approcha. Elle avait la taille de Thierry, ou peut-être un peu plus grands, et revêtait une barbe sombre ainsi qu’une chevelure hirsute. Sa peau presque blanche était étirée, probablement qu’il souriait sous le couvert de cette touffe de poil ?

    - Père du Monde ! Vous voilà bien vite arrivé. Merci bien.

    - Bonjour.

                Odin lui tendit sa main. Le Nain lui empoigna l’avant-bras et ils se saluèrent avec rire et virilité.

    - Je suis Brogi. Nous avons préparé du vin pour vous.

                D’un geste de la main, il les invita à les suivre. Mais Thierry ne se faisait pas d’illusion, on s’adressait uniquement à Odin.

                Gardant les rênes de la monture dans sa main, il suivit son maître. Il écoutait les rires, les plaisanteries, les histoires qu’on s’échangeait et qui s’étendaient au-dessus du cataclop reposant de Sleipnir.

                Plus ils avançaient, plus l’endroit était accueillant, les Nains se succédaient. Tous saluant vaguement en voyant les visiteurs. Parmi les hommes, portant la barbe ou pas, on trouvait quelques femmes bras chargés ou encore des enfants qui courraient entre les jambes. Leurs rires berçaient ce quotidien lorsque le bruit d’un marteau se cognant contre du métal. Thierry avait du mal à croire qu’on pouvait si bien marier l’allégresse franche et délicate et un tumulte assourdissant et dérangeant.

                Brogi les mena vers une table où se tenait un cruchon. Il récupéra un calice doré pour y verser un trait de vin qu’il tendit à Odin avant d’en servir à Thierry, dans un gobelet de pierre, et de lui-même s’accorder une lampée.

    - Levons nos verres à la toute-puissance du Père du Monde !

                Odin rit avec et dressa son godet comme son thrall et le Nain.

    - À vous, Dieu des Dieux.

    - Merci. Sourit le borgne au garçon.

                Il porte le verre à ses lèvres mais ne but que lorsqu’il vit clairement Brogi avaler le breuvage.

    - Excusez-moi…

    - Vous ne buvez pas ? Demanda le Nain vers Thierry.

                Le garçon s’obligea à avaler une goulée qu’il trouvait toujours aussi âcre.

    - Puis-je emmener Sleipnir quelque part où il se désaltérera ?

    - Bien sûr ! Morîs ! Mène ce garçon à l’écurie !

                Ses cris portèrent tant qu’une femme trapue les rejoignit en courant, soulevant les pans de sa robe en fourrure. Elle sourit et prit la main de Thierry pour l’entraîner à sa suite. Ils sortirent de cette alcôve pour regagner des galeries. De temps en temps, l’humain voyait bien une ouverture ou l’autre mais il ne pouvait que suivre la dénommée Morîs. Laquelle le mena jusqu’à une ouverture dans la roche d’où émanait une odeur de purin et de paille ainsi que l’avoine.

                À la surprise de Thierry, d’autres chevaux étaient déjà là dans des box. La différence étant qu’ils se rapprochaient plus du poney avec leurs courtes pattes.

    - Merci infiniment. Dit le garçon.

    - Vous pouvez mettre le cheval dans n’importe quel endroit libre. Voilà pour puiser de l’eau. Informa la femme en  désignant une pompe à eau. Là, la nourriture. S’il vous faut autre chose.

    - Je viendrais vous demander. Je m’appelle Thierry.

    - Morîs comme vous l’avez entendu.

                Elle sourit et repartit.

                Thierry emmena Sleipnir dans un box libre et lui retira la selle et son harnais pour qu’il soit un peu plus libre. Il lui caressa la crinière et flatta la bête avant de lui donner à boire et à manger.

                Enfin, il ressortit et rechercha la salle où était toujours Odin. Il avait refermé une nouvelle fois sa main sur Polaris et la serrait contre lui pour se rassurer. Il sentait toujours cet afflux de magie. Et, comme il n’y était pas particulièrement sensible, il savait à quel point elle était forte et pesante…

                Il se perdit dans les couloirs et se permit un regard sur l’architecture alentours. Que ce soit les murs et les arches taillés dans ces pierres illuminées ou encore ces sculptures qu’on décelait ci et là. Il fallait avoir l’œil aguerri pour découvrir des scènes diverses et variées qui retranscrivait des scènes quotidiennes, faites presque sur le sol mais c’était plus évident de voir des hommes et des femmes géants. Voyait-il des Dieux là ? Était-ce Thor brandissant le Mjöllnir ?

                Thierry hâtait le pas pour retrouver son Maître mais il appréciait vraiment toutes ces œuvres d’arts, cette ambiance qui le changeait des fresques du Walhalla.

                Et finalement, il traversa une autre entrée pour retrouver le Dieu, riant avec des Nains, son calice à nouveau plein. Le garçon se permit de s’arrêter juste à côté de lui. Le remarquant de son œil unique, l’homme fracassa sa main sur son épaule.

    - Te voilà.

    - Sleipnir est bien installé. Il se rassasie.

    - Parfait. Voilà ce que le clan de Norôrfjall m’offre.

                Disant cela, il fourra un brassard dans la main de Thierry. Le travail était magnifique. Tout d’or, il s’évasait vers le haut, épousait la forme des muscles et était serti de pierres colorées sur le dessous, près du poignet, et le dessus.

    - Essaie-le donc. Dit Odin en français.

                Un Nain haussa un sourcil en remplissant le verre du Dieu.

                Bien que surpris, Thierry y consentit. Que pouvait-il faire d’autre ? Même s’il devait retirer sa mitaine et dévoiler les cicatrices qui marquaient sa main. Ce n’était pas pire que les ecchymoses qui paraient ses bras de toute façon. Même si Polaris vibrait, il enfila le brassard. L’or attrapait les flammes et l’aveuglait mais il retenait ses plaintes.

    - Eh bien !

                L’homme lui tendit la main.

    - Ça sied bien à un freluquet, voyons ce que ça fait chez un Dieu !

                Le garçon entrouvrit légèrement les lèvres, saisissant le subterfuge. Il retira le brassard et le tendit à Odin, remettant rapidement sa mitaine.

    - Polaris y a réagi… Informa-t-il en français.

    - Ils l’ont peut-être forgé avec de la magie. Je ne peux pas refuser de le mettre à présent. Ils m’ont invités rien que pour m’offrir ceci. Dit le Dieu en français. Mais je compte sur toi…

                Disant cela, il lui mit une tape dans le dos, en profitant pour lui mettre une dague à sa ceinture. Thierry serra Polaris contre son cœur alors que le borgne vidait son vin d’un trait. Il enfila le brassard, lequel se resserra sur ses muscles saillants.

                Il porta son verre, à moitié plein, à ses lèvres mais se figea d’un seul coup. Il reposa le calice d’une main tremblante et s’appuya sur la table. Il passa sa langue sur ses lèvres qui lui semblaient tout à coup bien sèche.

    - Dieu des Dieux ? Murmura Thierry en s’avançant.

                L’homme lui fit un signe de la main pour l’écarter.

    - J’ai dû boire un peu trop de vin. Rit-il. Thierry, va préparer Sleipnir, nous partons. Merci à vous tous pour votre hospitalité. Et pour ce cadeau inestimé.

    - Mais notre petite fête ne fait que commencer. Dit Borig. Ce serait grossier de partir…

    - Le Père de toute chose doit retourner au Walhalla pour régler toutes ses affaires. Protesta Thierry. Il est déjà plus qu’aviné…

    - Stupide serviteur. Ricana un Nain à la coupe blonde.

                Le garçon pinça les lèvres et saisit le bras du Dieu pour le guider à son épaule.

    - Tout le monde sait pertinemment que le Très Sage ne peut sombrer dans les délices de l’alcool. Dit-il. Et puis…

                Sa bouche s’étira, dévoilant quelques dents manquantes.

    - Nous connaissons notre propre magie.

    - Voilà le plan ridicule que vous aviez prévu. Grinça Odin. Pour quelle raison ? Qu’est-ce qui vous pousse à vous en prendre ainsi à moi ? Grogna-t-il.

    - Combien de fois les vôtres n’ont pas volés nos trésors ? Questionna Borig. N’êtes-vous pas venu pour nous dérober encore ce qui était à nous ?

    - Il s’agissait d’une offrande ! Vous n’êtes que des créatures abjectes et misérables !

    - C’est ce qu’on dit. S’esclaffa le Nain blond.

    - Je ne sais pas ce qui me retient de vous éviscérer. Menaça Odin, le saisissant par sa tunique.

                Sa victime étira les lèvres, cruel, alors que le Dieu pressait sa main sur Thierry pour ne pas s’effondrer sous son propre poids.

    - Notre magie, je crois. Sussura-t-il.

                Il saisit une hachette portée à sa ceinture et la dressa sous les yeux écarquillés de Thierry. Il sortit sa rune et un éclat se répercuta dans la salle. Des cris s’élevèrent bientôt remplacés par des rires.

    - Tu ne sais que faire des effets de lumières. Tu penses nous battre avec ça ? S’esclaffa un Nain.

                Odin attrapa la main de son thrall, pressant la rune entre leurs paumes. Lorsqu’un nouveau éclat cogna les murs, du feu se déversa et le sol trembla. Il s’affaissa sous leurs pieds et s’effondra. Thierry sentit ses genoux se fracasser au sol et la bile lui remonta dans la gorge. Il trembla de douleur alors que la trouée disparaissait, les plongeant dans le noir. Il n’entendait plus que la respiration hachée du Dieu, lui-même meurtri d’autant plus qu’il était affaibli !

                Il ne sentait plus la main de l’homme contre la sienne et chercha à le trouver à tâtons.

                Plic.

                Une lumière diffuse et légère. Un rond.

                Il se rapprocha.

                Polaris !

                Elle brillait toujours dans le noir.

    - Dieu des Dieux…

                Le borgne grogna. Saisissant la rune, Thierry tenta de l’utiliser comme lampe poche. Il arriva au moins à éclairer suffisamment la jambe de son maître pour se rapprocher comme il le pouvait, à quatre pattes. Bien sûr, ça lançait des douleurs dans ses membres, encore une chose à taire.

    - Ça ira…

                Le garçon vit la silhouette se redresser et péniblement s’asseoir.

    - Ça ira. Assura le colosse. Je suis juste un peu étourdi.

    - Avez-vous une idée pour rejoindre Sleipnir et repartir ?

    - Pas la moindre.

                Ces accents.

                Les ombres bougeaient. Que faisait son maître ? Des gestes répétés et violents sur son avant-bras. Comme s’il essayait… de retirer le brassard ?

    - Dieu des Dieux ? Que se passe-t-il ?

    - Les Nains sont fourbes… J’aurais dû emmener des personnes compétentes. J’aurais dû m’en douter.

                Thierry ouvrit la bouche mais ne prononça pas un mot.

    - Je ne peux retirer ceci. Mes forces se vident…

    - Puis-je seulement vous être utile ? Questionna le garçon.

                Odin rit. Chacun des accents était comme une insulte, une baffe et il les acceptait sans un mot. Bien sûr que c’était stupide de se proposer. Il n’avait même pas été capable d’utiliser Polaris et le Dieu avait dû épuiser ses forces pour qu’ils en réchappent.

                Comptait-il se lamenter ? Non !

                Odin ne croyait pas en lui ? Très bien. Il ne croyait pas lui-même en ses capacités. Comment le pourrait-il ? Ça ne l’empêcherait pas de tout donner. Sa sueur, ses larmes, son sang, ses tripes…

    - Je vais trouver une sortie. Décréta-t-il. Tenez…

                Thierry lui mit la rune dans la main. Il sentit les doigts se raffermir, perçut un soubresaut et vit le visage ravagé de son maître. Il s’éloigna et chercha un mur de la main. Lorsque sa paume râpa contre les roches malgré sa mitaine, il avança…

                Il sentait son cœur battre à tout va dans sa poitrine. De quoi avait-il peur ? Pourquoi avait-il peur ?

                Il se souvenait encore des premières choses qu’on lui avait apprises au Walhalla, après comment atteler un cheval ou préparer un guerrier, bien sûr.

    « Les Dieux sont mortels, Thierry. Les pouvoirs régénérateurs du Walhalla nous permettent de nous relever de nos blessures et de nos morts. Je pourrais enfoncer mon épée dans ton ventre, tu reviendrais demain pour faire tes tâches. Mais prends garde… blessures et mort sont définitives lorsqu’elles s’abattent hors du Walhalla et que l’on a manqué le coche… Pérenne n’a jamais voulu dire immortel et invulnérable. Nos vies peuvent prendre fins à la moindre envie des Sœurs de la Destinée… »

                Chacune des blessures qu’il se faisait maintenant pouvaient s’ajouter à celles qu’il avait déjà. Il pouvait mourir une seconde fois… Odin pouvait disparaître…

                Quel esclave de ses temps modernes n’aurait pas bondi de joie à cette simple évocation. Quel esclave n’aurait pas fui simplement, se soustrayant à la main d’un maître, qui guidait sa vie, qui le faisait travailler dix-huit heures par jour. Pourtant, il sentait ses yeux le piquer, sa respiration se hacher et chacun des souvenirs qui lui revenait lui était comme un coup de poignard…

                Il avait énormément d’affection pour Odin. L’homme bourrin qui ne comptait pas le laisser tomber parce qu’il était différent, qu’il n’était pas un guerrier.

                Si marcher dans le noir en s’ouvrant les mains sur des parois trop acérées était la seule chose qu’il pouvait faire, il ne réfléchissait pas une seule seconde. Il se saignerait, que le Walhalla lui soit à nouveau ouvert ou pas.

     

     

                Il faisait plus frais ici. Le froid mordant éperonnait la peau nue de Thierry mais, pourtant, il sentait que la pierre était chaude sous ses doigts. Humide, dégoulinante d’eau mais chaude… De telle sorte qu’il ignorait si le liquide qui avait détrempé ses mitaines et qui mouillait ses paumes était son sang ou cette condensation.

                Toujours était-il qu’il continuait d’avancer. Ses yeux avaient beau tentés de s’habituer à l’obscurité, il ne parvenait pas à s’orienter. La seule chose qui le turlupinait c’était qu’il ne savait vraiment pas où il était. Une galerie, une alcôve ? Oserait-il appelé ?

    - Qui est là ?

                Le garçon sursauta, la main se plaçant sur son cœur qui tambourinait si fort…

                Répondait-il ?

    - Ce n’est pas en restant muet que j’oublierais votre présence. Je vous vois…

    - Chançard… Songea le thrall. Je m’appelle Thierry !

    - Que fais-tu ici ?

                Pourquoi tout le monde le tutoyait-il ? le voyait-on jeune, inexpérimenté ou encore insignifiant ?

    - Et vous ?

                Il entendit un rire.

    - C’est toi qui vient en mon domaine, mon petit…

                Des flammes apparurent dans une main, éclairant de rouge et d’orange un visage imberbe et buriné, dévoilant des cicatrices en tout genre voire des brûlures. La courte chevelure paraissait rousse mais les yeux noirs pétillaient d’une lueur amicale.

                Thierry approcha ses doigts de la dague confiée par son maître, décelant une peau blafarde presque livide caractéristique des Nains.

    - N’utilise pas ça. Ça se voit que tu n’es pas un guerrier.

                L’adolescent força un sourire débordant d’accent douloureux. Il se souvenait de quelqu’un qui lui avait jadis dit qu’il n’avait rien d’un héros… Et il le savait bien : il ne savait ni se battre, ni correctement utilisé la magie des runes. Il n’avait encore jamais vu ça dans les mangas qu’il affectionnait. En même temps, il n’aspirait pas à grand-chose… Il ne l’avait jamais fait.

    - Qui êtes-vous ? Insista Thierry, la main toujours sur la manche de sa dague.

                Le Nain soupira et fit un mouvement de poignet. Les flammes décollèrent et le garçon s’empressa de protéger son visage avec ses avant-bras.

                Un rire éclata et, sous le couvert de ses bras, il remarqua qu’il faisait plus lumineux… des flammèches se tenaient aux quatre coins de la pièce, apportant un peu de visibilité. Aussi voyait-il un Nain portant des habits déchirés mais remarquait-il l’éclat d’une cotte de maille sous ses nippes mais aussi une longue épée à sa ceinture dorée.

    - Je suis Korin. Dit-il enfin.

                Thierry se passa furtivement la langue sur les lèvres.

    - Vous êtes le Korin ? On dit que vous êtes un Nain digne de ce nom…

    - On dit ? Questionna-t-il en haussant un sourcil amusé. Il n’y a qu’une personne que je connaisse qui dit de moi que je suis un « Nain digne de ce nom ». Mais dis-moi, que ferait un gamin dans ton genre avec Odin ?

                Thierry tira sur son écharpe jusqu’à ce que sa gorge soit dévoilée. Avec les éclats de flammes, le rubis qui ornait son collier scintillait.

    - Ah… Un thrall. Où est ton maître ?

    - Saviez-vous ce qui lui arrive en ce moment ?

    - Non.

                Le garçon se demanda s’il pouvait lui porter crédit, lui faire confiance. Mais le temps jouait contre lui et ils étaient dans une caverne sans la moindre sortie si ce n’est celle qu’il avait prise…

    - Il s’affaiblit… Borig lui a donné un brassard…

    - En or et serti de pierres de différentes couleurs ? Demanda le Nain, le sourcil haussé.

                Thierry opina.

    - Une amie m’a donné une rune, elle réagissait étrangement. Odin me l’a fait mettre et rien ne s’est passé.

    - Tu es Humain, thrall. Cette magie ne fonctionne pas sur les Humains…

    - Comment pouvaient-ils savoir qu’Odin m’emmènerait avec lui ?

    - Ils n’y pensaient probablement pas… Il existe une solution.

    - Laquelle ? Demanda Thierry, dissimulant tant bien que mal sa fébrilité.

    - Mène-moi à lui, thrall.

                Le garçon se retint de lui redonner son prénom. C’était un Nain, il était loin d’être son supérieur mais son maître l’estimait. Mieux valait faire profil bas.

                Il se retourna et observa la galerie d’où il venait. Il avait toujours longé le mur, ce ne serait pas trop dur de le ramener jusqu’à Odin. S’il n’était pas déjà trop tard !

                Lorsqu’il avançait, il demeurait dans la lumière des flammes projetées par Korin qui voletaient, fantasmagorique. Il eut le temps de jeter un coup d’œil à ses mitaines. Elles luisaient. Du sang…

                Tant pis.

     

     

                Un halètement résonnait contre les murs. Douleur, faiblesse, impuissance… Voilà tout ce qui y résidait et qui était renvoyé vers Odin sans cesse. Il savait qu’elles étaient siennes. Qu’il était pathétique…

                Entendant un bruit de pas, l’homme utilisa toutes ses forces pour se redresser. Il n’allait pas se montrer faible devant son assistant !

                Son visage s’illumina en voyant la cavalerie revenir. L’affection qu’il avait pour Thierry était écrasée par la joie de retrouver un très vieil ami.

    - Korin ! Dit-il d’une voix enrayée.

    - Bonjour, Très Sage. Ton thrall m’a parlé de ton problème.

    - Quelle joie qu’il t’ait trouvé. Bravo Thierry.

    - Merci, Dieu des Dieux… Murmura le garçon.

                Korin attrapa son épée et l’abattit sur le Dieu. Thierry ne put retenir un cri alors que le sang éclatait en une fontaine morbide. L’Humain se jeta sur le Nain et lui saisit le bras, tirant dessus pour le faire se reculer. Un espoir plus que vain ! Korin ne bougea pas d’un millimètre.

                Par contre, un rire émana.

                Joyeux.

                Et il ne venait pas du Nain qui souriait tranquillement à Thierry, encore accroché à ses biceps.

                Le Dieu se leva et étira ses bras, même celui à moitié découpé et dégoulinant de sang.

    - Je retrouve ma force !

                Il donna un coup de pied dans son membre qui ricocha contre le mur.

    - J’aurais dû y penser immédiatement !

    - Dieu des Dieux !

                Thierry lâcha Korin, retira son écharpe et la tendit à l’homme.

    - Vous allez vous vider de votre sang.

                Odin lui laissa son bras et le garçon tenta de lui faire un bandage tant bien que mal. Le tissu blanc prit une teinte rouge foncé mais ça satisfaisait le Dieu qui lui rendit Polaris.

    - Saviez-vous qu’on voulait tendre ce piège au Dieu des Dieux ? Questionna Thierry.

    - Plus ou moins. Je savais qu’ils comptaient prendre leur revanche un jour. C’est la raison pour laquelle ils m’ont « gentiment sommé d’aller dans les profondeurs de la grotte ». On peut dire que j’ai été banni. Ajouta-t-il dans un rire.

    - Qu’ai-je fait ? Questionna Odin.

    - Je ne sais pas. Tu ne l’as peut-être pas encore fait. Dit Korin en haussant les épaules. Toujours est-il qu’ils doivent déjà festoyer à l’idée que ta mort est proche. Je pense que certains doivent t’attendre pour t’achever.

                Le Dieu grogna et sortit le même quartz que plus tôt dans la journée. Les éclairs s’activèrent, libérant des éclats bleus. L’homme grogna et se frotta le visage.

    - Il nous reste six heures. Je n’aimerais pas perdre un bras après avoir perdu un œil.

    - Tu écoperas d’un nouveau surnom : l’Éclopé ! S’esclaffa le Nain.

                Odin rit de bon cœur en lui mettant la main sur l’épaule.

    - Le Bifröst ne peut-il pas traverser les parois ? S’enquit Thierry.

    - Heimdall pourrait le réactiver. Mais nous ne partirons pas sans Sleipnir ! Où est-il Thierry ?

                Le garçon leva la tête. À l’étage… Mais où comparé à ici ? Et le cheval n’était-il pas déjà en danger ? Les Nains pouvaient se venger sur cette fabuleuse monture…

                Il se gifla mentalement. Non ! Il ne devait pas penser de pareille chose. Il était préférable de garder l’espoir.

                Maintenant, il ne devait pas se tromper de côté. Malheureusement, ses repères pouvaient être biaisés puisqu’ils étaient tombés en catastrophe.

    - Je pense que tu en as trop demandé à ton thrall. Dit Korin. Pourquoi n’utiliserais-tu pas la rune qu’il t’a rendue, thrall ?

                Thierry n’était pas tant surpris. L’échange n’avait pas été très discret et les Nains étaient dotés de pouvoir magique. Pourquoi pas celui de détecter les runes. Aussi, il sortit Polaris et l’observa, essayant de lui insuffler son envie de retrouver Sleipnir. Elle devait fonctionner… Elle pouvait retentir contre l’énergie si particulière du cheval.

    - Thierry…

                Le garçon ne put s’empêcher de rougir et lui donna la pierre. Dès qu’elle tomba sur la paume de l’homme, les galeries s’illuminèrent. D’abord aveuglante, elle s’amenuisa en prenant une teinte dorée et, finalement, ne demeura qu’un seul liseré qui courait sur le mur de droite.

    - Voilà qui est mieux. Approuva Korin.

    - Thierry. Va chercher Sleipnir. Ils ne devraient pas faire trop attention à ta présence. Soit revenu avant six heures. Lui dit Odin.

                Il lui donna le quartz et Polaris que Thierry serra précieusement dans sa main.

    - Prends garde. Dit le Nain. Que les flammes te suivent… Ajouta-t-il.

                Un feu virevolta autour de lui, conférant de la lumière.

    - Et nous…

                Le Dieu attrapa sa hache.

    - Nous attendrons de pied ferme quiconque voudrait tâter de notre fer !

    - Bien sûr ! S’écria Korin.

                Thierry s’inclina, s’obligeant à sourire, et se recula. S’ils continuaient de crier de la sorte, bien sûr qu’ils attireraient des Nains. S’il ne doutait pas de la force du Dieu, même avec un bras en moins, il préférait être très loin à ramener Sleipnir. Il ignorait comment se débrouillait leur sauveur mais il ne doutait pas qu’il devait être particulièrement doué, lui aussi.

                Peut-être que lorsqu’il reviendrait, il les surprendrait dans une scène de bagarre emplie de testostérone comme on les décrivait dans les légendes, comme les films aimaient les retranscrire… Et bien sûr que son Maître ne dirait pas « non » comme il l’avait déjà prouvé.

     

     

                Thierry continuait de suivre le trait de lumière, courant franchement par moment. Est-ce que les galeries lui avaient semblés si longues la première fois ? Avait-il ce sentiment parce qu’il savait que le temps était contre lui ? Probablement…

                Il s’arrêta toutefois en voyant le filin qui remontait. C’était juste au-dessus de sa tête. Mais il ne voyait pas d’ouverture.

    - Polaris… Montre-moi une ouverture…

                La pierre vibra, s’illumina légèrement mais ne fit rien d’autre. Thierry retint un soupir.

                Il avança encore un peu, analysant les environs. Il fouinait, touchait les galeries comme si un chemin pouvait survenir… Mais il doutait que le filin le lui aurait montré s’il y avait une vraie option. Il devait être particulièrement stupide d’espérer trouver une voie vers le haut. Pourtant, il cherchait.

                Il comprima le quartz dans sa main et le fait résonner comme lui avait appris Odin, au moins quelque chose qu’il pouvait faire. En même temps, ça équivalait à regarder sa montre. Et il se serait sentit bien stupide de ne même pas savoir regarder sa montre !

                Plus que cinq heures…

    - Sleipnir ! Tu peux ouvrir une voie ?

                Thierry serra les dents. Il ne savait pas si c’était bien intelligent de crier de la sorte. S’il l’entendait même… Mais que faire sinon ?

                Il analysa les galeries. Le temps n’était vraiment pas son ami, n’est-ce pas ? Tant pis ! Il pouvait le prendre par les cornes qu’il n’avait pas.

                Le garçon courra le long des couloirs, cherchant le moindre interstice, le moindre trou dans l’espoir qu’il mène vers le haut au final. C’était mieux s’il pouvait trouver une cavité qui l’y menait sans difficulté. Qui pourrait espérer cela ?

                Devait-il faire appel à tout et n’importe quoi tant qu’il survenait à ses fins ? Pouvait-il se le permettre ?

                Non…

                Il ne devait pas.

     

                Soudainement alimentée d’un air frais, les flammes s’étendirent. Thierry eut juste le temps de bondir sur le côté, évitant de se faire brûler au troisième degré.

                Il souffla et resserra Polaris dans sa main alors que des petits éclairs jaillissaient du quartz. Simple électricité statique qui faisait fourmiller ses doigts et lui donnait l’impression que ses cheveux se dressaient sur sa tête.

                Il remarqua alors un trait de lumière, fin mais présent. Aurait-il seulement pu y glisser un index ? Il ne pensait pas. C’était l’heure de s’armer d’espoir !

                Il installa le quartz et la rune dans la petite bourse accrochée à sa ceinture et s’accrocha au mur. Il trouva une première pierre suffisamment saillante et enroula sa main autour pour tenter de grimper. Son pied ripa sur la paroi, le jetant lamentablement au sol. Il ferma les yeux alors que des étoiles semblaient danser rien que pour lui.

                Il porta sa main à sa bourse et soupira.

    - Pourquoi rien ne fonctionne Polly…

                Il se redressa péniblement et osa récupérer la rune.

    - Polaris !

                La pierre vibra. À peine.

    - Fait quelque chose… Polaris !

                La rune s’illumina.

                Le plafond trembla. Des petites pierres se décrochèrent, l’une d’elle manquant de lui écraser le pied. Il bondit sur ses jambes et s’éloigna.

    - Merci, Polaris. Sourit-il.

                L’ouverture s’offrait à lui ! Restait maintenant à réussir à grimper à cette paroi. Il serra les dents. Il devrait bien réussir sauf s’il voulait finir écraser, enseveli sous tous ses rochers. Là, pas question qu’on vienne le rechercher.

                Il s’approcha du mur et retira ses mitaines qu’il passa à sa ceinture. Il enfonça ses paumes dans les roches et contint sa douleur. Le sang dégoulinait sur ses poignets. Ça irait… Il devait juste s’assurer de ne pas tomber. Même au prix de ces douleurs… Ça irait…

    - Ces idiots ! Cria une voix en haut. Je n’arrive pas à y croire ! On vous demande de forger une épée, pas de tout faire exploser ! Regardez ce travail !

                Thierry ne put s’empêcher de rire, oubliant sa douleur. Allons ! Polaris ne l’avait pas aidé.

                Si c’était l’une des Sœurs du Destin, ça lui convenait aussi. Peu importe les moyens tant qu’il arrivait à Sleipnir !

                Il grimpa alors, serrant les dents dès que la douleur se faisait trop forte. Il jeta un coup d’œil en l’air pour s’assurer qu’il n’y avait personne et sortit difficilement de la cavité. Il entendait une Naine crier sur des hommes un peu plus loin, seul des rires provenaient d’eux comme s’ils n’en avaient rien faire des remontrances.

                Thierry pressa ses mains sur son pantalon pour minimiser l’afflux de sang et il chercha du regard après les écuries. Pourtant, ce fut son nez qui lui indiqua le chemin optimal.

                Il s’encourut alors vers l’odeur rance et âcre de fumier et de cheval. S’en rapprochant, il longea le mur, vérifiant constamment à droite et à gauche. Son dos lui faisait mal et il se remémora tout ce qu’il avait déjà subi. Pire que ça…

    - Vraiment ! Pauvre idiot ! Quand Norôrfjall ne sera plus par votre faute, vous ne rirez plus autant ! Criait la Naine.

                Thierry se figea. Ça se rapprochait ! Il s’éloigna du mur pour filer vers l’ouverture.

    - Oh ! Qui êtes-vous ?

                Le garçon s’arrêta et pinça les lèvres. Que devait-il dire ? Ça se voyait qu’il n’était pas un Nain. Ses bras malingres, la coloration verte flashy de ses cheveux qu’il n’avait jamais perdue et même ses taches de rousseur quand il faisait front. Il n’oubliait pas non plus sa peau bien trop halée qui criait qu’elle avait souvent vu le Soleil.

                Il n’allait pas mentir. Ce serait bien inutile.

    - Le thrall du Dieu des Dieux. Sourit-il en se tournant vers elle. Je m’occupe de Sleipnir durant les festivités… Lorsque j’ai entendu cette explosion, j’ai été surpris.

    - Ah ! Dwill et Gohor sont des idiots !

                La femme le dépassa et rentra dans l’écurie en premier.

    - On dirait que les chevaux ne sont pas trop inquiets. Désolé de vous avoir fait peur !

                Elle sourit et ressortit de l’écurie. Thierry s’obligea à sourire, empêchant son sourcil de se hausser. Était-ce de la chance ? Il n’allait pas s’en plaindre… Surtout après toutes ses misérables tentatives.

                Il regagna l’écurie et ouvrit le box de Sleipnir pour atteler l’animal qui agitait les sabots. Thierry lui caressa l’encolure pour le calmer et attrapa ses rênes. Le cheval secoua la tête et lui donna un coup de boule.

    - Aie… Sleipnir ?

                L’étalon lui désigna la selle.

    - Tu penses que je peux monter sur toi ?

                La bête opina.

    - Tu lui expliqueras, au pire… Hein ?

                Nouveau hochement de tête. Thierry força un sourire. En fait… Il y avait un autre souci. Il n’avait jamais fait d’équitation ! Il avait déjà souvent vu des cavaliers monter à cheval mais le reproduire…

                Il savait tout du moins que Sleipnir serait plus rapide que lui et il devinait sans mal que, lui, saurait retrouver son Maître sans soucis.

                Bien !

                Il s’en remettait à lui en ce cas.

                Il s’accrocha aux rênes et essaya une première fois de grimper en selle comme il l’avait vu tant de fois.

                Un échec. Bon… Il n’était plus à ça près.

                Il retenta plus de dix fois avant d’enfin parvenir à se mettre sur selle. Sleipnir poussa un léger hennissement et sortit de l’écurie. Il repéra immédiatement le trou et s’avança pour se jeter dedans. Ses sabots ne rencontrèrent jamais le sol et, voguant, il suivit le parcours que Thierry avait lui-même emprunté. Mais sans le filin coloré qui avait disparu…

                Le cheval courait dans les galeries. Aussi, Thierry se permit de récupérer le quartz. Encore quatre heures et demie. Ça irait… Il avait confiance dans ce fier destrier.

     

                Comme ils se rapprochaient de l’endroit où étaient restés Odin et Korin, Thierry entendit des cris, du fer, de la liesse. Surtout de la liesse.

                Sleipnir s’arrêta, renâcla et lui fit un signe, tapant le sol. Thierry descendit péniblement de la monture et s’accrocha à ses rênes. Il eut un petit coup de museau puis la bête se remit en marche. Si le garçon avait peur, la vision d’horreur qui l’attendait n’était que celle des cadavres de Nain. Hommes ou femmes. Il avançait dans des flaques de sangs qui giclaient régulièrement sous ses pas ou ceux de l’étalon.

                Ils traversaient un charnier immonde au milieu duquel se tenaient le Dieu et son ami Nain. Leurs armes luisaient de sang et les flammes orange leur conféraient un aspect encore plus effroyable.

    - Dieu des Dieux…

    - Thierry ! Ce n’était pas trop tôt ! Lança-t-il avec amusement.

                L’écharpe qui entourait son bras s’était un peu défait et le rouge s’était étendu. Mais il ne semblait plus saigner… Thierry redoutait un peu qu’il se soit infligé une blessure pire encore pour calmer l’écoulement.

    - Les Nains vous ont trouvés…

    - Oui. Mais nous les avons tués ! Ce n’est pas aujourd’hui qu’ils m’auront ! Ils oublient que je dois mourir au Ragnarok !

                Odin s’avança vers Sleipnir sur lequel il grimpa dès qu’il eut flatté la bête.

    - Heimdall ! Envoie le Bifröst !

    - Et vous, Monsieur Korin ? Demanda Thierry en rejoignant le flanc de l’étalon.

    - Je vais quitter Norôrfjall. C’est le mieux à faire. D’autres quêtes m’attendent. Je peux être utile pour le Monde tant que mon temps s’écoule.

                Thierry opina.

    - Je vous souhaite bonne chance, et de réussir ce que vous désirez.

                Le pied de l’Arc-en-ciel enflammé apparut au milieu des corps éviscérés.

    - J’espère que nous nous reverrons, Korin. Sourit Odin.

                Il fit signe à son esclave qui grimpa sur le pont vaporeux. Il s’inclina une dernière fois à l’adresse du Nain et courut pour regagner Asgard. Il entendait les sabots de Sleipnir derrière lui et, bien vite, il l’eut dépassé. Le pont se déforma. D’un seul coup, ils se retrouvèrent de l’autre côté, dans la demeure d’Heimdall.

                Il ne dormait pas, bien sûr. Il ne le faisait jamais. Et ce malgré la nuit noire qui s’étendait sur la montagne.

    - Dieu des Dieux ! Dit-il en s’approchant.

                Il jeta un œil au bras au moignon entouré par l’écharpe du garçon.

    - Nous sommes rentrés ! Ce n’était qu’un traquenard mais j’ai pu livrer un magnifique combat avec Korin ! C’était magnifique ! Thierry…

                Le thrall accourut à son côté. L’homme retira le tissu blanc et le rendit à l’adolescent, découvrant des traces de calcination sur les restes de son bras.

    - Dieu des D…

    - Ramène Sleipnir à son écurie et va te coucher.

    - Oui.

                Il serra l’écharpe contre son torse et récupéra les rênes de l’étalon. Il attendit que l’homme en descende pour mener la bête à sa suite. Lui aussi, il avait besoin de se reposer, de boire de l’eau fraîche et de manger des légumes.

     

     

                Thierry regarda Sӕhrímnir courir allégrement dans la prairie, mangeant l’herbe et dérobant quelques feuilles aux arbres. Il revint à ses blessures. Certaines demeuraient, toute celle de sa vie d’avant mais d’autres se résorbaient comme les immondes blessures qui déformaient ses paumes.

                Il récupéra son baquet d’eau et lava son écharpe. Il savait qu’à cette heure-ci, le bras d’Odin se reformait. De cette mésaventure, son maître ne se souviendrait que de la bataille, il ignorerait la trahison…

                Thierry eut un sourire en voyant le blanc revenir sur son écharpe. Malgré ce qu’il s’était passé, il espérait qu’il pourrait réaccompagner l’homme dans une autre aventure. Même s’il persistait à croire que Midgard était une terre bien trop funeste !


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