• Écrit le 13 Octobre 2015

    Le dernier des fous de Timothy FindleyRare sont les fois où je m'arrête à la moitié d'un livre car il m'énerve ou ne me plait pas. Plus rare encore sont les fois où j'atteins péniblement le tiers et que j'ai mauvaise conscience en abandonnant l'ouvrage. En réalité... C'est la première fois.

    Je ne suis pas déjà amatrice des tranches de vie mais ce livre qui se promettait psychologique est vide, lent et sans la moindre once de sentiments. Parmi une flopée de détail plus qu'inutile, l'auteur essaie de développer ses personnages mais non seulement c'est trop long mais mis d'une telle façon que j'éprouvais de plus en plus d'antipathie pour des personnages pourtant horriblement vide de profondeur.

    L'histoire tournait en rond au point où je lançais des regards dépités au nombre de page à mesure que j'avançais. En plus de cent pages, je n'ai pas eu l'impression d'apprendre quoi que ce soit sur les personnages si ce n'est ce qui était déjà marqué sur le quatrième de couverture.

    Résultat, une lecture décevante que je n'aurais pu continuer malgré tous mes efforts.


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  • 8

    Confidence sur oreiller.

    Le soir venu, Hunter vint se glisser sous les couvertures chaudes de son lit. Comme chaque soir, il avait vérifié chaque centimètre carré de son corps. Il fixa alors le plafond craquelé en soupirant.

    Il ne put que penser à son Dieu. Il ne l'avait plus vu depuis maintenant trente-six heures. C'était tellement court pour le commun des mortels. Pour une divinité, à fortiori, c'était même franchement microscopique. En son échelle divine, ça ne devait guère représenté plus que quelques secondes.

    Mais pour lui, c'était si long. Comme une éternité entière. Il se sentait stupide. Il devait le paraître pour Dieu d'ailleurs.

    Il pensait de plus en plus qu'il n'avait que fait rêvé le baiser qu'ils avaient échangé. Pourquoi un être aussi important que l'ingénu pourrait seulement vouloir embrasser quelqu'un comme lui ?

    L'adolescent en était là dans ses pensées lorsque des coups frappés à sa porte. Tiré de ses pensées, il tourna la tête vers l'huis, surpris. Il se demandait ce qui poussait Camile à venir le voir à vingt-et-une heure trente passée. Son parent voulait probablement dormir avec lui. Bien sûr, Hunter n'avait rien contre cela, mais c'était la première fois que ce serait deux soirs de suite.

    Il avait peur que ce soit dangereux pour « sa mère ». Il s'imaginait qu'il devenait de plus en plus fou, de plus en plus paniqué. Qu'il ne supportait plus l'absence de son père. Même l'absence que lui s'inventait. Dîner d'affaires trop long, voyage d'affaires, des coups de fils qui n'existaient pas etc.

    Un sourire passa sur ses lèvres de Hunter lorsqu'il remarqua un certain ingénu contre la porte. L'intrus lui sourit avant de s'approcher de lui et de s'asseoir à son côté.

    - Qu'est-ce que tu fais ? Chuchota Hunter.

    Dieu rit. Son rire était aussi beau que sa personne elle-même.

    - Je te préviens avant de m'imposer pour une fois.

    Le malade roula sur le ventre et l'observa. L'ingénu ne portait toujours qu'un short, un t-shirt, un peu déchiré, et des bandages certes rougi par endroit. Pourtant, tant de peau ne le rendait en rien obscène. Il était vraiment un innocent. Tout en lui l'était. Son sourire, son odeur, ses baisers.

    Hunter laissa le silence s'installer dans la pièce. Il le brisa lui-même après un long moment.

    - J'ai peur.

    - Oh ? S'étonna Dieu en passant ses doigts dans les mèches rousses.

    - C'est stupide… mais il y a tout ces bruits, et cette ambiance… il a l'air gentil, il donne a des associations, il n'a rien qui sort du commun mais…

    L'ingénu se redressa un peu pour le regarder.

    - C'est cliché mais… son look fait peur. Sa voix… et puis il vit dans les sales quartiers ! D'accord il a une belle maison mais…

    Hunter regarda son vis-à-vis.

    - J'ai tord de penser comme ça ?

    - Non… tu as raison. Cet homme peut être dangereux, oui. Oui il ne faut pas s'y fier… mais je pense qu'il ne te fera pas de mal… je crois…

    Dieu secoua doucement la tête en lui prenant les mains. Il posa un baiser sur ses doigts graciles et un peu bronzé.

    - Je n'aurais pas voulu délibérément mettre ta vie en danger.

    - Quelles sont les garanties ? Chuchota Hunter, un peu effrayé.

    - Aucune, je l'avoue. Mais je suis là… Je ne laisserais personne te faire du mal.

    Malgré son air frêle, l'adolescent eut la conviction profonde que l'ingénu en avait vraiment les capacités. Il glissa ses doigts sur sa joue avec une douceur infime.

    - Moi non plus. Souffle-t-il.

    Il roula sur le dos puis attira l'innocent à lui. Celui-ci s'allongea à son côté et appuya sa tête contre son épaule. Hunter le fixait, son cœur battant la chamade. Il avait envie de le serrer plus fort encore contre lui.

    - Dis-moi… comment tu en es… venu à tout ça. M'aider pour que je t'aide… apparaître et disparaître…

    Il avait envie de lui demander s'il était mort ou pas. Ça ressemblait beaucoup à une série que Camile regardait à la télévision. Mais ça ne semblait pas pareil pour autant. Il voulait se dire que ce n'était qu'une fiction. Mais pourquoi pas ?

    Sauf qu'il lui avait dit qu'il était réel. Que les autres le voyaient aussi. Personne n'avait été surpris à l'entrepôt de combat pour chien. Pourtant, s'il n'y avait rien dans ses bras, il avait du être bien ridicule.

    Tout ça semblait presque normal. Il était un individu presque banal, juste trop beau pour être réel.

    Sauf que Dieu avait disparu. Comme s'il n'avait même jamais existé.

    - Il ne s'est… rien passé de bien passionnant… Chuchota l'ingénu.

    Il appuya sa tête sur son épaule puis fit glisser sa main, vers le bas. Jusqu'à attraper celle de Hunter qu'il serra dans la sienne.

    - Mes parents étaient de ceux qui aiment manger la chair lorsqu'elle est encore crue. De ceux qui dérangent juste par leur comportement, leur attitude… ce qu'on disait sur eux. Ils étaient juste incompris… Là où d'autres auraient refusés d'avoir des enfants… eux, ils en ont eu cinq. J'étais le plus jeune.

    Il ferma les yeux, respirant plus lentement. Il se sentit un peu rassuré en sentant des doigts glisser dans sa chevelure.

    - Je savais à peine marcher que mes parents sont morts… abattus. Ce n'était pas par une personne seule… ils étaient plusieurs. Mais ce n'était pas grave… parce qu'aux yeux de tout le monde ce n'était que des monstres. Alors on avait le droit de les tuer. Le droit… Chuchota-t-il.

    Le malade le resserra contre lui. Dieu lui faisait ressentir le besoin de le protéger. Tout en son innocence semblait l'y obliger. Il voulait pouvoir le soulager d'une façon quelconque. Pour l'instant, l'aider ne semblait pas possible. Le câliner était la seule chose à sa portée. Par ailleurs, ça semblait fonctionner, ne fut-ce qu'un peu. Dieu se blottit contre lui. Il sembla même ronronner.

    - On était tranquille lorsque maman les as senti. J'étais toujours avec elle… elle m'a dit « Fuis »… c'est la dernière chose qu'elle m'ait dit. Je l'ai écoutée, j'ai couru… mais… mes frères et sœurs n'ont pas eu cette chance. Je les ais entendu hurler, je les ais vus perdre la vie… j'ai vu le sang maculé la neige… oui… il faisait glacé ce jour-là. Je m'en souviens encore… plus froid que ces jours-ci.

    Hunter le resserra encore, doucement.

    - Même s'il faisait froid, que la neige me mouillait les pieds… j'ai continué, encore et toujours… c'était la seule chose que je pouvais faire.

    Il sourit gentiment malgré les larmes qui mouillaient ses yeux gris.

    - J'ai eu de la chance dans mon malheur. On m'a recueilli… On m'a soigné, on m'a nourris… pour la première fois, un étranger m'a considéré comme l'enfant que j'étais ! Pour cette personne, je n'étais pas mauvais. Je n'avais pas la marque que mes parents et mes aïeuls portaient en leur peau. Pour lui… j'étais une personne à part entière. Et c'était cette personne qu'il cherchait à découvrir… pas les racontars sur mon peuple… J'étais heureux… je l'aimais… d'un amour qui n'appartient qu'à peu de personne.

    Hunter lui caressa doucement la joue. Il sentait une petite pointe de jalousie, craignant l'amour dont pouvait bien vouloir parler Dieu.

    - J'étais vraiment heureux à son côté. Heureux comme ce n'était pas permis… d'ailleurs, je pense que ça ne l'était pas… parce que la personne qui m'a recueillie n'avait rien à voir avec moi, aucun lien propre… c'est sans doute pour ça qu'on a estimé qu'on pouvait m'éloigner de lui… Sans même nous demander notre avis… on nous a arraché l'un à l'autre, ne laissant que notre douleur nous tenailler… me tenailler en tout cas… Je le cherche… mais il ne me voit pas…

    - C'est triste. Souffla Hunter.

    Il le resserra tendrement contre lui, doublant ses câlins.

    - Je veux juste… que tout redevienne comme avant. Chuchota tristement Dieu, se blottissant un peu plus contre lui.

    - C'est pour ça que je dois t'aider ?

    - S'il te plaît. Murmura l'innocent.

    - Bien sûr… je le ferais ! J'veux pas que tu sois triste ! S'empressa de dire Hunter.

    Il se sentait ridicule. Mais, plongeant ses yeux dans les siens, il se sentit encore plus stupide lorsque les mots traversèrent la barrière de ses lèvres :

    - Est-ce que… tu veux bien… rester jusqu'à ce que je m'endorme ?

    Dieu se redressa, surpris. Les joues de Hunter rosirent alors qu'il baissait les yeux.

    - Je fais… des cauchemars depuis que j'ai tué Armand… je n'arrive pas à oublier son nom… c'est stupide. Murmura-t-il.

    - Je ne trouve pas. Répondit l'apparition.

    - Je rêve de sa famille des fois… il avait peut-être une femme… une mère qui le pleure… je n'aime pas ça… ces cauchemars… ces gens qui devraient me haïr…

    - Je suis là. Chuchota l'ingénu.

    Il glissa ses doigts dans les cheveux de l'adolescent et le regarda tendrement alors que Hunter fermait les yeux.

     

    Lorsque Hunter se réveilla, le lendemain, le corps à ses côtés avait disparu. Mais il avait très bien dormi. Peut-être que c'était même la première fois de sa vie qu'il dormait aussi bien.

    De ce fait, il était presque triste de ne plus avoir Dieu à ses côtés. Il aurait pourtant tellement voulu être près de lui…

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  • 9

    Doggy asbl


    Au soir, Hunter était installé dans sa chambre. Il pianotait sur son ordinateur jusqu'à retourner sur le site de Doggy. asbl. Il passait d'une page à l'autre, cherchant manuellement ce qu'il aurait pu trouver en quelques secondes. Il avait besoin de se vider l'esprit.

    Il craignait les sentiments qu'il avait à l'égard de son Dieu. Il avait tant envie de s'éblouir jusqu'à ce qu'il vienne. Mais il savait qu'il n'avait pas le droit de tricher.

    Hunter fit glisser ses doigts sur le pavé tactile à la recherche de quelconque transaction. Un loup aussi beau que le sien ne pouvait pas avoir été juste donné. Il n'avait aucune idée de sa lignée, de son pedigree ou de quoi que ce soit mais il savait qu'il devait coûter cher.

    Sur le site en lui-même, il n'en trouva rien.

    Ça ne l'étonnait pas vraiment. Qui aurait mis ça à la vue de tout le monde ?

    Il soupira et navigua un peu sur les pages, cherchant le meilleur point pour en infiltrer la base de donnée elle-même. De là, pouvoir convergé vers tous les ordinateurs qui y étaient reliés où y avaient été raccordés même quelques minutes était bien plus évident.

    C'est ainsi qu'il arriva sur l'espace réservée aux vidéos. Le meilleur endroit pour pénétrer un système.

    Il voulut infiltrer la base mais un doute l'attrapa tout à coup. Il regarda un peu plus attentivement. Les vidéos étaient classées par race. Il n'eut aucun mal à trouver « loup ». Il n'y avait qu'un seul animal pour cette dénomination. Il n'y avait que trois vidéos. Il cliqua sur la première, les lèvres serrées.

    Sous ses yeux s'enclencha une vidéo de son loup, aculé dans un coin de la zone de combat de fortune. Face à Clairsemé, il y avait un american staff aboyant, grognant. Hunter ne doutait pas qu'on l'avait affamé. Ainsi, il ne pouvait plus que voir son « adversaire » comme de la viande sur patte.

    Les deux canidés se faisaient face, le chien plus violent. Il tâchait de donner des coups de dents alors que les voyeurs hurlaient de plaisir. De temps en temps on jetait des papiers verts sur eux. De l'argent. L'american staff grogna encore et donna un coup de dent que le loup réussi à éviter en couinant. Il se coinçait d'autant plus, se serrait contre l'enchevêtrement de sac. Le molosse aboya. Il fut poussé par un homme avec un long bâton.

    La bave écuma aux lèvres du chien qui se jeta alors sur son « adversaire ». D'un mouvement bien placé, il parvint à mordre une patte du loup, faisant gicler du sang sur le sol et les sacs de nourriture.

    - Clairsemé ! S'écria Hunter, mortifié.

    Il entendit des coups frapper à la porte. Il sursauta, ferma l'ordinateur puis se redressa.

    - O… Oui ?

    - Ça va ? Je t'ai entendu crier. Souffla Camile en rentrant dans la chambre.

    - Oui… je regardais un film. Mentit Hunter.

    Il se sentait mal. Le mensonge était devenu omniprésent depuis qu'on lui avait kidnappé son loup. Il voulait retrouver Clairsemé, le mettre en sécurité, aider Dieu, le garder à ses côtés et, enfin, redevenir le gentil petit garçon que sa « mère » aimait tant.

    - D'accord… j'avais peur que… tu te sois blessé…

    - J'aurais pas crié. Rit le malade.

    - C'est vrai. Remarqua son parent, un rire nerveux émanant de ses lèvres.

    Hunter lui fit un grand sourire pour le détendre. Il ne voulait pas que l'homme soit si chagriné.

    - Essaie de ne pas trop veillé, d'accord ?

    - Oui maman, promis.

    Camile sourit et vint lui poser un baiser sur le front.

    - Je t'aime. Souffla-t-il en lui caressant les cheveux.

    - Moi aussi 'man. Passe une bonne nuit.

    - Hm. Répondit-il avant de sortir.

    Hunter força un sourire. Il attendit que la porte ne se ferme pour rouvrir l'ordinateur.

    Il fallait absolument qu'il venge son loup. Ces hommes avaient fait souffrir Clairsemé ! Il aurait dû rouvrir la vidéo et correctement la visionnée pour savoir à quel point il devrait leur faire payer. Mais il n'était pas capable de voir encore une fois Clairsemé souffrir. Ils l'avaient blessé. Cet animal si doux et aimant.

    Il coupa son ordinateur, le cœur serrer. Il le posa à sa place habituelle, prit Fraisy dans ses bras puis se glissa sous les couvertures. Toujours agréablement chaude en hiver, agréablement fraiche en été. Il ferma les yeux, essayant de dormir.

    Il ne doutait pas qu'il ferait des cauchemars. Doublés du fait qu'il verrait aussi les horreurs faites à son loup.

    µµµ

    Le lundi venu, Hunter préparait son sac pour l'école, les lèvres serrées. Il savait qu'il ne devait pas faire ce qu'il s'apprêtait à faire. Pourtant, il l'avait bel et bien prévu.

    L'occasion s'était présentée grâce à une vérification de dernière minute dans son journal de classe : il avait un professeur absent. C'était prévu depuis plus d'un mois, formation pédagogique. Par chance, ce professeur était le premier qu'il avait, il pouvait commencer l'école une heure plus tard.

    Il en profitait alors pour tout mettre en œuvre afin de commettre un méfait. Un autre. Encore quelque chose qui le ferait profondément souffrir. Une abomination qu'il n'aurait pas dû commettre. Mais il avait la conviction que c'était pour le bien de Clairsemé, pour le bien d'animaux qui avaient été profondément blessé par l'humain.

    C'était mal… mais il espérait que Dieu le soulagerait.

    Hunter ne doutait pas qu'il arriverait en retard à l'école. Ça lui faisait du mal. Non pas parce qu'il avait sincèrement envie de suivre les cours mais parce qu'il savait que Camile lui en voudrait.

    Il s'assura que tout était bien dans son sac, y compris quelques armes prélevée sur le Tessen. Il regagna ensuite la cuisine pour petit-déjeuner avec son parent. Il attendit que l'homme ait le dos tourné pour glisser une boîte d'allumette dans son sac. Il vint lui faire la bise et quitta l'appartement. Il espéra, une fois encore, qu'il ne se ferait pas détester par Camile. Il était une personne tellement importante pour lui.

    Hunter marcha le long des rues, jetant de fréquents regards vers la fenêtre de leur appartement pour être sûr que sa « mère » ne surveillait pas.

    Il se rendit vers l'entrepôt désaffecté, le cœur lourd. Sur son chemin, il récupérait fréquemment des fonds de bouteilles d'alcool, voire même des bouteilles ou cannettes entières. S'il pouvait, il récupérait aussi du papier, des journaux, des livres abandonnés, des publicités. Il rassemblait ainsi une multitude de chose qui, légère de base, se voyait devenir lourdes.

    Finalement, il arriva au lieu sordide qu'était « ». Il déposa son fardeau derrière des poubelles puis entra dans l'entrepôt. Il eut un sourire en voyant qu'il y avait bien des badauds. Ce n'était certainement pas ceux qui s'étaient repais du spectacle de la souffrance de son loup. Par contre, c'était des personnes qui auraient pu le faire.

    Puisqu'il ne pouvait traquer chacun des êtres qui avaient fait du mal à Clairsemé, il devait se contenter d'eux. Pourtant, il aurait tant voulu les faire souffrir.

    Hunter passa à côté des nigauds qui pariaient devant un combat chihuahua-husky. Ça ne l'étonnait pas que le premier soit en train de gagner.

    Le petit malade se rendit jusqu'à la salle où les chiens étaient maintenus captifs. Personne ne le regardait, tous salivaient devant ce sang qui giclaient, en aspergeant certain d'entre eux. C'était surtout ça qui les excitaient d'ailleurs.

    Hunter remarqua que les cages étaient toutes fermées… mais un coup d'œil avisé lui indiquait qu'elles s'ouvraient grâce à un dispositif électronique. Il sourit et chercha après l'ordinateur qui y était relié.

    Il ne tarda à trouver ce magnifique saint Graal. Il marcha vers lui d'un air détendu. Arrivé à l'engin, il l'alluma. Il fallait un mot de passe. Heureusement, pour lui, c'était plutôt évident de s'en défaire.

    Ses doigts se mirent à bouger sur le clavier comme s'il jouait du piano. Quelques secondes après, il ouvrait la session puis déverrouillait toutes les cages. Il pressa sur un ultime bouton pour les ouvrir en grand.

    Voyant certains chiens se terrer contre les barreaux, il vint vers eux. Il les poussa à sortir de leur prison. Certains claquèrent des dents en sa direction. Hunter n'était pas freiné par la douleur, ainsi, il continuait de les extraire de cet enfer. Mais il ne devrait pas oublier de vérifier qu'il n'avait pas été blessé. Surtout qu'avec ces bêtes-là, les infections risquaient d'être nombreuses.

    Lorsqu'il eut fait sortir tous les canidés de leur cage, il sortit de l'entrepôt. Il bloqua chacune des portes avec de lourd battant de bois. Alors qu'il posait le dernier, il remarqua que ses mains tremblaient. Il était en train d'avoir peur… Malheureusement pour sa conscience et ses nerfs, il devait venger son loup.

    Même s'il se dégoûtait horriblement.

    Essayant vainement de contrôler ses tremblements, il enfila ses gants en cuir. Les mêmes que la dernière fois. Il jeta des boules de papiers à certains endroit de la bâtisse et de l'alcool à d'autre. Agissant de la sorte, il espérait qu'il y aurait un accélérateur de feu à chaque recoin de l'entrepôt. Il sortit alors la boîte d'allumette. Il les craqua, une à une, les jetant aux hasards. Il avait peu de chance de ne pas toucher un foyer de combustion.

    Hunter regarda un des brasiers commencer à grimper, léchant l'immeuble. Il s'éloigna de quelques pas et observa l'entrepôt se faire recouvrir par les flammes. Il croisa les bras. La jubilation prenait le pas sur sa peur. Il ne pouvait s'empêcher d'aimer voir les flammèches embraser toute cette vermine.

    De plus, ne disait-on pas que Dieu absoudrait nos pêchers si l'on se faisait purifier par le feu ? En ce cas, lui qui était si aveugler par tout ce qu'était son ingénu, ne faisait-il pas ce qu'il fallait ? N'était-ce pas la raison pour laquelle, l'innocent le réconfortait pour chacun de ses méfaits ?

    Du moins, il essayait de s'en convaincre. Espérant que son âme ne soit pas damnée pour qu'il puisse le rejoindre un jour au ciel.

    Des bruits de coups s'élevèrent contre la taule. Des cris pourfendirent l'air.

    C'est alors que Hunter se mit à penser à ces gens qu'il tuait. Peut-être qu'ils avaient une famille qui, comme sa « mère » pour son père, les déplorait. Peut-être qu'ils avaient été entraîné ici sans vraiment le désirer. Peut-être qu'ils ne se rendaient même pas compte qu'ils faisaient du mal. Il sentit les remords grimper dans son corps. Il se disait que c'était pour son loup, toutefois, ça ne marchait plus vraiment. Pas sur ce coup-ci. Parce que, peut-être, il y avait vraiment des innocents.

    Les sirènes des pompiers le firent réagir. Il longea un mur et contourna une masse de bâtisse avant de marcher vers l'école, laissant derrière lui les cris, la sirène des pompiers et la chaleur plus qu'étouffante.

    Il mit quand même plus de vingt minutes à arriver à l'école, en nage, le souffle saccadé. Il ne lança qu'un regard par-dessus son épaule pour voir qu'il était déjà neuf heures trente. Dix minutes de retard.[1]

    Il entra dans la bâtiment et se présenta au secrétariat. Inutile d'essayer de frauder en allant directement en cours : dix minutes c'était bien trop.

    Il s'approcha de la femme qui le fixait de son regard inquisiteur. Un adolescent comme lui qui avait déjà séché plusieurs fois les cours était certainement sur une liste rouge. Surtout que lui, plus particulièrement, était assez bien connu de l'école. Déjà par ses cheveux bien roux, sa petite taille, son aspect juvénile qui lui avait déjà joué des tours et, bien sûr, à cause de sa maladie.

    - En retard de dix minutes…

    - Je sais. Dit Hunter en donnant son journal de classe.

    - Une excuse ?

    Il secoua la tête, les lèvres pincées.

    - Vous avez déjà prévenu Ma… papa ?

    La femme ne répondit pas et parapha rapidement le journal de classe. Elle le rendit à l'élève puis annota quelque chose dans un grand carnet qui lui était réservé. Hunter serra les lèvres avant d'aller en cours. Il avait déjà perdu assez de temps.

    µµµ

    Après l'entraînement de piscine, Hunter se rhabilla aussi vite qu'il le pouvait. Il avait été très absent, ce qui avait attiré l'attention de son entraîneur. Il n'avait pas envie de s'expliquer. Déjà qu'il était sûr qu'il devrait en découdre avec Camile.

    Lorsque les autres adolescents préféraient fuir le gourou de leurs parents, il savait qu'il fallait mieux que l'adulte ait le moins de temps possible pour renâcler sa colère. C'était la raison pour laquelle il voulait rentrer si vite.

    C'est au pas de course qu'il regagna l'immeuble, puis l'appartement. Il était de nouveau rouge et haletant mais pour d'autres raisons à présent. Il inspira de l'air comme si c'était la dernièrement qu'il respirait.

    Il ouvrit bravement la porte d' l'appartement.

    Une main se fracassa contre le battant. Il put voir un sourire froid. Celui de sa « mère ».

    L'adolescent ne prit même pas la peine de trouver une excuse quelconque. À quoi bon ? Pour quoi faire ? Il préférait être puni à vie et supporter moins longtemps le ressentiment de son parent. Mieux, il n'augmenterait pas son sentiment de dégoût en continuant encore et encore de mentir.

    - Je suis allé à l'école après ! Jura Hunter. Je commençais plus tard et j'ai pas vu le temps passé…

    - Je me disais que je pouvais à nouveau te faire confiance, moi !

    - Je sais mais…

    - C'est de ma faute. Parvint une voix.

    Hunter se figea. C'était la voix de Dieu. Il se tourna et fixa l'apparition si splendide qui se tenait là, toujours nu pied, toujours short, trop court mais innocent sur ses jambes graciles, et t-shirt sali, toujours bandage à la cheville et à la cuisse.

    Le malade déglutit difficilement et regarda d'abord l'ingénu puis Camile. Camile qui le regardait toujours.

    Ainsi, depuis tout ce temps, ses doutes étaient fondés. Dieu n'était jamais que le fruit de son imagination. Il était apparu la première fois le jour où il avait décidé qu'il deviendrait un meurtrier. À l'époque, il ignorait si cet instant fatidique arriverait dans quelques secondes ou jours, ou encore années.

    L'ingénu était en tout point ce qu'il trouvait beau, merveilleux. Que pouvait-il être d'autre qu'une apparition sortie de ses fantasmes les plus fous ?

    - Hunter m'a rencontré et… il voulait m'aider… je lui ai pris trop de son temps. Il a vu que l'école allait commencer et il est parti. Il était triste parce qu'il avait peur de vous décevoir.

    L'adolescent regarda l'ingénu. C'était exactement ça bien que, cette fois-ci, les actes n'étaient pas fait pour lui. Il ne l'avait même pas aidé aujourd'hui puisqu'il n'avait pas été au travail. Il voulait revenir au plus tôt par crainte de l'homme mais aussi pour le rassurer.

    - Trois fois ?

    Hunter sursauta. C'était la voix de son parent.

    - Oui. Répondit Dieu.

    - Je vois… tu aurais pu me le dire, Hunter. Souffla l'adulte.

    Il fixa son fils puis l'ingénu. Son regard s'attarda d'ailleurs sur ce dernier.

    - Tu es maigre…

    - Je vis dans la rue. Chuchota-t-il, la tête baisée.

    - Rentre… je vais te préparer quelque chose à manger.

    - Merci ! Sourit l'ingénu.

    Il sautilla à la suite du maître de maison qui l'emmena dans la cuisine en souriant. Hunter, perdu, rentra dans l'appartement à son tour. Il ferma derrière lui alors qu'il entendait des bruits de discussion entre sa « mère » et celui qui faisait battre si violemment son cœur.

    Il n'arrivait pas à croire que Dieu puisse vraiment être visible par autrui. Il s'était convaincu qu'il voulait que les autres le voient tout en le gardant jalousement.

    Il ignorait toujours ce qu'était l'innocent. Mais une chose était sûre : Il l'avait tiré d'un bien mauvais pas.

    µµµ

    Le repas venait de se terminer. L'assiette de Dieu avait été raclée de fond en comble, déjà qu'il s'était resservi deux fois. Il s'était régalé de ce plat. Il n'avait cessé de complimenter l'homme qui souriait gentiment.

    Hunter était content de mettre trois assiettes dans le bac de l'évier. Pour une fois, les trois plats avaient servis à trois convives. Ça faisait trop longtemps que quelque chose d'aussi admirable n'était pas arrivé.

    - Merci beaucoup… je vais rentrer.

    - Tu es sûr que tu veux partir par ce froid ?

    Dieu vint faire un câlin à Camile, un large sourire aux lèvres.

    - Oui, je ne risque rien. Mais merci de vous en soucier.

    - Repasse dès que tu le souhaites. Chuchota l'homme, tout de même inquiet.

    - Merci, vous êtes trop gentil !

    L'ingénu lui posa un baiser sur la joue. Il vint embrasser le coin des lèvres de Hunter puis il partit vers la porte. L'adolescent le regarda partir, un léger sourire aux lèvres. Son cœur tambourinait dans sa poitrine.

    Une main tendre se posa sur son épaule, manquant de le faire sursauter.

    - Je suis content d'avoir enfin une raison. Et que tu t'occupes de quelqu'un aussi adorable.

    Hunter sourit de toutes ses dents. Lui aussi pensait que Dieu était particulièrement adorable. Il le rendait heureux en un claquement de doigt et il avait ce sourire si magnifique.

    - Mais… Continua Camile. Tu es privé d'ordinateur. Pour au moins deux semaines.

    - Mais maman… Essaya l'adolescent.

    - Tu veux que j'augmente ? Questionna l'homme d'un ton « trop » doucereux.

    - Non… je comprends ma punition. Excuse-moi…

    Il eut un sourire faible avant d'aller dans sa chambre. Il récupéra son ordinateur qu'il vint apporter à son parent. Celui-ci le remercia en collant un baiser sur sa joue. Hunter alla prendre sa douche, essayant de faire en sorte à ce qu'elle ne soit pas trop chaude en surveillant la petite barre sur l'arrivée d'eau.

    µµµ

    Le lendemain, Hunter était au travail, rangeant ce qu'il pouvait. Il avait très vite pris un mode de fonctionnement et il travaillait efficacement. Ce pourquoi ça n'avait pas été gênant qu'il ne puisse pas venir hier.

    La seule chose qui l'agaçait vraiment, c'était cette sale habitude qu'avait l'homme : celle de venir poser le journal du jour ici dans ce bureau. Il aurait pu le déposer n'importe où mais non.

    Pourtant, aujourd'hui, il y trouvait un certain intérêt. Il y avait un gros titre qui captait son attention : celui sur un incendie.

    Il tendit la main et s'en saisit, voulant le lire avec attention.

    « Hier, les pompiers ont été prévenus par des habitants des quartiers pauvres. Un entrepôt désaffecté était en flammes.

    Heureusement, l'intervention des services du feu ont été rapide et efficaces. Le foyer n'a pas pris plus d'ampleur.

    Malheureusement, cinquante-neuf personnes étaient bloquées dans l'entrepôt, on ignore encore comment.

    Il y a, à ce jour, un mort à déploré et dix blessés graves. Les autres s'en sortent avec quelques contusions, blessures et une sacré peur.

    Julie Holmes »

    Hunter se sentit à la fois rassuré, de savoir qu'il n'avait pas fait tant de mort, et dépité. Ils avaient réussi à survivre. Ils avaient pourtant fait tant de mal à Clairsemé… et ils s'en sortaient indemne.

    Ou presque.

    µµµ

    Le lendemain, le petit malade s'était glissé dans ses draps. Il avait passé la nuit d'avant avec Camile, comme bien souvent. Trop souvent. Il fixait le plafond, torturé par les cauchemars qu'il ferait sans doute bientôt.

    Il n'osait pas fermer les yeux. Même dans les bras de sa « mère » ses mauvais rêves ressurgissaient inlassablement. Il ne trouvait pas la paix.

    Depuis l'incendie, malgré ce qu'il en pensait, il était encore plus torturé qu'avant. Il n'osait même pas fermer les paupières tant ça l'effrayait.

    Il sursauta lorsqu'une ombre apparut dans son champ de vision. Mais la quiétude le gagna lorsqu'il vit Dieu. Celui-ci s'assit sur le bord du lit, un léger sourire se dessinant sur ses lèvres.

    - Bonjour…

    - Bonjour… je suis content que tu sois là. Chuchota Hunter en lui prenant la main.

    - Tu souhaites que je vienne plus souvent ?

    - Oui… aussi souvent que tu le peux… quand maman n'a pas besoin de moi… tu veux bien ? Murmura le malade.

    - Bien sûr que je veux bien. Dit-il en s'allongeant à son côté, par-dessus les couvertures.

    Dieu posa un baiser sur sa joue, souriant doucement.

    - Dis… je sais que… que tu as été adopté par Camile…

    Hunter opina faiblement.

    - Tu tiens de ta « maman » en fait. Rit l'ingénu.

    L'adolescent le fixa, buvant ses paroles, se rassasiant à la vision féérique de ses lèvres qui bougeaient.

    - J'trouve pas. Maman est mieux.

    - Comment tu t'es retrouvé ici ? Demanda Dieu en appuyant sa tête sur son épaule.

    - Mon père, celui qui a contribué à me mettre au monde… est de ces hommes qui aiment les enfants. Il m'a eu par accident… un soir alcoolisé avec la femme qui l'aidait à faire bonne figure. On dit que… qu'un pédophile ne touche jamais ses enfants… ou dans un ou deux rares pourcent…

    Hunter eut un rire nerveux. L'ingénu se resserra tendrement contre lui. Il posa un tendre baiser sur sa joue puis serra sa main dans la sienne. Il voulait le rassurer. Il avait un sourire réconfortant, teinté de tristesse, sur les lèvres.

    - Je n'avais que cinq ans lorsqu'on s'en est rendu compte… l'assistance sociale m'a arraché à lui. Un an après, j'étais adopté par papa et maman… là je me suis senti bien…

    - C'est horrible ce que tu as vécu. Chuchota Dieu. Tu ne devrais pas faire toutes ses horreurs… elles ne sont pas bonnes pour toi… tu as déjà trop de souffrance.

    - Je le fais pour Clairsemé…

    L'ingénu sourit et posa un baiser sur le coin de ses lèvres.

    - Dors. Je suis là pour toi. Toujours.

    Hunter posa un baiser sur sa joue à son tour. Il ferma les yeux et laissa le sommeil l'envahir. Il était vraiment apaisé par la présence de cet être qu'il aimait tant. Il le savait à présent.


    [1] En Belgique, une heure de cours correspond à cinquante minutes. Les cours débutent à 8h30.

     

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  • Écrit le 28 octobre 2015

    La trilogie des fourmis de Bernard WerberLes fourmis de Werber font partie de ces livres qu'on vous vantent en disant "vous devez l'avoir lu", c'est donc avec joie que j'ai acheté le premier exemplaire lorsque je l'ai trouvé pour trois fois rien.

    L'aventures s'est vite retrouvée plaisante : un bon style, une façon sympathique de présenter les choses en passant des Humains aux fourmis et des intrigues qui nous donnent toujours plus envie d'aller plus loin. J'ai apprécié de n'être jamais perdue même en lisant un petit peu tous les jours au lieu d'un texte suivi.

    J'ai vraiment apprécié la façon dont il a abordé le côté fourmi. La façon de retranscrire leurs communications, de nous plonger dans leurs univers et même les options choisies pour nous décrire les choses, nous laissant deviner ce que sont "les choses plates" ou "les choses roses par cinq" ou, tout simplement, le fait que nous en apprenons plus sur les fourmis et sur le monde animal d'une façon joliment écrite. Mis à part quelques passages qui me semblaient plus lourd et un peu trop expliqué, j'ai apprécié le voyage.

    Jusqu'à ce que la fin arrive...

    Un résultat que j'ai attendu pendant tout l'ouvrage qui, à mes yeux, tombe à l'eau par des illogismes et un affreux deus ex machina. Je vois là une solution de facilité voire à un manque de réflexion sur le genre humain lui-même. Comme si Werber avait tellement peaufiné les fourmis qu'il avait oublié comment les Hommes fonctionnaient...


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  • Personne n'échappe à maman

    Scritch.

    Le bruit de pas dans la neige. Aucun son ne lui succéda. Figé, le pied en l'air, il fixait la couche blanche qui s'étendait sur les trottoirs. Blanche ?

    Non…

    Rouge.

    – C'est toi ? cria-t-il.

    Il se recula vivement sur la chaussée, serrant son sac sur son épaule.

    – Je sais que c'est toi ! Tu ne peux pas me surveiller toute ma vie ! Tu ne peux pas rester sur mon dos ! hurla-t-il.

    Tremblant, il observait, sans faille, l'endroit où il se tenait encore quelques secondes auparavant.

    – Tu n'es pas ma…

    Un klaxon. Un hurlement.

    – ATTENTION !

    Il tourna vivement la tête.

    Scritch.

    Le bruit d'un camion roulant sur quelque chose…

     

     

    Timeo trottinait dans la rue, le regard bas. Il n'avait que dix ans mais déjà bien du mal à sourire… Comment sourire lorsque sa mère le frappait tous les jours et qu'il en portait les ecchymoses ? Mais c'était normal. Enfin c'est ce qu'elle disait : c'était de sa faute si son père était parti. Parce qu'il était né…

    Il songeait à son ami, Ethan, qui se vantait de tout ce que ses parents lui offraient. La dernière console, les dernières bandes dessinées, les soirées de cinéma. Qu'est-ce qu'il l'enviait ! Si seulement sa maman pouvait lui offrir moins de « cadeaux ». Elle lui lançait bien « tu vas voir ce que tu vas recevoir ! » il ne voyait jamais rien… Mais qu'est-ce qu'il le sentait !

    Timeo entendit du bruit derrière les poubelles. Des petits cris…

    Il tendit l'oreille et s'en approcha prudemment. Il se pencha derrière la taule et s'arrêta en croisant le regard intriguant d'un animal. D'une petite saucisse poilue ! Ce n'était pas un chien, ce n'était pas un chat… Mais il était plutôt mignon ! Jamais sa mère ne tolérerait qu'il ait un animal, elle avait déjà jeté le poisson rouge gagné en fête foraine dans les égouts…

    Mais sa mère ne tolérerait jamais rien…

    Il avait très envie de conserver cette étrange bête dont le regard bleu était si particulier. Rassurant ? Protecteur ? Gentil ? Il l'ignorait mais il désirait cette compagnie. Plus que tout. Et pourquoi ne pas tout simplement céder ? Il lui suffirait de cacher l'animal !

    Il tendit les mains vers la petite créature. Celle-ci ne s'enfuit pas, ne chercha pas à se protéger. Elle se laissa attraper et ronronna doucement en se blottissant contre son cœur.

    Le vent souffla, brassant quelques flocons qui tournoyèrent autour du visage de l'enfant. La bise chargée de neige murmura :

    – Ne t'attache pas. Il est encore temps. Si tu t'attaches… Tu mourras !

    Timéo frissonna. Avait-il entendu ces mots ou n'était-ce que le froid mordant qui l'avait assailli ? L'enfant glissa le petit animal dans la mallette. S'il perçut un couinement, la petite bête se laissa faire et se faufila entre le livre de mathématique et le plumier. Il se redressa et lécha la joue du garçonnet avant de se tapir au fond. Riant, Timéo referma son cartable, le mit sur son dos et partit en courant vers l'école.

     

    Timéo arriva dans la cour de l'immeuble où il vivait. Il grimpa sur l'escalier de secours et s'accrocha à la rampe. Après cinq ans, il ne s'habituait toujours pas à ce bruit, à ces grincements. C'était comme si toute l'infrastructure allait s'effondrer sous son poids-plume.

    Cinq années…

    Jamais sa mère n'avait trouvé bon de venir le chercher. Et jamais sa mère n'avait trouvé bon de lui donner les clés de leur appartement. Heureusement, si on pouvait le dire ainsi, la porte qui donnait sur la cour, surchargée d'objets rouillés, était toujours ouverte. C'était bien pour ça que, bravement, il escaladait ses marches de fer jusqu'à l'étage dix. Et il voyait, entre chaque interstice, le sol parsemé de cailloux blancs.

    – Le grand alpiniste Timéo Dilch est encore partit à l'ascension du mont Scalier ! Il est brave ! Il a déjà gravi le premier pallier ! On le filme depuis un hélicoptère ! La foule est en déliiiiire !

    Le petit animal sortit la tête du sac et le regarda. Timéo grimpa courageusement le deuxième étage. Il fit un signe de main à l'adresse de Madame Roussel qui pelait les pommes de terre.

    – Fais attention, Timéo, lui lança-t-elle.

    – Oui !

    L'enfant monta encore, commentant toujours afin de se changer les idées. De ne pas penser qu'il était de plus en plus haut, de ne pas se rappeler ce que sa mère lui avait dit une fois « si tu pouvais tomber et crever, vermine ». Il avait mis longtemps à comprendre, mais, finalement, son cœur d'enfant s'était brisé. Son cerveau de garçonnet avait réalisé qu'il existait là un danger dans ce qui avait pourtant été un jeu pendant deux longues années. Il se souvenait comme il jouait sur le « pallier » parce qu'il n'avait pas le droit de descendre dans la cour.

    Timéo finit son escalade après cinq minutes, ouvrit la porte et se glissa dans la cuisine. Il fila directement dans sa chambre. Là, il remarqua que son animal de compagnie avait sorti la tête. Il rit et ouvrit sa mallette pour en sortir la petite bête.

    – Tu es chou ! Je vais te préparer un petit bac. Il faudra rester ici et être silencieux. Maman n'aime pas le bruit.

    Les oreilles de l'animal remuèrent. Il ouvrit la bouche mais aucun son n'en sortit. Timéo récupéra une caisse où il jetait habituellement ses vêtements et fila chercher un rouleau de papier toilette qu'il émietta pour qu'il serve de « copeaux de bois ». Il sortit ensuite ses cours et s'installa à son bureau. Tirant son cartable, il y récupéra un berlingot de lait chocolaté et quelques biscuits. Ils les préparaient toujours au soir, quand sa mère, ivre, s'endormait devant la télévision. Le seul moment où rôder dans la cuisine n'était pas dangereux pour lui…

    Il coupa un de ses biscuits en deux et le tendit à la créature qui s'en saisit dans sa petite gueule en ronronnant. Timéo rit et mangea avant de se mettre à ses devoirs. La bête resta bien sage à côté de lui, faisant ce bruit qui rappelait un chat.

    Il pinça les lèvres, penché sur ses feuilles de mathématiques.

    – Alors… cent-vingt-trois virgule quatre plus douze virgule deux…

    Il tira la langue, la callant entre ses dents comme si ça l'aiderait à se concentrer.

    L'animal grimpa le long de ses jambes, atterrit sur ses genoux et bondit agilement sur le bureau. Il leva une patte et la posa sur la page, faisant rire Timéo qui caressa son nouvel ami.

    – Tu veux m'aider à faire mes devoirs ?

    Aussi surprenant que ça pouvait l'être, la boule de poil hocha la tête. Il fila chercher quatorze objet qu'il installa en sept tas, se mettant entre celui de quatre et de trois. D'un côté, on pouvait voir un, deux, trois et quatre. De l'autre, un, deux et encore deux.

    – Cent-vingt-trois virgule quatre et douze virgule deux ! Tu es trop intelligent !

    Il rit et caressa la petite tête, faisant ronronner d'autant plus l'animal. Rapidement, le garçonnet additionna les éléments et s'écria, tout content :

    – Cent trente-cinq virgule six !

    – Tu vas la fermer ! cria une voix.

    Timéo sursauta et regarda la petite bête qui s'était tassé.

    – Ça… C'était maman…

    Les oreilles animales s'agitèrent.

    L'enfant soupira et recommença ses exercices. Utilisant la technique de son nouvel ami, il eut tôt faire de finir tous ses calculs. Il s'obligea ensuite à prendre le petit roman qu'ils devaient finir pour le mois prochain, les pages étaient toutes cornées, résultant de la dernière fois où sa mère était entrée dans sa chambre. Elle l'avait frappé avec l'ouvrage d'une telle force qu'il en avait eu l'épaule luxée.

    Le petit prit la boule de poil et se glissa dans le lit avec elle. Il se pelotonna sous les couvertures qui grattaient et qui sentaient un peu mauvais. L'animal lui-même se cacha le museau mais se blottit contre l'enfant qui le caressa en ouvrant le livret. Il lança un regard vers la porte. Combien de temps avant qu'il ne doive subir la colère de sa mère…

     

    Il était déjà tard. Timéo appliquait un gant de toilette sur son œil en se demandant comment il expliquerait cet hématome qui soulignait déjà le noir de ses iris. Jamais il ne pourrait dire que sa mère lui avait envoyé son poing dans le visage. Et encore moins parce qu'il avait eu l'audace de demander s'il pouvait manger.

    Il se tourna vers son nouvel ami lorsqu'il entendit une longue plainte. Il lui fit signe de se taire. Sa mère ne dormait pas… Il s'était bien lavé mais n'avait pas pu se faire à manger pour le repas de midi demain. Il se demandait encore comment il allait faire…

    Il se glissa dans son lit en pensant à Joachim, un autre de ses amis, qui pleurait dès qu'il recevait une fessée. Timéo ne pouvait que le plaindre, même si ça n'arrivait qu'une fois par mois et que son camarade cherchait les punitions en désobéissant sans cesse à ses parents. Mais pour le petit Dilch, un coup était un coup. Peu importe pour quelle raison il était donné… Alors, lorsque ça arrivait, il expliquait à son copain que même s'il avait mal, son père et sa mère l'aimaient ! Il ne savait plus si c'était la vérité ou un mensonge… Un jour, l'enseignante lui avait dit qu'une fessée, ça ne voulait pas dire qu'on ne l'aimait pas, au contraire.

    Peut-être que sa maman l'aimait beaucoup ? Énormément…

    L'enfant bâilla et se blottit un peu plus dans ses couvertures. Lorsqu'il voulut prendre les draps pour les tirer sur lui, l'animal apparut et le borda avec soin. Son nouvel ami alla même jusqu'à éteindre grâce à un cordon relier à la lumière. Peu après, Timéo sentit une léchouille sur son front puis la petite bête se blottit contre son cœur.

    Pour la première fois, le garçonnet était apaisé lorsqu'il s'endormit…

     

    Le ventre de Timéo gargouillait… Assis sur un banc de l'école, il serrait son sac où le petit animal était caché, dissimulé sous sa trousse. N'ayant pas d'argent, il ne pouvait pas se payer un repas à la cantine. Il songeait bien à chiner auprès de ses amis… Ils lui offriraient forcément un petit quelque chose. Juste assez pour caler sa faim qui le tenaillait depuis hier au goûter.

    Son ventre gargouilla encore lorsque la boule de poil bondit hors de sa mallette. En d'agiles bonds, il disparut bientôt. Effrayé, Timéo poussa un cri, jeta son cartable au sol et courut après son nouvel ami. Il sortit dans la rue sous le cri d'un surveillant et, suivant l'animal, fila vers la grande route.

    Un bruit de klaxon retentit.

    – Ça ne va pas ?! cria une voix d'homme.

    Timéo était saisi par le pion qui le secouait fortement.

    – Les enfants de nos jours… gémit une vieille femme, les bras chargés de sacs de provisions.

    – Ah… souffla l'homme.

    Le garçonnet essaya de se débattre, cherchant l'animal de son regard larmoyant.

    – Vous avez entendu parler de cet adolescent qui s'est jeté sous un bus ? demanda la dame.

    – Oui… Sait-on ce qui lui a pris ? S'enquit le surveillant.

    En même temps, il poussa le petit vers l'enceinte de l'école.

    – Il n'a rien dû entendre… Encore et toujours avec leurs musiques, soupira la vieille femme en secouant tristement la tête.

    – Oui, sans doute…

    Timéo s'essuya les yeux et retourna vers le banc. D'une main tremblante, il récupéra sa mallette qu'il ouvrit pour remettre un peu d'ordre. Lui qui croyait que son animal l'aimait… Il était partit. Ils s'entendaient bien pourtant… Non ? Il renifla et ferma son cartable qu'il jeta sur son épaule. Il serra les dents sous la douleur. Il avait touché un de ses hématomes…

    Il partit vers la cantine où ses camarades se pressaient déjà. Il trouverait Ethan et Joachim. Au moins, en discutant avec eux, il serait heureux un instant.

    Il allait rentrer dans le bâtiment lorsqu'il sentit quelque chose de lourd sur son pantalon. Le retenant par sa ceinture trop grande, il baissa les yeux. Yeux qui s'illuminèrent directement en voyant l'animal. Il l'attrapa et s'enfuit à l'intérieur du réfectoire mais se précipita, cachant la boule de poil sous son pull, vers une porte annexe qui donnait sur un couloir ayant lui-même accès aux toilettes.

    Il se cacha dans l'une des cabines et libéra la petite bête qui s'ébroua adorablement.

    – Pourquoi tu étais parti ?

    Alors qu'il murmurait ces mots, il découvrit une serviette fortement roulé que la créature tenait dans sa gueule. Le garçonnet la prit prudemment et l'ouvrit. Un hot dog trônait sur le papier !

    – Ooooh ! Tu as été cherché ça pour moi ?

    L'animal opina vivement. Ses babines semblèrent se retrousser en un sourire. Il serra l'animal contre lui et s'assit sur la cuvette des toilettes. Il coupa, de ses doigts, un bout de saucisse qu'il donna à son nouvel ami.

    – Bon appétit ! rit-il.

    Le boule de poil poussa un cri et commença à déguster leur repas. Manger ainsi dans les toilettes était une première pour Timéo mais si c'était avec son nouvel ami, il voulait bien le faire… Il se sentait apaisé avec lui sur les genoux.

     

    Lorsque Timéo poussa la porte de la cuisine, il rencontra les yeux bruns de sa mère. Elle siffla et tendit la main vers lui. Il se pencha, essayant de fuir ces doigts mais ils se refermèrent sur sa courte chevelure noire. Il serra les dents, pinça la bouche, sentit ses jambes flageoler mais ne parvint pas à s'arracher à l'étreinte ferme.

    – Qu'est-ce que tu fais là ?! siffla-t-elle.

    Des yeux apparurent par le bout du cartable et se braquèrent sur la femme.

    – Je… Je rentre de l'école, maman… chuchota-t-il, le regard bas.

    – Pourquoi es-tu toujours là ?! cracha-t-elle.

    Elle secoua le bras, remuant dès lors la tête de son fils qui poussa des petits cris de douleurs. L'un d'eux camoufla le feulement de son nouvel ami. La femme le frappa violemment, cognant ses joues, ses épaules, son torse, ses jambes… Tant de coups qu'il devrait peut-être expliquer. Il s'était pris une porte pour ce qu'il en était de son cocard. Il dirait peut-être qu'il était tombé dans les escaliers, qu'il avait trébuché sur une chaise ou encore glissé sur le sol mouillé. Il avait déjà utilisé toutes ces excuses. Il avait seulement l'impression de passer pour un garçon maladroit. Ça lui convenait…

    Le corps de Timéo s'engourdissait petit à petit. Il aurait juré que la douleur finissait par s'amenuiser. Il savait que c'était juste qu'elle devenait tellement uniforme qu'elle ressemblait à un linceul.

    Il se laissa tomber, ne tenant plus que parce que sa génitrice le tenait. Il sentait ses orteils racler le sol, il flottait entre deux eaux. La souffrance se muait en une nausée qui ne le quittait guère.

    Enfin, il s'effondra sur le sol. Il crut percevoir un couinement animalier mais n'en était pas sûr. Il chercha à se redresser et ne réussit qu'à ramper un peu. Aussi, il se traîna jusqu'à sa chambre, tirant son cartable derrière lui. Finalement, au prix de nombreux efforts, il arriva dans sa chambre. Quelques efforts supplémentaires furent nécessaires pour qu'il se hisse dans son lit.

    La mallette s'ouvrit et le corps sinueux de son nouvel ami en jaillit. Il vint lui lécher le visage et, après une caresse, courut chercher un pan du drap pour le ramener sur le corps du garçonnet. Celui-ci se recroquevilla. La douleur semblait ne jamais pouvoir sortir de ses frêles membres. Il sentait son souffle se ralentir, ses poumons se comprimer, c'était comme si elle avait frappé jusqu'à ses organes.

    Il sentit une nouvelle léchouille sur la joue et se recroquevilla. Ses doigts se perdirent dans le pelage du petit animal.

    – Si seulement maman était comme toi…

    Il ferma les yeux.

    La boule de poil sembla sourire en lui donnant une nouvelle léchouille.

    Un vent glacé pénétra par la petite cuisine et vint rouler dans les cheveux de Marie, avachie sur son canapé. Ses joues furent fouettées, elle revint à elle, sortant des doux rêves où elle était encore au bras de l'homme qu'elle aimait, vivant un songe où jamais elle n'avait eu d'enfant… Ou il n'avait jamais fui…

    Elle essuya sa bouche encore nappée d'alcool et se redressa péniblement. Une bonne douche et elle pourrait se coucher pour reprendre ses rêveries là où elle les avait laissées.

    Titubant, elle partit vers les chambres, tendant la main pour s'accrocher au mur de la cuisine. Elle tourna la tête en percevant un feulement. Elle passa sa main sur son visage depuis longtemps rougi et tuméfié par l'alcool incessant qu'elle s'enfilait.

    Elle vit une ombre.

    – Maintenant… C'est moi sa maman.

    Marie sentit un poids sur elle. Le vent s'enroula autour d'elle, elle trébucha sur son propre pied et recula vivement. Elle étendit les bras et se rattrapa de justesse au chambranle de la porte. Mais, alors qu'elle relâchait un peu le plastique, le poids lui bondit à nouveau dessus. Elle chuta en arrière, se fracassa contre le pallier et se sectionna la nuque sur le bord du métal. La bise s'éleva encore, collant les flocons à ses traits figés dans l'horreur.

    Un seul mouvement suffisant pour la faire glisser.

    Bong. Bong. Bong. Spritch.

    Le bruit d'un corps qui rebondit de palier en palier avant de finir sur le sol, visage contre le bitume nappé de blanc. Blanc qui se couvrit instantanément de rouge, s'en rassasiant comme un monstre insatiable.

    Des murmures s'élevèrent autour de la cour. Des rideaux bougèrent. Quel bruit surprenant. Qu'est-ce qui avait pu le provoquer ? Les chuchotis furent remplacés par des cris.

    L'ombre penchée au-dessus de l'escalier de secours afficha un large sourire.

     

     

    Timéo fut réveillé par des coups frappés à la porte. Il bâilla, s'étira et sortit lentement de ses couvertures nauséabondes. Il se frotta le visage et se glissa timidement à l'extérieur de la pièce. Il osa un regard hasardeux vers l'entrée que l'on discernait de n'importe où. L'avantage et l'inconvénient de la vie en appartement.

    Il vit sa mère dans l'ouverture.

    – Bonjour. Agent de police Roussel. On m'a appelé parce qu'on a signalé un accident.

    – Un accident ? répéta-t-elle.

    – Oui. Une femme a été retrouvée dans la cour, défigurée. Une de vos voisines a reconnu la robe de chambre de la locataire du 101.

    – Je vis ici seule avec mon fils, Timéo. Et comme vous pouvez le voir, je suis bien vivante, sourit-elle.

    – Je peux entrer ?

    Elle se déplaça, l'invitant d'un geste dont la grâce surpris l'enfant. Il hésita entre retourner se réfugier dans la chambre ou sortir pour apprendre ce qu'il s'était passé. Qui pouvait avoir eu un accident si sa maman et lui-même allaient bien ?

    – La victime est probablement tombée de votre étage, depuis l'échelle de secours.

    – Il s'agissait peut-être d'un voleur… À cette période de l'année, l'escalier de secours est très glissant. Ça expliquerait peut-être pourquoi il ou elle portait mes habits…

    Elle s'assit dans le fauteuil après que l'homme ait fait de même.

    – C'est une théorie… Qu'est-ce qui vous y fait penser ?

    – Des accidents du genre sont déjà arrivés. Bien sûr, il s'agissait seulement de membres cassés. Rien d'aussi grave… Je vous sers quelque chose ?

    – Non merci.

    Le regard du policier se posa sur une bouteille à moitié-vide.

    – Vous aviez bu, hier ?

    – Oui. J'ai… tendance à forcer sur l'alcool, rit-elle, les joues rosées de honte. J'essaie de m'arranger… Pour mon fils.

    Elle sourit.

    – Étiez-vous ivre ?

    – Probablement… souffla la mère en baissant la tête.

    – Ce qui expliquerait que vous n'aviez rien entendu… Sauf que…

    Le policier glissa sa main près de son revolver. La femme se leva et s'approcha de lui. Lorsqu'elle se pencha sur lui, ce ne fût pas le canon d'un revolver qu'on braqua entre ses deux yeux, mais une photographie qui était si proche qu'elle n'en vit rien. Aussi, elle dut reculer de deux pas, s'obligeant à sourire.

    Les traits sur l'image étaient gros, bourrinés, désagréables. Loin de l'image qui se reflétait face à l'homme. Grâce, délicatesse, beauté…

    – Vous n'êtes pas Marie Dilch !

    Timéo poussa un petit cri. Il voyait bien, lui, que cette personne ressemblait trait pour trait à sa mère ! Si ce n'était ce tendre sourire… et cette façon trop douce de parler…

    – Je suspecte que vous ayez tué cette pauvre femme et usurper son identité. Veuillez vous rendre sans geste brusque.

    – Je ne vais pas vous suivre, Monsieur. Mon pauvre bébé serait seul…

    – Ce n'est pas votre fils, coupa l'agent.

    Le visage, jusqu'alors beau et gracieux, se transforma lentement. La peau coula, les yeux eux-mêmes explosèrent hors de leur orbite. Le policier se recula, le regard exorbité. Il attrapa son revolver et tira une balle. Le front de l'apparition éclata dans une gerbe noire. La peau, tel du plastique liquide, s'étala sur le sol alors que, face à l'intrus, restait une ombre, des contours qui se fondaient avec les meubles.

    L'homme vit Timéo qui regardait ces traits volubiles. Il avala une grande goulée d'air et manqua de s'étouffer avec. Il sauta vers l'enfant et se plaça devant lui. Il lui fit signe de retourner dans la chambre.

    – Passe par la fenêtre, petit, ordonna-t-il.

    – Vous ne me prendrez pas mon bébé ! siffla l'ombre d'une voix caverneuse.

    Le policier poussa le garçonnet en arrière. Il s'engagea, à reculons, dans la chambre avant de vivement la fermer. Il courut vers la fenêtre qu'il ouvrit. Il se tourna vers l'enfant et l'attrapa par l'épaule pour le faire passer sur l'escalier mais il sentit, à cet instant précis, quelque chose s'enrouler autour de sa jambe. Tournant la tête, il vit l'ombre, à peine passée sous la porte, qui s'était glissée jusqu'à lui et grimpait toujours plus autour de son corps, le resserrant. Le souffle de l'agent commençait à lui manquer, ses organes se comprimaient et du sang coulait de ses lèvres entrouvertes.

    – Personne ne me prendra mon bébé, siffla une voix.

    Le corps aux contours flous apparut. Ses yeux bleus se braquèrent sur le visage violacé de l'homme alors que des monceaux rosés sortaient de sa bouche. Il s'effondra, le regard rivé au plafond.

    Timéo se tourna vers l'ombre. Elle étendit ce qui devait être son bras vers le garçonnet. Deux longs filaments effleurèrent ensuite la joue de l'enfant. Le petit resta figé quelques secondes avant de se jeter vers la silhouette qui se solidifia légèrement lorsque la tête se pressa contre son ventre.

    – Maman !

    L'ombre se referma alors sur lui.

     

     

    Timéo vérifia le contenu de sa mallette et qu'il avait bien son argent dans son portefeuille. Il se tourna vers la cuisine où, fredonnant une douce mélopée, sa maman préparait un gâteau pour le dessert de ce soir. Elle concoctait aussi des plats pour le repas ou blanchissait les légumes. Il courut jusqu'à elle et lui fit un câlin, sourit en recevant une étreinte en retour et partit alors pour l'école, son cartable sur le dos.

    Si l'enfant continuait de partir seul, il prenait maintenant les couloirs sûrs de l'immeuble, descendait les escaliers qui ne menaçaient pas de s'effondrer. Il était encore dans une chaleur relative un peu. D'ailleurs, il portait un manteau chaud, une écharpe et des gants. Ça changeait déjà beaucoup.

    Et il y avait autre chose…

    Cette aura protectrice qui l'entourait comme un cocon. Il sentait que sa maman était là pour lui à chaque pas qu'il faisait. Comme s'il la portait où qu'il aille. Lorsqu'il saluait le vieux Sans Domicile Fixe avec son gros chien, il savait que l'œil protecteur était sur lui, s'assurant que l'homme ne le kidnapperait pas. Lorsqu'il traversait la route, c'était comme s'il avait quatre yeux, comme si un visage surveillait sans cesse les allées-venues des voitures.

    Un sentiment de quiétude et de puissance l'étreignait alors nuit et jour. Jamais il n'avait ressenti ça. Ça faisait maintenant plus de deux semaines qu'il vivait dans ce monde doux, qu'il avait l'impression d'être comme Joachim et Ethan. Sa mère le bordait tous les soirs, lui faisait des bons petits plats, l'aidaient à faire ses devoirs, jouaient avec lui et lui faisaient de tendres câlins ou posaient des baisers chauds sur ses joues et son front.

    Lorsqu'il arriva à l'école, il s'empressa de courir vers ses amis en agitant les bras. Il était guilleret et si ça avait surpris ses camarades, ils étaient ravis de le voir si illuminé. Faisant du bruit, il attira l'attention d'un garçon de douze ans qui étendit le pied en souriant. Ça ne manqua pas : Timéo trébucha sur sa cheville et tomba, s'étalant de tout son long. Il couina de douleur quand bien même il avait déjà subi bien pire.

    L'aîné éclata de rire, fier de sa malice. Sa petite victime se redressa et se mit à genoux, époussetant son corps. Les rires s'accélérèrent puis s'arrêtèrent d'un seul coup. Timéo leva le regard vers son bourreau qui blêmissait, bleuissait. L'adolescent toussa et se tapa le torse. Il eut beau essayé de cracher, il ne parvint qu'à s'effondrer au sol. Le garçonnet se leva d'un bond et courut vers un éducateur. Il désigna son agresseur. La seconde d'après, un cri retentissait, trois adultes fondaient sur l'inconscient, on appelait une ambulance, on essayait de sauver le jeune élève.

    – Son chewing-gum a dû se caler ! cria une institutrice.

    Timéo perdit petit à petit sa pose pétrifiée et courut vers les toilettes où il alla se cacher. Il se glissa dans une cabine qu'il fit claquer. Son souffle anarchique se calma tant bien que mal. Il toussait, hoquetait. Il se sentait tout à coup désemparé, mal. Comme si c'était lui qui étouffait. Lui qui avait pourtant été la victime. Lui qui avait déjà cuit la morsure du macadam.

    Le vasistas claqua. L'air frais virevolta dans les toilettes, venant caresser les joues mouillées du garçonnet.

    – C'est ta maman… Ta maman qui te venge… Personne ne touche aux enfants d'une maman. Personne ne touche aux enfants de maman…

    – Maman est gentille…

    Le vent se fortifia, plus froid, porteur de flocon qui ne fondaient pas contre sa peau.

    – Tu ne peux pas échapper à maman… Une fois qu'elle devient ta maman, c'est pour la vie…

    – J'aime maman.

    – Prends garde que cet amour ne te consume pas…

    Le garçon posa sa main sur son cœur.

    – Maman me fera jamais de mal !

    Il sursauta en entendant des coups contre la cabine. Il se leva et ouvrit lentement la porte. Il trouva Ethan et Joachim qui fronçaient les sourcils.

    – T'es taré ? Tu parles tout seul ?

    – J'avais peur… Qu'est-ce qui est arrivé au grand ?

    – Il est tout bleu ! s'écria Joachim, les yeux exorbités.

    – Les Messieurs de l'ambulance l'ont emmené, enchaîna Ethan. Qu'est-ce que tu lui as fait ?

    – Rien ! C'est lui qui m'a fait tomber ! Il rigolait et puis…

    – Oué… Allez viens ! On a peut-être encore le temps de jouer !

    Ethan repartit, Joachim trottina derrière lui. Timéo sentit le vent rouler autour de lui.

    – Prends garde…

    Murmures qui se répétèrent inlassablement. Le garçonnet courut en dehors des toilettes, faisant claquer la porte. Les suppliques restèrent enfermées. Timéo frissonna et fixa le battant qui grinçait légèrement. Effrayé, il s'empressa de suivre ses camarades.

     

     

    – Jean-Jacques Higelin est mort, étouffé par son chewing-gum qu'il avait avalé de travers. Lorsque les ambulanciers l'ont pris en charge, il était déjà trop tard.

    – Nous ne le disons jamais assez : les chewing-gums sont un fléau ! Nos enfants en mâchant à longueur de temps et se gâtent les dents, ils mastiquent des heures durant pendant les classes et courent avec. Des accidents comme on en a aujourd'hui arrivent malheureusement plus souvent qu'on ne le croit.

    – Oui, Annette. Un petit garçon avait eu le même accident il y a cinq jours, si vous vous rappelez.

    – Oui, Florent ! rit-elle.

    – Heureusement, il s'en est sorti indemne !

    – Je suis sûre qu'il recommence déjà à mâcher vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

    Les journalistes rigolaient dans le poste de télévision lorsque la porte de l'appartement s'ouvrit sur Timéo, encore chamboulé.

    – Maman… appela-t-il.

    Sa mère vint à lui et l'enveloppa dans son être. Ses lèvres se posèrent sur son front.

    – Maman est là. Que se passe-t-il mon bébé ?

    – Un grand m'a embêté…

    – Hm-hm… commenta-t-elle.

    – Et après, il lui est arrivé un accident… Un des grands il dit que je suis un « poissard »… Et il m'a jeté un caillou…

    – Il ne recommencera jamais, chuchota sa mère.

    Elle posa un baiser sur sa tempe.

    – Comment tu sais, maman ?

    Elle lui caressa les cheveux, ses « lèvres » s'ornant d'un sourire qui n'était beau que pour son fils.

    – Une maman ne laisse personne faire du mal à son bébé. Personne ne te fera de mal tant que je serais là…

    Timéo se blottit un peu plus dans les bras de l'ombre.

    – Je t'aime, maman.

    La silhouette vibra, ses contours s'étendant.

    – Maman t'aime aussi, mon bébé… Je t'ai fait ta tarte préférée.

    – Chouette ! Je peux en avoir une part ?

    Sa mère rit et le poussa tendrement vers la cuisine. Sans bouger, sa personne s'étendit, ouvrit le four brûlant, récupéra la pâtisserie à la poire, trancha une part et la glissa dans une assiette attrapée par un autre tentacule floue. Un nouveau bras se saisit une tasse qui fut remplie d'un chocolat chaud qui embaumait la pièce. Tout du long, les yeux bleus de la chose restaient fixés sur la télévision, ses oreilles inexistantes exaltant les mots que le duo Florent-Annette lançait à des milliers de téléspectateurs avides du malheur d'autrui. Et à la grande joie de ses oreilles en haleines, ils racontaient l'histoire tragique de Damien Laurent qui avait glissé sur une plaque de verglas et s'était ouvert la tête en tombant sur le sol.

    – Prends garde… soufflait le vent dehors.

     

     

    – C'est zarbeuh… dit Timéo en piquant une frite à Ethan.

    – Moi je trouve ça trop bien ! Si ceux qui m'embêtent pouvaient disparaître aussi ! rit-il.

    – Pourquoi ils viennent plus à l'école ? S'enquit Joachim. Ils ont peur de toi ?

    Le garçonnet regarda ses bras malingres, frêles. Comment pouvait-on seulement avoir peur de lui ?

    – Non. Je sais pas trop. Enfin… Maman me protège. Sourit-il.

    Ethan et Joachim éclatèrent de rire en même temps. Timéo sursauta et sentit ses joues s'empourprées.

    – Qu… Quoi ?

    – Tu crois encore que « maman me protège » ? rit le premier.

    – C'est pour les bébés ! On est des pré-adolescents ! fanfaronna Joachim.

    Leur ami s'obligea à afficher un sourire et opina lentement.

    – Ma mère m'a encore trop fait honte, d'ailleurs, dit Ethan. Tu vois ça.

    Il montra sa joue où on voyait un reste de marque prune tant étalée qu'on ne pouvait plus deviner la forme primaire.

    – Elle m'a fait ça juste devant l'école ! Ça craint !

    – Moi, papa m'a encore mit la fessée. Juste parce que je voulais pas lui rendre la télécommande qu'il demandait depuis vingt minutes ! Ça craint !

    Les deux garçons fixèrent leur camarade qui secoua lentement la tête. Il ne pouvait rien dire de mal de sa maman. C'était la douceur incarnée ! Plus tendre et aimante que n'importe qui. Elle savait ses goûts et ses dégoûts. Elle récompensait toujours, elle ne punissait jamais. Elle était stricte mais le laissait s'amuser. Elle l'obligeait à manger ses légumes mais lui préparait toujours de délicieux dessert qui lui faisaient oublier le goût des carottes et des épinards.

    Il n'aurait pu rêver mieux qu'elle…

    Elle était rien, elle était tout.

    – Ouais ! Toi t'as jamais de problème avec tes parents ! Veinard !

    – Déjà que t'as qu'une maman, ça doit être cool ! Moins de surveillance !

    Timéo réfléchissait. Il y avait eu quelqu'un avant sa maman. Quelqu'un qui lui faisait du mal. Il ne se souvenait plus de son visage, de sa voix… Seul comptait maman. Son image floue qui se teintait quelques fois mais qui, en général, était comme une fée. Elle était belle, elle était tout ce qu'il pouvait rêver ! Comme les mamans qu'on trouvait dans les séries télévisées et les films, trop parfaites pour être réelles.

    Mais sa maman existait…

     

    Timéo poussa la porte de la maison. Il courut directement vers sa maman qui se tenait devant les fourneaux, faisant chauffer son chocolat chaud. Il lui fit un câlin et rit en la sentant l'entourer.

    – Tu as bien appris à l'école, mon bébé ?

    – Oui ! J'ai plein de devoirs. Tu m'aideras ?

    – Bien sûr, mon bébé. Mais bois d'abord, tu es gelé.

    Elle lui versa le cacao dans une tasse. Le breuvage avait juste la température qu'il fallait. Encore un miracle de sa maman. Elle lui proposa des cookies, ceux qu'elle avait faits il y avait déjà deux jours. Mais ils étaient toujours chauds et moelleux.

    – Je t'aime, maman ! Merci !

    L'ombre vibra et s'étendit. Elle qui prenait déjà toute la taille de l'appartement. Les bras se glissèrent sous les portes, dans les interstices des fenêtres. Une chaleur tendre se propageait dans la pièce qui tremblait légèrement sous un étrange bruit. Comme un ronronnement qui se répercutait contre les murs.

    – Moi aussi, mon bébé. Je n'aime que toi.

    Il rit et se blottit contre ce corps mou juste pour lui.

    – Raconte-moi ta journée…

    – Ça a été un peu difficile. Ethan et Joachim se sont moqués de moi parce que j'ai dit que tu me protégeais… C'était pas gentil et ça m'a rendu très triste…

    – Tes amis se sont moqués de toi ? répéta sa maman.

    Timéo opina en buvant à son cacao.

    – Pourtant, c'est vrai. Maman te protégera toujours, chuchota-t-elle en lui caressant les cheveux.

    Son enfant lui sourit de toutes ses dents. Elle lui caressa les cheveux en souriant. Son fils termina son goûter et sortit ses devoirs pour pouvoir les faire. Surtout que, ainsi assisté par sa mère, ça semblait toujours plus facile.

     

    Un long week-end passa avant que Timéo ne puisse retourner à l'école. Lorsqu'il arriva dans la cour, il chercha ses amis du regard. Ils étaient souvent sous le préau et il y courut, espérant les voir. Mais rien. Malgré, l'hiver et le froid, il ne pensait pas que ses amis pouvaient tomber malade tous les deux en même temps !

    – Quelqu'un a vu Ethan ? Joachim ?

    Il lança ces mots à l'adresse de Carla, une fille de sa classe qu'il appréciait beaucoup. Elle le regarda et secoua lentement la tête.

    – T'es pas au courant ?

    – Au courant de quoi ?

    – Ethan a été en week-end à la montagne avec ses parents. Avalanche. Et Joachim, on sait pas trop… Mais il a été admis à l'hôpital avant de…

    – Mais…

    Il se demanda une seconde comment elle savait et pas lui. Mais il se rappelait que son père et sa mère faisait partie du même comité de parents d'élèves. Sauf sa maman. Pourquoi ? Elle disait que c'était pour être tout le temps avec lui… Mais l'idée ne le séduisait plus. Même s'il pleurait, sanglotant à l'idée que ses deux amis étaient morts. Qu'il ne les verrait plus jamais. Il se sentait ailleurs, égaré. Mais un cocon l'enveloppait, chassant ses peines, les réduisant à leur plus simple expression.

    Le vent tournoya autour de Timéo qui scrutait encore le mur comme si ses amis allaient apparaître d'une seconde à l'autre.

    – Je t'avais prévenu… Maman te protège. Maman te protège plus qu'il ne le faut… Tes amis t'ont fait du mal… Maman t'a vengé…

    – Maman m'a vengé… chuchota Timéo.

    – Quoi ? demanda Carla.

    – Maman m'a vengé… Maman venge ses bébés…

     

    – Maman ?

    Timéo poussa la porte de l'appartement et se glissa à l'intérieur. Sa maman était toujours pareille. Belle, tendre et douce. Il avait envie de se jeter dans les bras qu'elle lui tendait. Il manquait tant de son amour. Il n'arrivait pas à se souvenir de celle qu'il avait connu pendant plus de dix ans. Ne l'appelait-il pas « maman » aussi ?

    – Je suis là, mon bébé !

    Son corps s'enroula autour de lui, le gorgeant d'amour.

    – Maman !

    Il se recula un peu, essayant de trouver la force.

    – Maman… Le vent dit que tu as « éliminé » mes amis Joachim et Ethan ?

    – Oui. Ils t'ont fait du mal.

    Elle lui caressa les cheveux en souriant.

    – Je t'ai protégé. Je t'ai toujours protégé. Ce garçon qui t'a fait tomber, celui qui t'a jeté une pierre dessus, le SDF qui t'a insulté parce que tu n'avais pas d'argent, le voisin qui t'a secoué vivement, celui qui t'a empêché de jouer dans la cour, la dame de la cafétéria qui t'a rabroué, l'homme qui a voulu te kidnapper, la fille qui t'a traité d'enculé, tes amis… Maman te protègera toujours…

    Elle sourit en lui caressant les cheveux.

    – Mais… Mais… C'était mes amis ! Tu… Tu crains maman !

    L'ombre sur les murs se mit à frémir.

    Timéo se souvint de cette femme qui s'était occupé de lui pendant dix ans. Il ne l'aimait pas… Mais ce n'était pas elle…

    – Tu… Tu n'es pas ma maman !

     

     

    – Tu… Tu n'es pas ma maman… Il… Il y avait quelqu'un, avant…

    Timéo chuchotait, inquiet, en dévisageant l'apparition. Pour la première fois, maman ressemblait vraiment à une ombre. Une silhouette noire sans forme qui n'avait que des yeux bleus et un air inquiétant.

    L'un des tentacules s'enroula autour de son corps.

    – Tu es mon bébé !

    – Non. J'avais… J'avais une maman ! Elle… Elle était nulle, mais c'était ma maman !

    – Je suis ta maman ! C'est pour la vie !

    Les ombres frémirent menaçantes. Timéo s'extirpa de ces bras immatériels et courut vers la porte qu'il ouvrit. Il se jeta sur l'escalier gelé. Il glissa dessus et lança un regard par-dessus son épaule.

    Les mains se tendirent, un million à la fois. Elles se jetèrent sur le garçonnet qui s'éloigna. Il s'entrechoqua avec la rambarde et la longea. Sur le métal glacé, ses pieds patinaient. Fuir chacun des jets lancés vers lui était d'autant plus compliqué. Il fit un bond en arrière pour échapper à une attaque.

    – Tu n'es pas ma maman ! hurla Timéo.

    Des mots réels qui semblaient ébranlés la chose vu que les contours s'étiolaient et rapetissaient.

    Timéo recula encore d'un pas et glissa sur la taule. Il battit des bras pour essayer de se rattraper. Les tentacules de l'ombre s'étendirent et se refermèrent autour du garçon mais celui-ci les traversa.

    Scritch.

    Le bruit d'un corps qui s'écrase au sol…

     

     

    Juliette, accrochée à la main de son père, serrait un bouquet de fleurs contre son cœur. Elles étaient pour sa maman enterrée depuis deux ans. La fillette entendit un bruit bizarre et tourna la tête, s'arrêtant. Ses yeux s'écarquillèrent en voyant un adorable animal touffu, ni un chien, ni un chat…

    – Regarde, papa ! Il est trop adorable ! On peut le prendre ?

    L'homme regarda la petite bête, grelottant de froid.

    – Oui, bien sûr, sourit-il. Mais on installera des affichettes pour prévenir. Il appartient peut-être à quelqu'un.

    – Oui, papa ! s'enthousiasma la gamine.

    Il s'approcha et prit lui-même la créature au cas où elle mordrait. Juliette tendit la main et caressa le pelage en souriant.

    – Prends garde… souffla une voix venue du vent. Une fois qu'elle devient ta maman… C'est pour la vie.


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