• Poser un lapin

    Assisse dans son somptueux trône à Fensalir, Frigg tissait les nuages en filin d'or, ses servantes afférées autour d'elle pour satisfaire la moindre de ses demandes. L'un des fils s'enroula autour de son doigt et elle se figea dans son geste. Elle caressa lentement la ficelle, les yeux s'écarquillant doucement.

    - Hlín ! Va me chercher Thierry !

    - Que se passe-t-il ? Se soucia la servante.

    - Je dois descendre sur Midgard pour m'occuper d'une de mes protégées, Oivi Virtanen. Annonça-t-elle.

    - Dois-je vous accompagner ? Questionna Fulla.

    - Ce ne sera pas nécessaire.

    Hlín s'inclina et partit vers le Walhalla. Elle traversa la plaine en soulevant légèrement les pans de son épaisse robe bleue mouchetée de paillette dorée et traversa l'une des portes. Ses pas la menèrent bien vite dans la salle du Trône. À cette heure-ci de la journée, Odin était absent mais ce n'était pas le cas du dénommé Thierry. Assis au pied du somptueux trône du Dieu, entre deux immenses loups qu'il nourrissait, on découvrait le garçon.

    Un freluquet qui faisait bien peine à voir dans un domaine où la puissance était une chose si importante.

    - Thierry ?

    Le garçon releva la tête en caressant le poil noir d'un des canidés. L'autre était occupé à dévorer du poulet dans sa main en tentant de ne pas lui dévorer les doigts.

    - Dame Hlín.

    Thierry se leva et s'inclina bien bas, son écharpe blanche retombant et l'obligeant à la réajuster. Il essuya ses mitaines devenues poisseuses sur son pantalon et s'approcha de la femme.

    - Que puis-je pour vous ?

    - C'est Frigg elle-même qui m'envoie auprès de vous. Elle descend sur Midgard et souhaite que vous la rejoigniez.

    Il jeta un coup d'œil vers les deux molosses qui avaient la gueule perdue dans le cabas de paille pour dévorer le maigre contenu restant.

    - Bien. Freki et Geri, j'y vais, soyez sage. Dit-il.

    Les loups, trop occupés à se battre pour un reste de pitance, ne réagirent même pas. L'adolescent suivit la servante dans les couloirs du palais, le long de la plaine et, finalement, dans la somptueuse demeure de Frigg. Il la connaissait pour y avoir quelquefois servi puisqu'il devait tant servir Odin que sa femme. Bien sûr, il préférait lorsque la femme demeurait dans l'illustre palais du Dieu des Dieux, là où il passait le plus clair de son temps… mais il n'avait jamais eu le luxe d'avoir le choix.

    Traversant quelques couloirs richement décorés d'or à ne plus en pouvoir, ils survirent dans la chambre de Frigg. Fulla aidait la Déesse à se parer de sa robe de plume de faucon et de tous ses bijoux.

    - Te voilà, Thierry.

    - Oui. J'espère que je ne vous ai pas fait trop attendre, Dame Frigg.

    - Ne t'inquiète pas, je viens de finir de m'apprêter. Nous partons pour Midgard, en Finlande. Accompagne-moi auprès d'Heimdall. Dit-elle.

    - Bien, Dame Frigg.

    Bien que surpris d'être commandité par la Déesse, il lui emboîta le pas dès qu'elle sortit. Déjà petit de base, il paraissait encore plus minuscule à côté de la femme qui mesurait près de deux mètres. Aussi, il trottinait à côté d'elle pour rattraper ses immenses enjambées.

    Il était déjà essoufflé lorsqu'ils arrivèrent en bas de la montagne qui soutenait Himinbjorg, le palais du Dieu. Leur destination s'ils désiraient prendre le Bifröst et se rendre sur Terre.

    La femme ne se préoccupa guère de son état en grimpant les marches taillées dans le versant. Le garçon la suivit aussi vite qu'il le pouvait, courant franchement cet escalier raide. Il manqua de tomber à genoux lorsqu'il parvint tout en haut mais s'obligea à continuer d'avancer puisque la Déesse n'était plus là, probablement occupée avec Heimdall.

    Il força sur ses jambes alors que son cœur battait la chamade. Heureusement, il était déjà mort bien des années auparavant et ne pourrait succomber juste à cela.

    Il n'était dès lors que peu surpris que la femme était déjà prête à partir. Elle ne porta qu'un faible regard sur le garçon qui sourit faiblement, s'inclina profondément devant le Dieu, et s'empressa de suivre Frigg.

    Ils s'engagèrent sur l'arc-en-ciel enflammé et, à peine quelques mètres plus tard, arrivèrent dans une rue de Finlande. Elle désigna d'un doigt gracieux une maison qui ne se détachait en rien des autres demeures à cause des briques beiges, du toit de tuile brun-noir et des fenêtres aux voilages fins.

    - C'est là que nous allons. Dit-elle.

    Comprenant le message sous-jacent, pour y avoir plus d'une fois été confronté, Thierry s'avança et sonna.

    La porte ne tarda à s'ouvrir sur une fillette d'une dizaine d'année. Elle sourit en prenant un panier portant de nombreux œufs en chocolat et quelques autres peints dans de belles couleurs.

    - Sorcier, sorcier, dis ta formule !

    - Ma… formule ? S'étonna Thierry.

    - Tu as des taches de rousseur et tes cheveux sont colorés ! Tu n'es pas un sorcier ?

    L'adolescent passa nerveusement sa main dans ses cheveux châtains qui viraient au vert flashy. Une excentricité du temps où il était vivant et qui avait toujours perduré.

    - Je ne suis pas un sorcier. Mais ma Dame désire…

    Il se tourna vers la Déesse. Il ne savait même pas ce qu'elle voulait ici, à vrai dire.

    - Je suis venue voir Oivi Virtanen.

    - Oh ? Oivi ? C'est ma mamie ! Venez, venez ! Vous êtes une amie de ma mamie ? Demanda-t-elle.

    - En quelques sortes. Sourit Frigg.

    Elle entra en premier et laissa le garçon la suivre et fermer derrière lui.

    - Demeure au salon, j'ai un travail à faire. Dit-elle en vieux norrois.

    - Oui, Dame Frigg.

    Il sourit et, n'ayant pas été guidé jusqu'à la pièce à vivre, attendit simplement dans le couloir tandis que la fillette menait la femme dans la chambre de sa grand-mère. Thierry en profita pour jeter un coup d'œil aux photographies installées un peu partout.

    Il patienta un moment avant que la petite fille ne revienne en courant vers lui. Elle s'accrocha à son bras en souriant.

    - Sorcier ! La graaaande madame elle dit « Okupeuh touwah de lenfent » !

    Les derniers mots avaient été prononcés en vieux norrois dans un accent épouvantable. Thierry écarquilla les yeux et dû se les répéter pour comprendre ce qu'il en retournait.

    - Oh. Raconte-moi à propos de ces sorciers. Pourquoi tu crois que j'en suis un ?

    - À Pâques, les sorcières vêtues de vieux vêtements multicolores et de taches de rousseur viennent apporter la bonne fortune ! Lança-t-elle.

    Elle tira sur les braies que Thierry portait. Il eut un rire nerveux. En effet, avec sa tenue tout droit sortie de l'époque où les vikings étaient la force dominante, il était comme déguisé alors que c'était la norme là-haut. Si ce n'était qu'il avait découpé, mal habilement, les manches de sa chemise car elles se prenaient partout et qu'elles finissaient toujours tachées de sauces lorsqu'il ne les retroussait pas lui-même. Bien sûr, en hiver, ce n'était plus la même chose…

    - Et elles portent tout plein de couleur, comme toi.

    Elle saisit cette fois son bras et lui rappela la douleur qui courait si régulièrement dans ses membres.

    - Pourquoi tu portes la couleur là ? Demanda-t-elle en enfonçant son doigt dans une tache mauve qui ornait sa chair.

    On découvrait du vert, du bleu ou du jaune. De quoi avoir l'air fantasque pour un enfant qui ne se rappelait pas, ou n'avait jamais subi d'hématome. Ou peut-être pas autant ?

    - C'est quelqu'un qui me les a faits. Que font les sorciers ?

    La petite l'observa, tant la chevelure verte que la petite tresse qui soulignait son visage. Autre particularité qu'il portait déjà bien avant d'être admis à Asgard.

    - Les sorcières font…

    La petite fila dans le jardin et elle courut vers un saule pour ramasser des branchettes qui en étaient tombés. Elle rejoignit Thierry qui la suivait et lui mit l'un des rameaux dans la main.

    - Il faut en faire des baguettes colorées avec des rubans !

    Et elle repartit dans la maison.

    Le garçon eut un pâle sourire et lui emboîta le pas. Habitué à servir un Dieu de la guerre, à faire les caprices d'Ases, et même de Vanes, tout puissant et à nourrir des bêtes tant animales qu'humanoïde, le baby-sitting était un peu surprenant pour lui. Même lorsqu'il était encore vivant, on ne lui avait jamais confié le moindre enfant. Juste l'entretien du magasin de manga que tenaient ses parents. Et à en croire sa mère, c'était déjà bien trop pour quelqu'un comme lui…

    - Regarde !

    La fillette prenaient des rubans et essayaient de les attacher sur sa branche mais n'y parvenait pas. Ses joues se gonflèrent.

    - Attends.

    Le garçon s'approcha d'elle et lui montra comment accrocher un ruban. Les yeux illuminés, la petite s'empressa de l'imiter pour les autres fanfreluches.

    - Fais-le aussi ! Invita-t-elle.

    - Oui.

    Thierry se retrouva donc à attacher des tissus colorés à une branche.

    - Je ne connais même pas ton prénom à toi. Moi, c'est Thierry.

    - Anna-Lisa ! Sourit-elle.

    - D'accord… Tu vis seule avec ta grand-mère ?

    - Oui !

    Thierry s'obligea à sourire alors qu'il éprouvait de la tristesse pour elle. Il regarda le calendrier et songea que ça faisait trois mois qu'il était mort pour sa famille. Combien de temps cette fillette avait vécu sans ses parents ? Et si Frigg était là-haut c'était que la vieille femme s'apprêtait à offrir son dernier souffle. Qui s'occuperait alors de cette innocente petite ?

    - Et alors ?

    Anna-Lisa bondit sur ses pieds et agita sa baguette féérique.

    - J'agite mon rameau ici, je l'agite là : santé et bonheur sur toi pour l'année qui vient ! À toi ce rameau, à moi un cadeau !

    Thierry haussa un sourcil mais sentit une chaleur étrange contre sa cuisse. Il ouvrit sa bourse, accrochée à sa ceinture, et jeta un coup d'œil à la rune blanche qui y résidait.

    - C'est la formule qu'il faut dire ! Tu la retiendras ? Demanda-t-elle.

    - Euh… Je peux la noter ? Questionna-t-il.

    - Oui !

    Elle sourit en répétant en boucle la formule. Elle trouva un post-it et un stylo et présenta le tout à Thierry pour qu'il écrive ce qu'il comprenait dans ce charabia monté en boucle. Et, malgré la mitaine qu'il portait, il sentit que la rune chauffait de plus en plus.

    - C'est… C'est bon, j'ai noté. Dit-il nerveusement.

    La pierre était bouillante.

    Il la rangea dans la bourse et observa sa mitaine. De la fumée s'en échappait, non ?

    Il pressa son avant-bras, au prix de douleurs qu'il regretta, et força un sourire vers la fillette.

    - On va voir les voisins pour leur souhaiter la bonne fortune ? En plus ! On aura du chocolat en retour.

    - Comme… à Halloween ?

    - Peut-être… Dit Anna-Lisa, les yeux grands ouverts. D'habitude je faisais ça avec grand-mère. Mais elle est tout pas bien…

    - Je peux peut-être t'accompagner mais si la grande Dame qui était avec moi accepte. Je vais lui demander. En attendant, tu veux bien rendre mon rameau plus joli ?

    - Oui !

    Thierry sourit et lui confia la branche avant de partir vers l'étage.

    Il était à la moitié des escaliers lorsqu'il se figea soudainement et tourna la tête. Il lui avait semblé voir quelque chose. Portant sa main à sa bourse pour s'assurer que la rune y était bien enfermée, il se rassura légèrement. Il devait se faire des idées. Cette réaction peu habituelle de la pierre le poussait à s'inquiéter de presque tout.

    Il grimpa les dernières marches et se dirigea vers la chambre où il entendait des éclats de voix. Il hésita mais frappa timidement à la porte.

    - Oui ? Invita une vieille voix chevrotante et hachée.

    Le garçon ouvrit légèrement.

    - Dame Frigg ? La petite Anna-Lisa me demande si nous pouvons allons voir les voisins pour leur souhaiter la bonne fortune en échange de… chocolat.

    - Ah… Oui, vas-y. Mais prends garde. Dit-elle.

    - Oui, Dame Frigg.

    Il s'inclina et redescendit auprès de la petite qui avait ajusté le rameau. De plus, elle avait aussi filé dans sa chambre, au rez-de-chaussée, et portait maintenant une robe multicolore.

    - On peut, on peut ?

    - Oui !

    Thierry lui tendit la main. Elle lui prit et l'emmena à l'extérieur. Ils marchèrent dans les rues où on voyait quelques fillettes avec leurs parents, elles-mêmes occupées à sonner à toutes les portes.

    Ça rappelait vraiment Halloween au garçon mais il ne comptait pas entacher la joie d'Anna-Lisa. D'autant plus qu'il ignorait ce qu'il se déroulerait lorsqu'ils rentreraient dans la maison. Il préférait ne pas y penser…

    µµµ

    Anna-Lisa donna les clés à Thierry et sautilla alors qu'il ouvrait la porte pour elle. La petite se glissa dans le hall et poussa un cri de joie.

    - Regarde !

    Sous leurs yeux, ils découvraient des œufs en chocolat ou décorés un peu partout. Thierry fronça les sourcils, surpris. Dame Frigg ne se serait jamais embêtée à jouer au lapin de Pâques… Quand bien même son mari était le Père Noël une fois l'année terrestre.

    Le garçon eut subitement un doute alors que la petite, panier au bras, le remplit avec toutes ses trouvailles.

    Thierry ferma derrière eux et il se dirigea vers le salon. Là aussi, il y avait des œufs partout. Qu'on les décèle aisément ou qu'il faille un peu plus chercher. Il grimpa à nouveau les escaliers. Ça faisait maintenant deux heures et demi qu'ils étaient partis et il espérait bien que la Dame ait fini…

    Quoique.

    Il ne devait pas souhaiter la mort de cette inconnue.

    Même s'il avait l'habitude de flirter avec les défunts puisqu'il vivait en son royaume…

    Il s'approcha de la porte en chassant ses idées lorsqu'il la vit s'ouvrir. Frigg s'abaissa pour éviter le haut du chambranle et observa les œufs disséminés un peu partout.

    - Je pensais que tu allais seulement chercher des œufs.

    - Je l'ai fait, Dame Frigg. Lorsque nous sommes revenus, tout était ainsi. Je pensais que c'était vous qui aviez préparé tout cela.

    - Non. J'ai été occupé avec Oivi Virtanen durant tout ce temps. Elle a enfin succombé. Expliqua-t-elle.

    - Qu'était-ce ?

    - Un cancer. Sans drogue, ils sont pénibles. Je me suis occupé de soulager ses douleurs.

    - Que va-t-il se passer pour Anna-Lisa ? Demanda le garçon.

    - Ses parents viendront la chercher.

    - Elle m'a dit qu'elle vivait seule avec sa grand-mère…

    Frigg caressa le crâne de Thierry.

    - Seulement durant les vacances de Pâques. Sourit-elle. Je me suis arrangée pour que Oivi Virtanen les appellent en disant qu'elle sentait sa dernière heure venir. Il est possible que la petite ne voie jamais ce cadavre. Mais… si elle le voyait, ça lui apprendrait beaucoup. Releva la Déesse en se dirigeant vers les escaliers.

    Le garçon reconnut bien là l'esprit guerrier propre à Asgard.

    - Pour les œufs…

    La femme se tourna vers Thierry et lui tendit la main.

    - Peux-tu me prêter ta rune ?

    L'adolescent n'attendit pas une seconde de plus pour l'ôter de sa bourse et la tendre à la Déesse. Celle-ci l'observa un instant.

    - Elle a été activée, n'est-ce pas ? J'ai senti son énergie à un moment… Peu avant que tu ne viennes nous voir la première fois.

    - Oui. Anna-Lisa a répété régulièrement une formule… « J'agite mon rameau ici et là. Santé et bonheur pour l'année qui vient. À toit ce rameau et à moi ce cadeau ! ».

    - Presque. Sourit Frigg. Cette petite doit avoir du sang de Völva en elle. Sa magie a influé sur la rune et c'est son désir d'enfant qui a fait ceci. Viens.

    La Déesse lui jeta la pierre puis descendit les marches. Thierry réceptionna péniblement la roche, manquant de la faire tomber trois fois, et la suivit en rangeant la rune dans sa bourse.

    Comme ils arrivaient dans le salon, la femme lança un sourire à Anna-Lisa accaparé par sa chasse.

    - Regarde ! Thierry !

    La petite courut vers le garçon et lui donna un gros œuf en chocolat.

    - C'est pour toi ! Je vais en trouver d'autres ! Jura-t-elle.

    - Merci. Lui dit-il.

    - Tu voudras un panier ?

    - Bien sûr qu'il en voudra un. Répondit Frigg en tapotant la tête de l'adolescent. Tous les enfants devraient faire la chasse aux œufs. Mais il va d'abord m'accompagner dans le jardin.

    - D'accord !

    La petite tendit un œuf fourré à la praline à la Déesse. Celle-ci lui fit une référence puis partit vers l'extérieur. Thierry sourit à la gamine et s'empressa de trottiner derrière sa maîtresse.

    - J'ai au moins cinq cent ans… Se permit-il.

    - Mais tu auras toujours quatorze ans dans ton cœur. Sourit-elle.

    Elle ouvrit la porte et lui dévoila un jardin également parsemé d'œuf colorés, parant les herbes, les buissons et les arbres d'étranges fleurs.

    Et là, près d'un rosier aux épines cruelles, un lapin doré portant un ruban rouge se détachant. Thierry ouvrit des yeux surpris. Quelle couleur particulière ? Voir un animal arborant du jaune aurait déjà été surprenant mais ces éclats était encore plus stupéfiant.

    La stupeur fut incomparable lorsqu'il vit un œuf en chocolat tomber de son arrière-train. Il revêtait déjà un emballage lumineux et séduisant. Le lagomorphe sautilla vers un autre coin du jardin.

    La femme souleva les pans de sa robe de plume qui s'embourbait sans prendre une seule trace brune et s'approcha. Elle attrapa la créature d'une main habile digne de la chasseresse qu'elle était à ses heures perdues, digne de la femme du grand Odin.

    Elle revint vers le garçon et lui tendit l'animal qu'elle tenait par la peau du cou.

    - Cette enfant à créer tout ce qu'un enfant peut vouloir à la période de cette année. Avec une rune aussi puissante que la tienne, des vestiges de pouvoirs de Völva et une vieille incantation de sorcière, voilà ce qu'on peut obtenir.

    Thierry prit l'animal dans ses bras.

    - Vous voulez dire qu'elle est capable d'utiliser ma rune et pas moi ? Dit nerveusement le garçon.

    Il regarda le lapin et lui ajusta son ruban d'une main. Un travail qui lui avait suffisamment incombé pour qu'il y réussisse. Il se permit de caresser le pelage du bout des doigts. Il était si doux…

    - Je ne dirai pas cela. Tu réussiras un jour, Thierry. Les enfants ont une pureté inégalable.

    La femme se dirigea vers la porte.

    - Oh… La magie qu'il dégage est sans appel. Il ne pourra vivre qu'une seule journée.

    - Une seule journée… Répéta Thierry.

    Elle lui sourit et rentra dans la maison. Le garçon se précipita à sa suite et referma soigneusement même si Anna-Lisa ne manquerait pas de sortir. Il rajusta son écharpe pour éviter que la bête ne se fasse les dents dessus.

    Lorsqu'ils arrivèrent dans le salon, Anna-Lisa brandissait joyeusement un panier.

    - Tiens, Thierry ! C'est le tien !

    - Merci.

    - Veux-tu que je tienne ton lapin pendant que tu t'amuses ? Demanda Frigg.

    - Euh… Oui. Je vous ramènerais plein d'œufs. Sourit-elle en lui tendant l'animal.

    - Merci beaucoup.

    Elle lui caressa la tête et arrangea les pans de sa robe avant de s'asseoir dans un sofa après s'être assurée qu'elle n'écraserait pas d'œufs.

    µµµ

    Thierry agita la main vers Anna-Lisa qui leur avait offert un second panier. Dans ce dernier, il ne reposait que les œufs dorés, ou presque, du garçon. Il les avait tous mis là à l'attention de sa Maîtresse sachant son affection pour cette couleur. Qu'importe si elle ne mangeait jamais ces douceurs et ne faisait que les utiliser comme fioritures.

    La petite referma la porte alors que le garçon secouait toujours la main, un peu plus inquiet. Ses parents n'arriveraient que dans une demi-heure.

    La Déesse posa sa main sur l'épaule de l'adolescent.

    - Heimdall ! Abaisse le Bifröst. Cria-t-elle.

    Le pont survint et elle s'y engagea en poussant le serviteur à faire de même. Ils arrivèrent dans la demeure de Heimdall qui les salua.

    - Vous avez une bien belle prise. Sourit-il.

    Tenant son lapin dans ses bras, le garçon s'avança et tendit son panier au Dieu qui se permit de prendre un œuf dur bariolé.

    - Merci, Thierry.

    Il cassa la coquille sur son brassard d'or et libéra bien vite cette collation.

    - Rentrez bien. Invita l'homme.

    - Merci. Dit Frigg.

    Elle partit avec le serviteur de son époux et ils redescendirent la montagne pour regagner la salle principale du Walhalla. Les loups se disputaient alors qu'Odin était dans son Trône.

    - Ah ! Cher époux, vous voilà revenu.

    - Où étiez-vous, ma chère ?

    - Partie soutenir une âme plongée dans la souffrance pour sa mort. Hel est venue la chercher.

    - Parfait.

    - Thierry a pu participer à une chasse aux œufs.

    Les loups regardèrent vers le panier du garçon, la langue pendante.

    - Donne-moi quelques-uns de tes œufs pour les sauver de ces morfales.

    - Je pensais en distribuer à tout le monde avec votre permission. Dit Thierry.

    - Alors je prendrais ton panier pour les sauver. Sourit Frigg.

    L'adolescent lui confia les œufs, en prenant toutefois deux. Il s'approcha à peine des loups qu'ils se jetèrent sur les friandises, sans même attendre qu'ils soient décortiqués. Le garçon rit sans en proposer à son Maître. Seulement parce que l'homme ne mangeait jamais…

    - J'ai offert ce lapin à Thierry. Dit Frigg.

    - Ah oui ? Comment s'appelle-t-il ?

    - Je l'ai appelé Lindt ! Sourit Thierry.

    - Joli nom. Va donc le mettre dans ta chambre et revient t'occuper de ces deux affamés. Et de mon vin. Ainsi, tu pourras distribuer et mettre tes œufs en lieu sûr… Pendant que ma chère épouse me raconte sa journée et que je lui narre la mienne.

    Frigg rit et confia les paniers au garçon qui s'inclina et partit en courant.

    Thierry ne pouvait s'empêcher de sourire. Il avait tout de même la joie d'avoir deux Maîtres qu'il appréciait et qui l'appréciaient en retour.

    Il regarda Lindt qui était blotti tout contre lui. Vivre une seule journée pouvait s'apparenter à l'éternité lorsqu'elle se reproduisait sans cesse…


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  • Le sang de Zhong Kui est la première nouvelle de l'arc Chinois enclavé dans l'arc asiatique. L'arc asiatique prendra un héros ou une héroïne différent par pays. Rencontrez donc Shun !


     

    Le sang de Zhong Kui

     

                Soudainement, un tigre apparut dans la ville, ses griffes martelèrent le sol alors que son museau était à l’affut de la moindre nourriture. Il demeurait bien quelques tranches de viandes qu’on humait depuis les poubelles gorgées de détritus en tout genre. Simplement se perdre dans une de ses bennes lui aurait permis de se sustenter pour plusieurs jours.

                Mais il dédaignait chacune de ses options.

                Sa grosse tête s’immobilisa vers un groupe de jeunes filles qui riaient en regardant leur téléphone. L’une d’elle redressa la tête et croisa le regard félin. Elle ne put retenir un hurlement de terreur. Ses amis redressèrent alors la tête à leur tour.

    - Q…

                Elles crièrent à leur tour.

                L’une d’elle sortit un briquet pour se défendre si la bête escomptait les attaquer. L’animal se lécha les babines, les yeux pétillant dans la nuit malgré les lueurs de la ville. Il s’approcha sans la moindre inquiétude. Des filins de buées sortirent des lèvres des demoiselles. L’une d’elle s’effondra sur le sol, la main pressée contre son cœur qui ralentissait petit à petit.

    - N… Non…

    - Sheng ! Cria une des filles. À l’aide ! À l’aide, appela-t-elle.

                Elle écarquilla lorsque son souffle commença à s’amenuiser à son tour.

                Le tigre se rapprochait.

                Elle porta se doigts à ses tempes et se raccrocha à ses autres amies mais elles perdaient également leur contenance. L’une d’elle s’effondra en gémissant er puis ce fut son tour, les yeux exorbités, les lèvres pâles.

                Sa vie lui était injustement dérobée…

     

     

                Shun Wang avala un verre de baijiu avant de frapper dans ses mains et de les dresser vers le ciel. Ling rit à côté d’elle et lui resservit un doigt d’alcool. Un téléphone sonna. La jeune femme haussa un sourcil et attrapa l’appareil si bruyant. Après un simple coup d’œil, elle poussa un large soupir mais décrocha malgré tout.

                L’homme s’étira légèrement, l’observant alors qu’elle lançait un « allô ? » mielleux. Il savait qu’elle partirait bien vite. Plus qu’une question de minutes. De secondes ? Il savait ce qu’elle dirait ? « Quoi ? Quand ? Où ? Combien ? », elle se lèverait et partirait.

                Quand ? C’était la seule question à laquelle il pouvait répondre. La réponse était toujours, quoiqu’il se passe : immédiatement. Il se leva, débarrassa et se rendit vers le vendeur, posant les assiettes et attendit qu’il lui dise le montant à payer pendant que d’autres employés allaient prendre le caquelon d’huile parfumée.

    - Merci beaucoup, nous espérons vous revoir bientôt.

    - Moi de même. Vous avez toujours une nourriture aussi délicieuse.

    - Merci.

                Ils inclinèrent doucement la tête l’un envers l’autre. Ling retourna vers Shun qui venait de raccrocher.

    - J’ai payé. Dit-il en lui tendant la main.

    - Merci. Répondit-elle.

    - C’est normal. Où est-ce que tu vas ?

    - Xiangtan.

    - C’est loin, ça… Remarqua Ling. Viens.

                Il l’invita d’un geste à l’accompagner dehors. Elle sortit en premier et attrapa des baguettes pour remonter sa chevelure mi-longue en chinois. Il l’emmena à sa suite vers une voiture qui patientait à seulement une dizaine de mètres. Une somptueuse limousine grise. L’homme la précéda afin de lui ouvrir, elle ne le remercia qu’à peine et se glissa sur la banquette arrière et souleva une partie dure entre les deux sièges, y prélevant une épée Dadao. Elle récupéra également une tenue noire et sourit à Ling qui fermait la porte.

                L’homme partit devant et ferma la fenêtre entre l’habitacle et la partie conducteur. Elle put alors en profiter pour se déshabiller. Elle enfila le vêtement sombre qui moula parfaitement son corps. Elle eut un petit soupir et passa un ruban rouge autour de sa chevelure.

     

     

                Le tigre courait dans les rues, s’arrêtant ci et là pour se pencher sur des personnes triées selon son goût pour leurs armes. Au premier coup d’œil, n’importe qui pourrait succomber mais des demoiselles et des jeunes femmes étaient les victimes de prédilections. Tant et si bien que certains hommes, se rendant compte de cela, essayaient de rassembler leurs courages. Ils ramassaient alors des pierres ou des couvercles de poubelles pour lui jeter dessus.

                L’animal ne rugissait pas mais bondissait de temps en temps et, là, ses épais crocs s’enfonçaient dans une épaule et dans la gorge qui cédait, ne laissant derrière elle qu’un affreux et écœurant bruit.

                La peur se faisait plus forte, l’air se chargeait de fumerolles et embrumaient l’atmosphère. Les cris se multipliaient, le silence de la bête était tel que c’était plus effrayant que si elle avait rappelé sa puissance d’un grondement guttural.

                Fuyant, un homme regarda par-dessus son épaule et ne vit pas la voiture qui venait de se garer. Il écarquilla les yeux et recula. Il n’arrivait même pas à balbutier des excuses tant il était sidéré. Il se tourna à nouveau, le tigre était loin, ouf. Le quidam voulut contourner la limousine mais se figea en voyant une tenue blanche aux finitions grises avec un magnifique dragon vert sui virevoltait entre les plus.

    - Zhong Kui ? Questionna-t-il.

    - Je suis une femme. Rit-elle en sortant de l’habitacle.

                Un homme fit le tour de la voiture et lui tendit la main pour l’aider à tenir debout. Ce n’était pas évident avec cette tenue lourde et vaporeuse ni avec le chapeau de paille qui couvrait une partie de sa vue. De plus, le Dadao lui volait une main.

    - Disparaissez tous, à présent. Dit-elle.

                L’inconnu n’attendit pas plus longtemps pour s’enfuir en courant, la sueur coulant sur son cou.

    - Qu’est-ce que c’est ?

                Elle repoussa des fumerolles et laissa d’autres s’enrouler autour de ses doigts. Elle reconnaissait là le Qi mélangés de plusieurs âmes à qui les portes du Paradis se fermaient.

    - Un Mei, sans aucun doute. Dit-elle.

                La femme s’avança.

    - Disparais aussi, Ling.

    - Ouaip !

                Il retourna à l’avant de la limousine puis les pneus crissèrent. Dans la cohue digne de nuées d’insecte, Shun soupira. Elle pouvait bien se faire bousculer pourtant, mystérieusement, personne ne la frôlait.

                Le nombre de personnes évoluant dans l’avenue s’amenuisait au plaisir de la femme qui siffla entre ses doigts.

                Le tigre tourna la tête vers elle. Il exhiba ses dents et un souffle âcre sortit de sa gueule. Malgré la distance, Shun sentit l’odeur pestilentielle et manqua de chanceler. Elle s’infligea une baffe mentale. Elle avait déjà connu bien pire…

    - Mei ! Moi, descendante de Zhoing Kui, porteuse de l’exorcistat, je te somme de laisser son peuple à la quiétude qui lui revient ! Te voilà prévenu ! Si tu ne t’y plies pas, Oni, je te renverrai dans les tréfonds des enfers !

                La gueule du tigre s’ouvrit. Il semblait qu’il éclatait de rire.

    - Tu n’es pas mon coup d’essai.

                Elle sourit et souleva le pan de son manteau. Elle virevolta sur elle-même et entama une danse ou son épée coupait l’air et les fumerolles. Quelquefois, une personne au bord de la mort retrouvait tout à coup son souffle et la force de s’enfuir en rampant. Ça n’arrêtait pas pour autant Shun plongée dans un silence religieux et concentré.

                Les lumières de la ville se réverbéraient contre sa lame et les renvoyaient vers le tigre. L’animal se plia puis remua, s’agitant en grondant et rugissant. Des entailles s’ouvraient à travers de son pelage, le sang coulait et des fumées jaillissaient de ses chairs. Le sol tremblait, les habitations se fissuraient.

                Shun se rapprochait de lui. Et, à mesure qu’elle dansait, il se roulait par terre de douleur.

                Sa patte se leva et se jeta sur le corps de la demoiselle.

                Les griffes sorties, les coussinets effleurèrent une manche en soie. Le félin explosa dans un cri, libérant des poils dans l’air mais aussi des taches de sang. Shun continua de danser, se retenant péniblement de tousser alors qu’elle avait avalé des restes de Mei.

                Le feu germa de ses mains, le vent flotta autour de son corps, la terre monta de ses pieds et elle cracha de l’eau. Ses yeux devinrent entièrement blancs puis elle s’arrêta.

                Ses iris reprirent leur couleur noire légèrement brune et elle observa l’allée, certes jonchées de détritus et de fissure en tout genre mais dénués du moindre Qi qui s’était perdu. Elle espérait avoir accompli correctement la fin du rituel pour les envoyer auprès de Bouddha mais elle en doutait…

                Ça lui avait toujours fait défaut…

                Elle repartit ensuite, laissant derrière elle une ville un peu plus épurée pour bien peu de temps. Elle espérait que Ling n’était pas trop loin avec la voiture de son patron parce qu’elle se savait bien ridicule en revêtant la tenue de son ancêtre. On était loin des vêtements glamours qu’on imaginait dans les films mais elle les portait fièrement… jusqu’à ce qu’elle rencontre quelqu’un qui se moquerait d’elle.

                Shun savait pertinemment que viendrait le jour où ses cérémonies d’exorcisation deviendraient plus pénibles et elle s’entraînait un peu plus en attendant cela. Il y aurait plus que des danses dangereuses, plus que du millimétrages de maître.

                Elle s’arrêta devant un bar où une tête avait été sculptée. Elle sourit et s’inclina profondément.

    - Très vénérable ancêtre. J’espère que tu me vois d’où tu es et que je ne te fais pas honte.

                Elle porta le Dadao devant son cœur et s’inclina une nouvelle fois.

                Shun se redressa avec fierté et s’éloigna à pas calme. Mais dès qu’elle eut dépassé l’ornement protecteur, elle courut pour rejoindre Ling.

                Elle n’avait que vingt ans, elle apprendrait et deviendrait une exorciste digne de ce nom, comme son père avant elle et son grand-père…

                Et tant d’autres…


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  •             Si un jour vous êtes dans la tourmente, chercher un Raskovnik et, enfin, votre cœur cessera de souffrir…

     

                Yuri se jeta en arrière pour éviter un coup de poing. Il ne put retenir un gémissement en voyant le second foncé vers lui. Encore une fois, quelque chose s’était mal passé au travail. Encore une fois, son père était fou de hargne et avait besoin de passer ses nerfs sur quelqu’un. Et puisque sa femme avait fui en abandonnant son enfant derrière elle, quoi de mieux que tout ce qu’elle lui avait laissé ? Quoi de mieux que ce parasite qui lui volait chacun des euros qu’il mettait de côté ? Quoi de mieux que cet avorton qui l’empêchait de s’acheter sa voiture de rêve avec ses études, ses frais de médecins…

                Quoi de plus simple que de rejeter la faute sur autrui et de régler les problèmes à coups de poings ?

                Un autre coup s’abattit. Cette fois, Yuri ne put l’éviter, acculer au mur. Il gémit lorsque ça claqua dans sa joue et que le sang emplit sa bouche. Il trembla, ferma les yeux et attendit que ça passe. Ça passerait forcément… Ça passait toujours. Quelque fois, c’était plus douloureux que d’autres mais ça finissait toujours de la même façon. Il se roulait dans son lit et pleurait en espérant que les bleus ne lui rendent pas la nuit impossible. Il savait que ses cours de sport seraient une véritable torture.

                Penser à ses douleurs qui surviendraient n’aidait pas à oublier celles qui s’abattaient maintenant.

                Il avala le liquide âcre en couinant.

                Le poing se leva encore.

                Mais Yuri ne sentit aucune douleur. Il leva la tête et écarquilla les yeux en découvrant un chevalier en armure blanche. Sa cape flottait derrière lui, constellée de petites taches carmines alors que sa belle épée, surmontée de joaillerie, était enfoncée dans le torse de l’homme. Celui-ci avait les yeux grands ouverts et un filet écarlate coulait de sa bouche.

                Yuri se serra contre le mur.

                Un chevalier ?

                Comme dans les films qu’il aimait tant et qu’il regardait souvent en rêvant d’un jour grimpé sur un cheval et de lever son épée auprès du Roi Arthur ou même de Jeanne d’Arc. Tant de rêves et de possibilités d’ores et déjà avorté vu que son rêve était une part du passé.

                Le passé qui l’avait rattrapé et qui se penchait doucement vers lui.

                Il ne voyait rien à cause du heaume inquiétant mais une aura rassurante émanait de cet individu et le rassérénait. D’autant plus qu’il devrait trembler ou pleurer de voir un cadavre.

                Un cadavre…

                S’en rendrait-il seulement compte ?

    - Bonjour. Dit une voix grave, virile mais toutefois rassurante.

                Le chevalier s’accroupit, retirant son épée qu’il rengaina. Le garçonnet essuya ses yeux mouillés.

    - Bonjour…

    - Où est ta maman ?

    - Partie… Depuis longtemps.

    - Viens. Invita-t-il.

                Il le prit dans ses bras et se redressa. Yuri eut la stupeur de voir que sa cape baignait encore plus dans le sang et que tout le dessous avait rougi. L’homme partit vers la porte qu’il ouvrit. C’était le jardin, ou plutôt la montagne de détritus qui leur servait de jardin, mais il y avait un haut et puissant cheval de trait. Le chevalier grimpa sur la selle et posa l’enfant devant lui.

                Il eut un sursaut de joie en réalisant. Il était à cheval ! Avec un des héros qui berçaient ses rêves et ses espoirs. Il ferma les yeux avec ivresse.

                Et dire que cette journée avait commencé si mal…

     

                Le chevalier déposa Yuri devant un orphelinat au bord d’une forêt. Des fontaines clapotaient doucement et les rires des enfants s’élevaient. L’homme poussa les grilles et l’entraîna vers une femme qui trottina vers lui.

    - Bonjour !

    - Gente dame. Sourit-il en s’inclinant.

    - Ce sang ? Chuchota-t-elle.

    - Celui de l’homme qui le frappait. Je l’ai exterminé et je préfère autant vous le laisser.

    - Merci bien.

                Elle s’accroupit et caressa les cheveux à l’enfant. Celui-ci continuait de regarder l’homme dans cette armure étincelante et se retenait de sautiller alors que ses yeux scintillaient de joie.

    - Occupez-vous bien de lui, je vous prie. Il fera un grand homme.

                Il se dirigea vers quelques autres enfants dont il caressa les cheveux. Des blonds, des bruns, des roux et des fillettes. Le bâtiment était sobre mais féérique alors que le grand portail digne d’un cimetière, du moyen-âge ou d’un illustre domaine titrait sobrement « La seconde chance ».

    - J’y retourne, à présent.

    - Bien ! Sourit la femme.

                Yuri courut vers l’homme et attrapa sa cape. Il eut un mouvement de recul lorsqu’elle libéra du sang entre ses doigts mais il fut content de sentir la main gantée lui ébouriffer les cheveux.

    - Monsieur ! Je peux savoir votre nom ? Demanda-t-il en souriant.

    - Macaw de Seskas. Répondit-il.

                Les yeux de Yuri s’écarquillèrent d’autant plus et il entrouvrit la bouche.

                Macaw de Seskas ? L’homme qui avait traversé les âges ? L’homme dont tout le monde parlait car il avait franchi des armées entières sans succomber ; celui dont on racontait qu’il était l’amant de la Mort et que jamais elle ne voudrait le ravir ; qui sauvait la veuve et l’orphelin ; qui était doux, gentil, juste mais aussi très beau selon les légendes et le bouche à oreille ?

                L’homme qui, le premier, lui avait donné envie de devenir un chevalier en lisant une fable où il pourfendait un dragon.

                L’homme qui, pour lui, était plus intéressant que Thésée, Percée ou même Hercules…

                Macaw de Seskas !!

     

     

    6 ans plus tard

     

                Yuri s’arrêta devant le portail de l’orphelinat « La seconde chance ». Il ne l’avait plus approché depuis plus de cinq ans mais aujourd’hui, il se retrouvait face à l’impossibilité de faire autrement. Le bâtiment n’avait pas changé et conservait son côté paradisiaque, presque hors du temps avec ses jardins fleuris, sa cour qui donnait sur la forêt le lierre qui grimpait sur les vieilles pierres.

                Il se rappelait les fontaines et les jeux.

                Bien sûr, un orphelinat comme celui-là, on ne le regrettait pas. Un orphelinat de cet aplomb restait dans le cœur et les mémoires et ce n’était que les inconvénients qui vous empêchaient d’y retourner.

                Lui-même serait revenu bien plus souvent s’il n’avait pas été emmené à Kaunas…

                Il poussa les grilles et reconnu le crissement caractéristique comme s’il l’avait entendu pour la dernière fois la veille même.

                Lorsqu’il traversa la cour où jouaient des enfants, il ne reconnut personne et s’en revigora. Ils avaient probablement tous été adoptés, comme lui. Il l’espérait au moins. Il savait qu’il n’avait pas une très bonne mémoire. Mais ça ne l’empêchait pas de reconnaître le doux visage d’Anita sous son chignon strict. Quelques mèches grisonnaient à présent mais elle restait très jolie avec ses rides du sourire…

    - Anita. Appela-t-il.

                Il se désigna en souriant.

    - Yuri « Vaitkus ». Mais à l’époque où je vous ai rencontré, c’était juste « Yuri ».

                La femme força un sourire. Qu’est-ce qu’elle avait vu passer d’enfant ? Comment pouvait-elle se souvenir d’eux tous ? Déjà qu’elle n’était pas capable de retenir un prénom… Elle le rejoignit toutefois et lui tendit la main pour la serrer.

                C’était impossible pour elle de lancer un « mais que tu as grandi ! » c’était loin d’être le cas. Elle supposait toutefois qu’il était parti il y avait bien longtemps vu qu’il avait oublié qu’elle n’avait pas la mémoire des noms.

    - Que tu as grandi, Yuri ! Rit-elle en le prenant dans ses bras.

    - Vous n’avez pas changé !

    - Tout le monde me le dit. S’amusa-t-elle. Au moins, revoir mes jeunes pensionnaires m’apprend que le temps s’écoule pour eux mais pas pour moi. Plaisanta-t-elle.

                Yuri rit doucement.

    - Tu es venu nous rendre visite ? J’en suis ravie ! Que deviens-tu ?

    - Je suis des études dans une école privée. Je vis à Kaunas.

    - Tu es dans une grande ville, au moins ! Tu dois avoir plein d’ami.

    - J’en ai quelques-uns. Mais...

                Il vit le visage d’Anita s’attrister. Il afficha son plus beau sourire pour qu’elle ne s’inquiète pas alors qu’il cherchait ses mots. La demande qu’il voulait lui faire était des plus étranges. Il sentait une part d’égoïste en voyant les enfants jouer sans se soucier des fracas de l’extérieur, eux à qui on faisait des leçons particulières et qui ne connaissaient pas la fourberie des vrais hommes. Ou qui, au contraire, y avaient été arrachés, comme lui…

                Mais ceux-ci étaient si jeunes. Il se permettait d’espérer que leur vie ait été irradiée de Soleil…

    - Yuri ? Incita Anita, toujours inquiète.

    - Pardon ! Je… Je viens vous voir avec un peu d’égoïsme. S’excusa-t-il.

    - Parle-moi ouvertement. Nous sommes tous égoïste un jour où l’autre. Rassura-t-elle.

                Yuri opina.

    - Je suis venu pour voir Macaw de Seskas. Vous savez… l’illustre chevalier.

    - Je sais qui il est. Dit-elle doucement.

                C’était bien le seul nom dont elle se souviendrait toujours…

                Un des seuls noms.

    - Pourquoi veux-tu le voir ? Tu sais que c’est un chevalier qui vit dans l’ombre. Sa vie doit rester dans le monde des secrets. Rappela-t-elle d’une voix douce.

    - Bien sûr… Mais j’ai besoin d’une Raskovnik… J’en ai cherché partout. J’ai arraché tous les trèfles à quatre feuilles que j’ai trouvés, j’ai fouillé chaque recoin des jardins mais à chaque fois, je n’en trouvais pas. C’est le chevalier qui flirte avec la Mort, le chevalier qui a entre ses doigts la magie… Il doit savoir où il y en a…

    - Viens. Dit-elle.

                Anita le prit par l’épaule et l’emmena à l’intérieur en faisant signe à une femme pour qu’elle s’occupe des enfants à sa place. Elle entraîna alors Yuri dans les couloirs de l’orphelinat. Il les connaissait encore suffisamment, si rien n’avait changé, pour s’avoir qu’elle l’emmenait dans la cuisine.

                Et il se rendit rapidement compte qu’il avait raison.

                Anita lui sourit doucement et prépara du thé en lui proposant une chaise. Il s’assit à une petite table qui puait les légumes et la viande, rappel olfactif qu’elle servait avant tout de plan de découpe.

    - Bien. Dit Anita en revenant vers lui.

                Elle prit place tandis que la bouilloire commençait à chauffer.

    - Pourquoi veux-tu une Raskovnik ?

    - Ma mère est souffrante.

    - Ta mère ? Répéta-t-elle.

    - L’adoptive. Expliqua-t-il alors.

    - Je comprends… Ça doit être difficile de voir quelqu’un qui nous aime et qui nous a choisi partir comme ça. Malheureusement, il faut que tu te rendes compte que la Mort doit survenir… Sa grande faucheuse à un million de subterfuge et quelquefois, ils sont horribles. Tu devrais être à son côté au lieu d’être ici. Lui intima-t-elle avec douceur.

    - Ma mère souffre… Je ne veux pas qu’elle meure en m’ayant à son côté mais qu’elle survive ! Aucun médecin ne sait ce qu’elle a ! Ça fait trois ans qu’elle souffre sans qu’on ne sache ce qui la frappe.

    - Si tu ne repars pas à Kaunas, à son côté, elle n’aura ni l’un, ni l’autre ! Protesta Anita.

    - Je vous l’ai dit : je suis égoïste. Je n’ai vécu que deux ans et demi joyeux avec elle. Bien sûr, ces trois longues années passées étaient bien aussi mais c’était trop différent…

                Il regrettait les longues balades dans les parcs ou encore les journées en salle de sport. Et sans parler du travail dans le jardin ou le moment où ils cuisinaient ensemble. Maintenant, il devait s’occuper du ménage et du repas. Bien sûr, ça ne le gênait pas et ils vivaient bien puisque sa mère touchait des revenus d’invalidité en plus de bourses parce qu’il allait à l’école mais sa vie avait perdu le goût paradisiaque qu’on lui avait offert.

    - Yuri…

                Anita se passa la main sur le visage. Elle se leva et récupéra des tasses ainsi qu’un sucrier. Elle se mordit la lèvre inférieure.

    - Très bien… Je peux te dire où est Macaw de Seskas… Mais ce n’est pas parce que tu sauras où il est qu’il pourra t’aider. Il est très occupé. J’espère que tu t’en rends compte. Il se pourrait bien qu’il ne puisse pas t’aider et que tu rates les derniers instants de ta mère…

    - Je ne les raterais pas.

    - Dans ce cas…

     

     

                Yuri repoussait les branches qui menaçaient de cogner son visage à tout instant. Lui qui se languissait des balades avec sa mère était bien servi. Même pire. Il n’avait jamais fait si éreintant. Ce paysage était vallonné et il ne cessait de se prendre dans des trous de racines. Il ne savait pas comment il n’était pas encore tombé face la première.

                Il prenait toutefois un peu le temps de regarder les oiseaux qui étaient posés ça et là. Quelques mésanges qui chantaient doucement, un beau moineau qui le suivait en sautillant, des écureuils qui fuyaient à son approche ou des escargots qui se baladaient à leur vitesse habituelle. Il appréciait aussi les fleurs et les champignons qu’il découvrait partout. Il n’y avait bien que ça pour se donner du courage puisqu’il marchait depuis bien longtemps.

                Il était parti ce matin, après une bonne nuit de sommeil à l’orphelinat, et le zénith cognait à présent. Il était affamé et il venait de boire sa dernière bouteille…

                Certes, c’était moins lourd mais tout de même ! Il préférait porter plus et ne pas mourir de déshydratation…

                Il haussa un sourcil en entendant du bruit.

                Il écarquilla les yeux en voyant un arbre foncé vers lui. Paniqué, il recula. Comment faisaient-ils dans les films et les séries ? Il se vit faire un saut prodigieux sur le côté mais il trébucha sur une racine et roula avant de se cogner dans un autre arbre. Mais ça l’avait dévié de la trajectoire de l’arbre et il retrouvait sa respiration en soufflant doucement. Il ne pouvait s’empêcher de trembler.

                Anita lui avait bien dit que ce n’était pas un endroit sûr.

                Elle lui avait dit de ne pas y aller…

                Pourquoi l’avait-il fait, au juste ?

                Ah oui. Pour la chose la plus importante qui existe ici-bas. L’amour de sa mère…

                Il se redressa péniblement et chassa les feuilles qui s’étaient collées à son pantalon. De la terre la souillait et il ignorait si on pourrait seulement rattraper les dégâts… Il espérait bien que oui. Surtout que ce serait peut-être la dernière chose qu’il aurait de sa mère.

                Il n’était pas si stupide qu’il en avait l’air. L’épée de Damoclès que lui avait jeté Anita restait dans un coin de sa tête.

                Malgré tous ses efforts, sa mère pourrait succomber.

                Il souffla et continua son ascension sur cette colline bien trop pentue. Il entendait d’autres craquements résonner dans la forêt. Des oiseaux s’envolaient, des écureuils s’encouraient et des branches s’effondraient. Il redoutait le moment où un autre tronc céderait et foncerait droit sur lui.

    - M… Ma… MACAW DE SESKAS ! Cria-t-il.

                Il allait répondre, n’est-ce pas ?

                Il le souhaita ardemment et se laissa tomber à genoux. Il était si épuisé. Il devait s’arrêter quelques instants…

                Il devrait trouver une source…

                Un nouveau craquement attira son attention.

                Il s’obligea à redresser la tête, même si elle lui paraissait horriblement lourde, et écarquilla les yeux en voyant un nouveau rondin foncé vers lui. Et pour l’accompagner, des pierres, des branches et des gravats de terre.

                Il en avait évité un par chance…

                Était-ce l’heure de faire ses prières ? Devait-il être content d’au moins partir avant sa chère mère ?

    - Attention !

                Une voix claire et douce.

                Il redressa la tête et vit une personne vêtue de blanc. Son souffle se coupa alors qu’il entendait un doux sifflement. Une créature surgit et fonça sur cet individu. Il retint la gueule béante aux crocs proéminents. Un cri retentit alors que les débris cognaient son corps.

                Yuri, la bouche grande ouverte, reconnu alors les écailles luisantes d’un serpent. Un ? Non… trois… quatre ?

                Il compta aussi rapidement qu’il le pouvait dans cette masse qui bougeait sans cesse.

                Douze ?

                Douze gueules béantes de serpents aux crochets blancs et rutilants. Douze corps linguiformes raccrochés à une seule queue. Une hydre de Lerne rampant sur le sol et au venin certainement redoutable.

                Yuri tremblait et chercha la force dans le dos de cet inconnu. Il vit une épée se lever et sa peur s’annihila d’un seul coup. Une épée blanche surmontée de joaillerie comme des diamants, des quartzs, des pétalites, des saphirs et des topazes blancs.

                Une épée digne d’un Noble !

    - Macaw de Seskas !

    - Yo ! Lui lança-t-il jovialement.

                Son épée trancha une tête dans un crissement désagréablement. Des écailles tombèrent sur le sol et Yuri en ramassa une juste avant qu’une tête ne tombe. Macaw attrapa le membre décapité et le jeta sur deux autres qui s’entrechoquèrent si violemment que toute la bête recula.

    - Je reviens ! Lança le chevalier d’une voix guillerette.

                Il bondit et le garçon le vit planter sa lame dans le crâne d’un serpent, juste entre les deux yeux. Le même crissement étrange retentit.

                L’adolescent posa alors un regard sur ce qu’il avait dérobé : un bout de la cuirasse de la bête. Il écarquilla les yeux en réalisant qu’elle était constituée d’un métal très résistant. Il ne pouvait le tordre et ça semblait, au moins, être de l’acier.

                Relevant la tête, il vit le chevalier bondir sur une autre tête qu’il trancha, passer sous une gueule et piquer le menton d’un serpent.

                Yuri se redressa péniblement et se laissa légèrement glissé le long de la pente devenue poisseuse, pour se glisser derrière un chêne où il s’accrocha. Il dérangea des fourmis qui l’attaquèrent, l’obligeant à les chasser.

                Il se pressa un peu plus contre le tronc et ne put retenir un sourire. Comme s’il était au cinéma, en sécurité. Une immersion plus exceptionnelle que la 4D bien que les odeurs pestilentielles qui se dégageaient des serpents lui indiquaient pourquoi on n’irait jamais jusque là en matière de septième art.

                Macaw lâcha son épée, tirant une plainte à son admirateur, passa sous une tête et évita un trait de venin acide avant de bondir sur un second crâne. Lorsque le liquide fut projeté, il l’esquiva d’un bond agile et atterrit sur une branche basse alors que les aiguilles d’une bête fondaient. Les deux têtes, devenues ennemies, s’attaquèrent.

                Yuri compta combien il en restait. Sept.

                C’était tellement et à la fois si peu…

                Mais il ne voyait plus le chevalier et le serpent reniflait activement. Il pâlit et recula. Son pied ripa sur un caillou et il trébucha. Précipiter vers le bas de la montagne, sans pouvoir se raccrocher à quoique ce soit, il vit la créature foncé. Il entendit un rire.

                Des gerbes de sang lui éclaboussèrent le visage et il vit un immense pieu entre les deux mâchoires entrouvertes de la créature.

                Son cœur battait à tout rompre et il était au bord des larmes. Décidemment, c’était bien plus plaisant de rester bien au chaud, au fond de son divan, avec des popcorns et des chips.

                Perché sur le bout de bois, tenant en équilibre sur un pied, le chevalier avait une main sur les hanches et une main en signe de rock’n’roll devant le visage.

    - Tout va bien ! Lança-t-il gaiement.

                Il sauta et atterrit sur une tête de serpent qui s’empala sur son épée avant qu’il ne l’arrache par au-dessus. Tous ces craquements donnèrent la nausée à Yuri mais il ne put s’empêcher de regarder ces éclairs blancs malmener la créature jusqu’à ce qu’il ne reste plus une tête mouvante ; jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’une mare de sang maronné qui coulait vers les pieds du garçon, écœuré.

                Pourtant, en voyant la dernière tête tombé, il retrouva de la force et courut vers le chevalier toujours tout de blanc. Il se rapprocha et sautilla comme un enfant. Il portait une tunique blanche et par-dessus, quelques pièces plus dures, peut-être en platine, comme un ceinturon, des brassards, des épaulettes et un étrange plastron mais aussi des jambières et des bottes. Pour achever le tableau, il avait revêtu une couronne frontale avec des diamants à moitié dissimulées par des mèches blondes. Ou… était-ce de l’or ? C’était difficile à dire avec les éclats du Soleil qui filtrait au milieu de la végétation.

                Yuri s’arrêta près de lui et s’agenouilla comme dans les films lorsqu’un chevalier faisait face à son monarque.

    - Seigneur Macaw de Seskas… J’ai attendu six ans pour vous revoir.

                Il redressa la tête, humble, mais radieux.

                Il ne découvrit pas une expression fermée, ni celle d’un grand frère. Il voyait là un grand et large sourire enfantin.

    - Bonjour !

                Il regarda le chevalier sautiller dans la mélasse infâme, projetant des taches sur sa tenue jusqu’alors immaculée.

                Yuri fut frappé par cette attitude. Était-il comme ça auparavant ? Non… Quand il était jeune, quand il avait été sauvé, ce n’était pas par une personne aussi frivole. Et pas aussi fluette. Pourtant, il portait l’épée.

                L’épée de Macaw de Seskas.

                Et il avait répondu à ce nom. Pas vrai ?

    - M… Macaw de Seskas ?

    - Ouaip. C’est moi ! Sourit-il en se montrant.

    - Vous… vous êtes si différent…

    - Aaaaah ? Je suis différent, moi ? Sourit-il.

    - O… Oui…

                Toute son autorité semblait s’être évaporée et avec elle, sa classe. On aurait plus dit… lui, essayant de jouer au chevalier.

                Il serra les dents en le voyant s’éloigner vers le haut de la colline. Il avait de longues enjambées et ne semblait pas souffrir de la fatigue. Ça ne pouvait être que le trompe-la-mort des histoires qu’on lui avait raconté. Sa mémoire lui jouait-elle des tours ? Avait-il vu quelqu’un de fort et fiable car il venait de l’arracher à son père abusif ?

                Toujours était-il que, frivole ou pas frivole, c’était Macaw de Seskas ! Jamais Anita ne l’avait dissuadé de le rejoindre parce qu’il risquait d’être déçu ou de ne pas trouver celui dont il avait besoin. Juste que c’était dangereux…

                Il courut derrière lui et dut forcer pour atteindre le sommet de la colline. Macaw avait remis sa cape qui flottait derrière lui et avait récupéré son paquetage. Son épée battait ses cuisses et il s’étirait. Contraste impressionnant de la force et de la classe avec une attitude beaucoup trop relâchée au goût du garçon. Il courut pourtant le rejoindre, haletant déjà.

    - Attendez !

    - Oh… Encore toi ? Sourit-il. Comment tu t’appelles, au fait ?

                Il pencha la tête sur le côté.

    - Je… Je m’appelle Yuri Vaitkus. J’ai besoin de votre aide.

    - Mon aide ? Oh !

                Il sautilla de plus belle et ouvrit son sac en sifflotant. Yuri se mit une baffe mentale et ravala ses appréhensions même s’il ne pouvait calmer ses frissons.

    - Oui ! J’écoute. Dit-il en s’apprêtant à noter sur son calepin.

    - Je… J’ai besoin d’une Raskovnik.

    - Une Raskovnik ? Répéta-t-il.

    - J’ai cherché partout… C’est pour ma mère qui est malade. Je vous en prie.

                Yuri posa un genou sur le sol et lui lança un regard suppliant.

    - S’il vous plaît. Ma mère est tout ce qu’il me reste. Vous êtes un chevalier… C’est votre boulot, hein ?

                Il tendit la main pour en prendre une. Il l’aurait embrassée s’il ne portait pas son gant. Il ne tenait pas à avoir le désagréable goût du métal sur ses lèvres.

    - Inutile de te mettre dans de tels états ! Je vais t’aider si c’est pour sauver une maman ! S’égosilla-t-il.

                Il s’accroupit et lui serra la main. Yuri écarquilla les yeux en croisant les yeux vert pomme rieurs.

                Macaw de Seskas… n’avait que dix-huit ou dix-neuf ans ?

    - A… Alors, vous allez en trouver une ? Sourit doucement le garçon.

    - Bien sûr. Pourquoi ne le ferais-je pas ?

                Il regarda son calepin et le rangea avant de le fourrer dans son sac.

    - Je devais me débarrasser d’un monstre lacustre mais les mamans, c’est mieux !

    - Euh… Ouais…

                Le chevalier se redressa et lui tendit la main. L’adolescent l’accepta et se fit relever par le jeune homme qui le relâcha avant de partir vers l’autre versant de la colline. Le garçon se mordit la lèvre inférieure.

    - Comment on en trouve alors ? Je sais que ça ressemble à des trèfles… Est-ce que vous possédez une vision spéciale ?

    - Une vision spéciale ? Rit-il. Non. Tu verras !

                Il lui décocha un sourire et courut le long de la colline, étendant les bras pour retenir l’air et ne pas tomber trop vite.

                Yuri soupira. Dire que c’était l’homme qu’il avait adulé si longtemps… Ça faisait vraiment ça quand on était déçu ?

     

     

                Yuri serrait les dents en regardant Macaw agenouillé dans l’herbe.

                Est-ce qu’il n’y avait que lui pour réaliser que sa tunique prendrait une sale teinte verte ? Est-ce qu’il était le seul à se rendre compte à quel point c’était ridicule de laisser sa cape traîner sur le sol et tout ça pour fouiller sous un tronc. Son cœur se comprimait à mesure qu’il le voyait se rendre si ridicule.

                Comment…

                Comment pouvait-il ? Non… même avec sa somptueuse cape, même l’épée à la main, il ne pouvait pardonner le ridicule dans lequel il s’enlisait. Bien sûr, il se rappelait à quel point il avait battu avec grâce et élégance, semblant fait pour être chevalier… Mais il ne pouvait voir autre chose que ces enfantillages. Un homme qu’il avait rencontré quand il était gamin ne devrait pas avoir régressé comme ça.

                Peut-être s’était-il fait attaquer par une étrange créature ?! Peut-être qu’il pouvait le sauver ! Il le souhaitait ardemment…

                Il se pencha au-dessus de son épaule.

    - Hm… Macaw de Seskas ? Lord ? Comte… euh…

    - Juste Macaw. Lança-t-il avec enthousiasme. Et je n’ai pas de titre de Noblesse. Ajouta le jeune homme.

    - Ah non ? Je… croyais…

    - Pourquoi j’en aurais ? Demanda-t-il.

                Sa voix était plus douce mais toujours bien trop heureuse.

                Trop heureuse…

                C’était étrange de ne pas vouloir voir quelqu’un heureux, non ? Il méditait sur cela lorsque le chevalier se redressa. Il rejeta sa cape en arrière et sautilla.

    - Lààààààààà !

                Il courut vers un autre arbre et se remit à genoux.

    - Écoutez… Vous savez ce que vous faites ?

                Yuri le suivit.

    - Peut-être que vous ne savez que battre des monstres ?

                Avec son physique, ça ne devait pas être trop compliqué à bien y penser…

    - Oh ? Non ! Je suis aussi capable de créer des potions et de reconnaître les champignons vénéneux des comestibles ! Sourit-il. Je suis aussi un très bon nageur et… je suis bon en sport ! Sourit-il.

    - Mais… pour le Raskovnik ? Chuchota Yuri. Vous savez ce que c’est, hein ?

    - Bien sûr… C’est une plante qui peut tout guérir et tout ouvrir ! Elle lève les maléfices ! Seulement… Qu’est-ce qu’elle a, ta maman ? Questionna-t-il d’un air soucieux.

    - Personne ne le sait…

    - Tu as été voir une Baba Yaga ?

    - « Une » ? C’est une personne…

    - C’est une profession. Rit Macaw.

    - Dans les contes…

    - Je sais. Mais c’est une profession. D’ailleurs, dans certains contes, il y en a plusieurs…

    - C’est une vieille femme. Soupira Yuri.

                Macaw s’assit et mit ses jambes en tailleur. L’adolescent frôla l’arrêt cardiaque et s’agenouilla lorsqu’il pencha la tête sur le côté en portant son doigt à ses lèvres.

    - Non, non… C’est une profession. Elles sont généralement vieilles car il faut apprendre très longtemps. Expliqua-t-il. Sinon, comme il y en aurait une qui traverse les âges ?

    - Et vous ? Souffla le garçon.

                Le jeune homme se remit à quatre pattes et fouilla.

    - Ouiiiiiii !! S’écria-t-il.

                Il sortit quelque chose du trou et sourit de toutes ses dents.

    - C’est…

                Yuri se leva en se passant la main sur le visage.

    - Où est l’homme qui m’a libéré de mon père ! Pourquoi tu es à peine plus âgé que moi ? Pourquoi tu t’extasies sur tout ?! Pourquoi tu souris comme un idiot alors que je suis en train de te crier dessus ?!

    - Il y a tellement d’explications. Sourit Macaw.

    - Et ? Et ! Donne m’en une ?

    - Je crois que je n’en ai pas envie. Tu n’es pas gentil pourquoi on te récompenserait ?

    - Ça va. Grogna Yuri. Tu es un idiot qui te fait passer pour Macaw de Seskas ! Tu dois être très bon en costume !

    - J’ai tué ce Zmeï, tu te souviens ? Dit-il, le visage toujours aussi illuminé.

    - Peut-être que c’était de très bons effets spéciaux ! Après tout, c’est quand même bizarre de voir un type se battre contre un super monstre juste quand il faut ! Anita a dû se moquer de moi. Elle veut que je rentre voir mourir ma mère !

                Macaw continuait de sourire. Yuri siffla et donna un violent coup de pied. Le jeune homme bougea les mains, visées, et se déplaça. Le coup fut porté dans sa mâchoire et il cracha un peu de sang.

                Yuri fut secoué.

                Il souriait.

                Les dents nappées de sang, les lèvres rougies.

                L’adolescent partit en courant.

                Macaw attendit de ne plus voir qu’une silhouette pour doucement poser ce qu’il avait trouvé : un hérisson.

    - J’aurais besoin d’une Raskovnik.

                L’animal sortit lentement de sa boule puis se mit en marche. Son petit nez fouinait ça et là. Le jeune homme se leva et épousseta sa tenue. Pour les pièces rutilantes, il pouvait faire quelque chose mais il eut une petite grimace en réalisant qu’Anita lui en voudrait beaucoup pour ça.

     

                Le hérisson sauta sur une herbe qu’il commença à mâchonner.

    - Ah ! Tu manges tout ! S’il te plaît ! Est-ce qu’il y en a d’autres ?

                L’animal leva sa tête vers lui et continua de mâchonner. Il avait à peine fini qu’il s’attaquait à un second. Macaw en cueillit une en riant.

    - C’est un champ ! Eh bien !

                Il montra la plante au hérisson qui opina simplement.

    - Est-ce que tu veux que je te ramène après ?

                Nouveau hochement de tête.

    - Génial ! Sautilla Macaw.

                Il fit tourner la plante entre ses doigts.

    - Herbe à qui rien ne résiste, ni les chaînes, ni les maladies, ni les fermetures… ni le malheur… Quel honneur de te voir encore.

                Il la glissa dans ses cheveux et se laissa tomber dans le champ. Le hérisson continua de manger.

    - Toi non plus, tu ne veux pas être malheureux, hein ?

                Il sourit de toutes ses dents et mit ses mains derrière son crâne, observant des nuages qui prenaient de sublimes formes.

    - Être heureux, c’est tellement mieux…

                Macaw eut une pensée triste pour Yuri. Si seulement il s’était rendu compte que le bonheur le guidait et que c’était ce qu’il avait de mieux ; s’il avait réalisé qu’il était fort mais débordant de vie, il ne foncerait pas vers son propre malheur. La Raskovnik aurait guéri sa mère quoiqu’elle ait, et elle l’aurait peut-être rendu aussi guilleret que lui…


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  • Écrit le 08 Juin 2016

    Les Naufragés de la Méduse de Jacques-Olivier BoudonLorsque j’ai reçu « Les Naufragés de la Méduse » de Jacques-Olivier Boudon, j’étais très contente. Je m’attendais à découvrir une histoire comme « Titanic » ou « Le Journal d’Anne Frank » à savoir, un roman qui retracerait les mésaventures du bateau d’une façon agréable avec des dialogues, un ou plusieurs personnes principal, bref, de quoi découvrir ce fait marquant, illustre, au travers une histoire narrée. D’autant plus que le quatrième de couverture se targue d’être un roman.

    J’ai été très vite déçue. Les premiers pages ont été pénibles et toutes celles qui ont suivis avec. J’ai fini par arrêté après avoir feuilleté parce que le problème est que c’est une sorte de bébé mutant et affreux entre le roman et le livre d’histoire. C’est bien trop proche d’un manuel historique pour nous laisser apprécier l’histoire et c’était agencé plus ou moins comme un roman ce qui nous empêche de pouvoir chercher des informations précises.

    Tout ce qu’on trouve sont des suites d’informations, que ce soit sur la famille des morts ou sur les morts eux-mêmes. Des milliers d’informations qui m’auraient déjà semblées de trop dans un livre d’histoire normale mais qui sont encore plus désagréable dans ce contexte.

    Le style de l’auteur, à proprement parlé, n’est toutefois pas gênant. S’il n’avait pas un condensé d’informations sans fin, il déploierait certainement son potentiel.


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  • Itchetik

     

                Lorsque vient le seize avril, prenez garde à ce que vous buvez et aux grenouilles que vous rencontrez.

     

                Dans son orphelinat La seconde chance, Anita s’occupait des enfants avec soin. Qu’ils aient cinq ou quinze ans. Qu’ils soient doux ou bien rebelle, elle tenait à ce qu’ils aient tous de l’attention. Et c’était tellement dur lorsqu’on devait avait près de cent âmes qui avaient besoin de câlins, qu’on les aide avec leurs devoirs, qu’on les écoute raconter leurs journées, qu’on les rassure, qu’on les distraie…

                Elle avait Yonathan dans les bras, Julia accrochée à son cou et Timéo trottinait à côté d’elle mais toute son attention cessa brutalement. Ses yeux étaient rivés sur le magnifique calendrier avait une photographie de mésange qui l’agrémentait.

                Évidemment, ce n’était pas le bel oiseau qui la préoccupait mais la case rouge qui avait été déplacée sur le feuillet.

    - Qui s’est occupé du calendrier ? Demanda-t-elle.

    - Piotr. Répondit le petit Timéo.

    - Allons le voir.

                Elle partit d’un pas guilleret vers la chambre de l’adolescent, pourtant, elle n’avait plus le cœur à rire et sourire. Ce n’était pas pour autant qu’elle devait le montrer aux enfants. Tout comme elle préférait de loin ne pas vérifier sur son téléphone que la date affichée était correct.

                Peut-être cherchait-elle un simple regain d’espoir.

                Anita s’arrêta devant la chambre de l’adolescent où elle frappa à la porte. Elle souhaita un instant qu’il ne soit pas là et qu’ils doivent passer leur chemin. Mais elle se mit une claque mentale. Que lui prenait-il ?! Elle ne pouvait se permettre d’agir de la sorte ! Elle ne pouvait pas se reposer sur des lauriers ou des « imprévus ». Elle n’avait pas le droit de se permettre quelconque frivolités que ce soit par envie ou par peur.

                Elle l’avait toujours su. Et lorsqu’elle avait accepté de prendre cette place auprès d’enfants, elle savait également qu’elle était la gardienne tant du secret que des conséquences de ses inactions. Ses prédécesseures avaient eu la même tache.

                Aussi, lorsque Piotr ouvrit la porte, elle afficha un sourire tranquille.

                Qui aurait pu deviner à quel point elle était affectée par la date ? Elle essayait de se raisonner. Ce n’était pas grand-chose…

    - Piotr. Est-ce que c’est toi qui t’es occupé du calendrier aujourd’hui ?

    - Oui, pourquoi ? J’ai mal fait quelque chose ? Questionna-t-il, maugréant.

    - Non, non… La date… Nous sommes le seize Avril ? S’assura-t-elle.

    - Ouais. Sûr.

                Lui sortit son téléphone et le brandit devant la femme qui continuait de sourire malgré les sueurs froides. Voilà que la partie de son travail qu’elle détestait le plus lui tombait sur le coin de la tête.

                Quoique. Un an auparavant, elle aimait encore cela…

    - Pourquoi vous avez pas vérifié vous-même ? Demanda Piotr.

                Anita répondit par un sourire et emmena les enfants ailleurs. Elle préférait autant ne pas prononcer ces mots à voix hautes. Même si certains savaient ce qu’il se passait à cette date, surtout parce qu’ils connaissaient la deuxième partie de son travail.

                Celle qui n’était pas tellement cachée…

     

     

                Un éclair blanc vrilla le ciel alors qu’un énorme reptile se jetait vers lui. L’éclair évita un coup de gueules puis un retour d’ailes s’agitant avec vigueur. Une épée surmontée de riches pierres blanches ou translucides siffla dans les airs. Une tête reptilienne, constituant les écailles du monstre, tomba rudement sur le sol.

                Un rire retentit dans la plaine tandis que les nuages s’alourdissaient et se rapprochaient, compact.

                La bête fondit mais l’éclair l’évita encore. Le tonnerre roula, la grêle s’abattit accompagnée d’une pluie diluvienne. Le vaillant chevalier… leva les bras et rit en tournant sur lui-même. Ses cheveux presque doré retombèrent sur son visage et il laissa tomber son épée, tirant la langue. Il se reçut un grêlon dans l’œil mais sautilla en riant alors qu’un second atterrissait dans sa gorge. Il applaudit alors que le vent se levait.

    - Maudiiiiiit ! Siffla la créature.

                Non pas d’une des milliers de tête qui ornait son corps, mais de celle, massive, qui frottait contre le sol.

    - Ah oui, on se battait !

                Le chevalier attrapa son épée et la leva malgré les éclairs, malgré la pluie qui collait ses vêtements ou encore la grêle qui le cognait rudement. Il ne redoutait pas plus le brouillard épais qui germait. De toute façon, il virevoltait avec tant d’enthousiasme qu’il semblait plus proche d’exécuter une danse que de se battre.

                Tout à coup Ponponpon de Kyary Pamyu Pamyu résonna dans la clairière.

    - Oooooh ! Désolé, c’est pour moi !

                Le chevalier jeta son épée sur le sol et retira une pièce d’armure à sa ceinture avant de prendre un téléphone terré là.

    - Allôôôôôôôôôôôôôôô ?

    - Bonjour, Macaw… C’est Anita.

    - Bonjouuuur ! Ça faisait longtemps ! Sautilla-t-il.

                La créature reptilienne siffla et leva son immense tête au sol pour l’attaquer. Macaw bondit en arrière et sauta promptement sur sa tête où il tint en équilibre sur un pied.

    - Oui… J’espère que tu vas bien…

    - Oui ! Je me bats contre une Khala. Sourit-il.

                Une aile fonça vers lui pour le désarçonner. Il s’abaissa et donna un coup de pied dans une tête, faisant crier la principale.

    - Ah… Tu es loin dans ce cas ? Demanda-t-elle.

    - Je suis en Ukraine.

    - Ah oui… Tu sais qu’on est le seize Avril ? S’enquit-elle d’une voix douce.

    - Le seize Avril… Souffla-t-il.

                Il sauta au sol, évita un coup de queue et roula sur le sol pour attraper son épée. Sa tenue étincelante était maintenant couverte de boue et de trace verte mais ça ne l’empêchait pas de foncer vers la Khala pour lui planter la lame dans l’œil.

                Un cri s’éleva.

    - Q… Qu’est-ce que c’était ?

    - La Khala vient de mourir. Lança Macaw, guilleret.

                Il sautilla et applaudit.

                Les nuages reprirent petit à petit leurs couleurs pures alors que les intempéries revenaient à l’accalmie. Il tira la langue et agita la main pour dire au revoir aux amas cotonneux.

    - Toutes mes félicitations… Est-ce que… tu te rappelles ce qui arrive le seize Avril ?

    - C’est à cette période de l’année que les Itchetiks sortent pour la première fois ! Dit Macaw d’un air très sérieux.

    - Oui.

                Anita poussa un soupir soulagé.

                On pouvait au moins compté sur son intelligence et sa mémoire même s’il en semblait parfaitement dénué…

    - Et… tu sais ce que tu dois faire ? S’assura-t-elle.

    - Oui ! Je dois prévenir tout le monde et m’assurer qu’il n’y ait pas trop de personnes qui meurent ! Sautilla le jeune homme.

    - Oui ! … Est-ce que tu pourrais t’arranger pour… ne pas faire des tracts cette année.

    - Oh ? Ça n’a pas fonctionné ?

    - Eh bien…

                Anita jeta un œil sur le tract qu’elle avait conservé seulement pour faire plaisir à Macaw comme elle avait gardé les dessins de tous les enfants. D’ailleurs, la salle réservée à la gérante de l’orphelinat ne comportait que ça… Et si les années faisant, elle avait perdu ou rangés des dessins, des cadeaux, elle avait toujours connu cette pièce comme ça. Même lorsqu’elle travaillait pour Nadèdga, celle qui était la gérante, trente-trois ans plus tôt.

                Le tract comportait une grenouille buvant de la bière et des lettres criardes annonçaient : « Ne buvez pas, n’approchez pas des grenouilles ! »

                Un enfant aurait fait la même chose…

    - Personne ne lit les tracts, tu sais. Souffla Anita.

    - Ah, c’est ça ! Eh bien… ça m’ennuie beaucoup de devoir répété la même chose à tout le monde…

    - Même si tu te ferais plein d’ami ?

    - Me faire des amis c’est bien ! Lança le jeune homme.

                Il recommença à sautiller et Anita pouvait l‘entendre parce que les plaques de sa tenue s’entrechoquaient.

                Elle souriait comme elle le faisait pour Nikolay, cinq ans.

    - Mais répéter tout le temps la même chose, c’est nul. Mais je vais faire ce que je peux ! Parce que je suis Macaw de Seskas et que c’est mon rôle !

    - Merci. Souffla Anita en posant sa main sur son cœur.

    - Bye, bye, bye, bye ! S’enthousiasma Macaw.

    - Bye. Prends garde à toi.

                Elle raccrocha et eut tout à coup peur de lui avoir fait trop confiance. Après tout, Macaw était une boule d’énergie, il n’avait pas mauvais fond mais… On avait un peu du mal à croire en lui…

                Qui pouvait lui en vouloir pour ça ?

                Comme avec les enfants dont elle s’occupait. Elle avait beau leur dire qu’ils deviendraient princesse, président, astronaute et même footballeur professionnel, elle n’en était pas sûre du tout.

                Elle devait leur offrir du rêve, les pousser vers l’avant, les faire espérer.

                Il était toutefois singulier de le faire lorsqu’il s’agissait du célèbre chevalier Macaw de Seskas que tout le monde voyait comme un messie et sur qui la protection des landes slaves reposait.

     

     

                Oleg but une dernière pinte d’alcool puis jeta de l’argent sur le comptoir avant de se lever brusquement. Il grogna et repoussa le barman lorsqu’il voulut l’assister. Il ne voulait pas son aide !

                Il était loin d’en avoir besoin ! Pourquoi s’embêterait-il seulement avec lui ? Il était comme tous les autres de toute façon… Il avait seulement pitié…

                Et pourquoi ? Il s’était seulement enfilé sept bières et une vodka. Ce n’était pas tant que ça. Et c’était la faute d’Anna… Elle était partie, en le laissant tout seul ! Bien sûr qu’il allait sombrer dans l’alcoolisme ! Il l’avait toujours fait.

                Il sortit du bar en s’étirant. Bon, il titubait énormément et ne voyait pas très droit. De plus, les goulées d’air subitement ajoutée lui faisaient tourner la tête mais ça avait été trop bon et pouvoir rejeter la faute sur autrui toujours aussi parfait.

                Il se dirigea vers chez lui et longea la Dniepr qui coulait le long de la ville.

                Il renifla lorsqu’il entendit une voix. Et les grenouilles chanter.

                Oleg s’approcha de l’eau et vit surgir une petite créature verte couverte d’algue et de sangsues. Il eut le temps d’apercevoir des dents élimées avant qu’on ne l’entraîne dans les flots.

     

     

                Macaw ressortit la tête de l’eau, rejetant ses cheveux en arrière. Son diadème blanc vola et s’écrasa sur le rivage. Il rit et s’ébouriffa les mèches trempées. Il s’assit sur le bord de l’eau et rigola une nouvelle fois lorsqu’une queue de poisson aux écailles bleue et scintillante cogna son nez. Et ce malgré le sang qui se déversa de ses narines.

    - Si vous voulez jouer, c’est mieux de le faire où je peux respirer. S’enthousiasma-t-il. Sinon, il n’y a qu’un de nous deux qui s’amusera sous l’eau.

    - Tu as raison. Dit un homme en sortant légèrement de la surface.

                Il posa des yeux couleur de la braise sur Macaw qui se penchait pour attraper un poisson. Le jeune homme ne s’inquiétait pas une seule seconde de son corps nu et agrémenté d’écailles, ni de sa longue chevelure qui se mêlait à sa barbe et sa moustache qui avaient gagnés la couleur des algues au fil du temps.

                Même ceux qui venaient lui faire des offrandes à tout point d’eau, pour peu qu’ils croient en son existence, s’effrayaient de le voir apparaître, d’observer ses mains palmées ou les créatures qui l’accompagnaient. Sangsue, poissons, grenouilles, gens de son peuple qu’on fuyait comme la peste…

                Des offrandes parce qu’on le craignait mais personne pour le distraire, voilà qui était bien triste.

    - On fait des ricochets ?

                Macaw bondit sur ses pieds et chercha après une pierre qu’il jeta dans l’eau. Sonné, un poisson protesta par des bulles.

    - Doucement, doucement. Somma le vieil homme.

    - Ah, pardon, Vodianoï. Sautilla-t-il. En fait, je ne sais pas comment on fait des ricochets ! Rit-il.

    - Je t’apprendrais. Sourit le Roi des Eaux.

                Voilà qui serait distrayant. Et avec une telle boule d’énergie, il ne pensait pas pouvoir réellement s’embêter.

    - Mais je pensais que tu étais venu me parler de mes sujets.

    - Vos sujets ?

    - Les Itchetiks. Précisa-t-il doucement.

    - Ooooh ! Oui !! C’est Anita qui m’envoie, elle dit qu’on est le seize Avril et ça veut dire qu’ils sortent d’hibernation… J’ai pour mission de ne laisser personne mourir par les Itchetiks !

    - Ce n’est pas facile. Dit le Roi. Même moi je ne peux pas les empêcher de faire des vilenies. Dès qu’ils ne sont plus dans les parages, ils boivent, boivent et boivent et on ne les ferait plus rien entendre.

    - Ils boivent et noient les personnes qui boivent ? C’est une drôle de façon de se faire des amis. Rit-il doucement.

    - En effet… Ce ne sont pas de mauvais bougres ! Mais ils sont de véritables fripouilles. La seule chose à faire, c’est rappeler aux Humains de faire attention.

    - Mais ils ne lisent pas les tracts ! Dit Macaw, d’un air motivé.

    - En effet, c’est plutôt compliqué pour toi. Remarque le Roi des Eaux, quelque peu amusé.

    - Que peut-on faire ?

                Macaw sautilla.

    - Je suis prêt à faire ce qu’il faut ! J’ai promis à Anita !

    - Que voudrais-tu faire ?

                Vodianoï attrapa la belle épée de Macaw et la lui présenta.

    - Pourfendre toutes les personnes susceptibles de te déranger ? Tu me sembles trop souriant, trop joyeux et bien trop amical pour agir de la sorte.

    - En effet ! Mais je ne peux pas jouer avec tout le monde en même temps, je suis un. J’ai déjà essayé d’être pleiiiiin ! Fit-il en tendant les bras vers le ciel. Mais j’ai pas réussi…

                Le Roi rit de bon cœur.

    - Je ne suis pas surpris que tu n’aies pas réussi. Il en vaut beaucoup pour réussir à faire cela. Approuva-t-il. Même moi, je n’y arrive pas. Penses juste à essayer de jouer avec certains Itchetiks lorsque tu les voies, à l’avenir, ils accepteront peut-être de te rendre des services parce que tu as été bon avec eux.

    - Oui ! Fit Macaw en se mettant au garde-à-vous.

    - Moi, j’essaierais de parler à d’autres… Mais je doute que l’on puisse faire quelque chose contre eux. Ils joueront toujours en buvant. Et quelques jours, nous trouverons dans vos journaux des titres du genre « Cet homme » ou cette femme, je ne suis pas misogyne… « Cet homme, disais-je, ivre mort s’est effondré dans l’eau et en est mort. »

                Vodianoï soupira doucement.

    - Qui te blâmera ?

    - Anita… Je ne suis pas très doué, qu’elle dit, et elle doit avoir raison.

                Une ombre passa sur son visage mais il sourit juste après.

    - Je suis pas très doué. Je suis agile, je suis fort mais moi, à part être heureux et tuer des gens… Ou être heureux en tuant des gens, je ne sais pas faire grand-chose. Rit-il.

    - C’est une sinécure en soi… Ce n’est pas un mal mais prends soin de toi.

    - Oui !

    - Maintenant, avant que tu n’essaies d’arrêter l’impossible, j’aimerais que tu t’occupes de moi comme tu l’avais promis ! Sourit le Roi.

                Macaw applaudit en sautillant.

    - Ouiiiiii ! Lança-t-il.


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