• Chapitre 7 : Dans le placard.

     

                Jean-Marc avait la bouche pâteuse. Il se serait certainement attardé sur la beauté folle de cet être devant lui si elle, car il était persuadé que c’était une fille, n’était pas apparue devant lui de nulle part.

                Voyant qu’elle tirait ostensiblement sur le feutre rouge, et que personne ne venait le sauver de cette mystique apparition, il le lâcha. Un gémissement triste sortit des lèvres de la manifestation. Elle se pencha pour essayer de le récupérer en vain. Elle se tourna alors vers sa collègue Faustine.

    - Ça ne marche pas… faut que tu viennes le chercher ici.

                Jean-Marc regarda vers la professeur de Biologie. C’était à elle que l’apparition s’adressait.

                Faustine récupéra ses affaires avant de se diriger vers la porte.

    - Mais ton rouge ! Protesta la manifestation.

                Elle courut à la suite de la femme. Le bruit de ses talons retentit aux oreilles de Jean-Marc, ce qui lui rappelait que ce bruit l’agaçait profondément. Il pinça les lèvres puis sortit à son tour. Il ne prit même pas la peine de s’excuser auprès de ses collègues. De toute façon, il n’aimait pas le regard surpris qu’il reçoive.

                Il ne doutait pas que tous ses collègues le prenaient pour un fou. Ils pouvaient bien ! Il n’en avait que faire.

                Il accéléra le pas, ouvrit une porte, attrapa le poignet de Faustine et l’attira dans le placard à balais. L’enseignante poussa un cri surpris. Elle se trouva contre le mur. Elle entendit le cri de Mathias avant qu’il ne rentre dans le placard, traversant la porte.

    - C’est un kidnapping ! Intervint Sullyvanne.

    - Oh… Dirent Faustine et Mathias d’une même voix.

    - Qu’est-ce que c’est ? Demanda l’homme en désignant le travesti.

    - Tout ce que tu veux mon chéri. Sourit-« elle » en passant ses bras autour de son cou.

                Jean-Marc sursauta, surpris de cette proximité soudaine. Certes, c’était une jolie créature mais elle était bien trop jeune ! Et puis… ils se connaissaient à peine. Il se disait que ce n’était « pas bien ».

                Il tendit les mains pour « la » repousser, alors qu’il entendait clairement Sullyvanne ricaner dans ses oreilles.

    - Mathias… il te voit et t’entends.

    - Iiiiiiiik ! Cria le travesti avant de s’éloigner, se collant au coin du placard.

    - Ma… thias ?

    - C’est un garçon. Dit Faustine en désignant sa création.

    - Trop fort ! Il est encore plus féminin que comme tu m’as faites « papa ». Railla Sullyvanne.

    - Je veux savoir ce qu’il se passe ici. Exigea Jean-Marc la bouche pâteuse.

    - C’est bizarre de parler dans un placard, vous savez ?

    - Merci, vous m’apprenez des choses, encore heureux que vous êtes une enseignante si chevronnée.

    - Pardon Jean-Marc Narine. Fit sa collègue en appuyant sur le mot.

                L’homme s’agaça de ce pseudo-calembour. Déjà qu’il détestait qu’on le fasse lorsque ce n’était pas fait exprès mais quand c’était voulu, ça l’énervait d’autant plus.

    - Narean !

    - Si vous voulez vraiment partir, nous nous retrouverons à la cantine.

                Sa main contourna le corps gracile de sa création avant qu’elle n’ouvre la porte. Elle sortit alors du placard, suivie par l’apparition qui trottinait à sa suite dans cet agaçant bruit de talons.

    - C’était trop cool ! Sourit Sullyvanne.

                Jean-Marc se passa la main sur le visage. Il n’arrivait pas à comprendre tout ce qu’il se passait. Entre sa création qui l’asticotait à longueur de temps et s’évertuait à lui parler aux moments les moins opportuns et l’apparition de Mathias. Un homme. Il eut un reniflement agacé en pensant qu’il avait trouvé un homme « beau » !

                Il sortit également de la petite pièce qu’il ferma derrière lui. Il s’assura que personne ne l’avait remarqué, n’ayant pas besoin de passer d’autant plus pour un fou. Il soupira longuement en voyant qu’il était bien seul. Tant mieux.

                Il partit vers sa salle de cours, essayant de faire fi de la voix de Sullyvanne qui résonnait à son oreille. Elle lui racontait mille et une histoires sur ce que pourrais être cette suite de livre qu’il refusait farouchement.

     

                La pause de midi arriva trop lentement au goût de Jean-Marc. Il était particulièrement difficile de donner ses cours quand une certaine personne parlait quoi qu’on dise. Il ne pouvait s’empêcher de plaindre Faustine. Lui ne faisait qu’entendre sa détestable création !

    - Détestable toi-même ! Non mais je te jure !

                Il l’entendit grommeler. Si ce bruit était agaçant, au moins, elle ne parlait pas à voix haute, c’était déjà un mieux.

                Jean-Marc fit la queue dans la file afin de prendre sa nourriture. Il en profita pour chercher où était sa collègue. Il la trouva à une table à côté de filles qui lisaient des mangas d’un air très concentré. Il voyait Mathias accroupi près de ses demoiselles en question, essayant de lire les titres en questions. Il ouvrait de temps en temps la bouche, parlant certainement à sa créatrice.

                L’enseignant se demandait comment ses collègues prendraient cet étrange rapprochement. Si les adultes étaient moins mesquins que les adolescents, Faustine était quand même quelqu’un qu’on évitait. Elle ne regardait jamais les gens en face quand elle leur parlait, elle semblait ailleurs et elle avait ces boucles d’oreilles en forme de crâne. On aurait dit une étudiante !

                Jean-Marc trouvait que c’était un comportement honteux. Ils devaient être des modèles pour les enfants, pas les traîner dans des chemins boueux.

                Il remercia vaguement la cantinière qui lui servait une purée de patate liquide, un steak trop cuit et des petits pois surgelés. Il se rendit jusqu’à la table où était assise sa collègue. Il remarqua qu’elle avait une boîte à tartine et un thermos à côté d’elle. Elle était plongée dans la lecture de Anges et Démons de Dan Brown.

    - Re ! Sourit Mathias en venant s’asseoir à côté de Jean-Marc.

                L’homme remarqua que son corps rentrait à moitié dans la table. Voyant ce qu’il regardait, le travesti fit une moue.

    - Et oui… j’ai pas une taille de guêpe.

    - Je n’ai pas… Marmonna Jean-Marc. Mademoiselle Sautifen ?

                Faustine ferma son livre après avoir mis le signet. Elle leva le regard vers son collègue.

    - Oui ?

    - Qu’est-ce ? Demanda-t-il.

                Il désigna le plus discrètement possible Mathias.

    - Mathias Fitz, il a seize ans et il aime s’habiller en fille depuis tout petit. Pour parfaire cela, il est parfaitement androgyne. Ce n’était pas comme ça qu’il devait être au début mais il m’a tellement suppliée. Il n’a pas eu tord, c’est mieux pour son histoire. Expliqua Faustine.

    - Et pour mettre des jupes. Sourit Mathias en ajustant un des rubans roses de ses cheveux.

    - Haha ! Lança Sullyvanne d’un ton conquérant.

                Faustine eut un sourire.

    - Madame écoute ce que dit son « bébé » ! Madame, voulez-vous m’adoptez ?

    - Ne dit pas de sottise. S’agaça Jean-Marc.

                La femme sourit un peu plus à la remarque de Sullyvanne mais elle dissimula une moue lorsque l’homme lui répondit. Elle prit un sandwich au thon qu’elle croqua, détournant le regard.

                Jean-Marc rajusta ses lunettes avant de manger une bouchée de purée qu’il trouva infect.

    - À ce que je comprends, je ne suis pas le seul malheureux qui doit subir ce qu’il a créé.

    - Subir ? Me subir moi ?! S’énerva Sullyvanne.

    - Oui. Marmonna Jean-Marc.

                Autant sa conversation avec Faustine était peut-être bizarre mais avait le mérite de lui être adressée, autant il ne pouvait se permettre d’être si bruyant lorsqu’il s’adressait à la jeune femme.

    - Ce que je comprends moins… c’est comment cela ce fait que j’entende et voit votre création.

    - J’avoue que je ne le comprends pas non plus. J’ai toujours été la seule à pouvoir interagir avec Mathias. Ça lui a fait développer un étrange comportement.

    - Lui aussi veut vous faire faire une suite ?

                Le travesti éclata de rire.

    - Il n’y aura pas de suite pour moi. Murmura-t-il.

    - Nous corrigeons… C’est à la première correction qu’il est venu à moi… Grâce à lui, je suis passé de cinquante à cent-vingt pages.

    - Première correction… Répéta Jean-Marc en se frottant le nez.

                Il entendit clairement Sullyvanne soupirer.

    - Je vois… Il faudrait trouver pourquoi nous sommes forcés à discuter de la sorte.

                Faustine manqua de s’étouffer avec son dernier morceau de sandwich. Elle se servit du café brûlant et bu une longue rasade pour faire passer l’aliment traitre. Jean-Marc renifla, déranger par l’odeur forte de café. Il ne supportait pas cette odeur. Il préférait de loin la bonne fragrance du thé.

    - Monsieur Narine, rien ne vous oblige à rester à mes côtés. Je n’ai pas besoin de vous dans mon entourage, surtout que, comme vous le voyez, je ne suis pas seule.

    - Elle n’est jamais seule. Approuva Mathias en se levant.

    - Vous répondrez seul à vos questions.

                Faustine bu son café, reboucha le thermos puis récupéra livre et boîte à tartine. Enfin, elle put partir, le laissant derrière elle.

                Sullyvanne soupira.

    - Quoi encore ? Questionna mentalement l’homme.

    - Tu ne sais vraiment pas t’y prendre avec les femmes ! Moi qui espérait qu’elle m’aiderait à te faire céder !

    - Tu peux bien espérer, il n’y aucune chance que je fasse une suite. Quoi que tu dises, rien n’a à voir avec ce que j’ai écris.

    - Il faut que tu lisses entre les lignes de ce que tu as écrit. Tout ce que tu as fait à cause d’une force mystique. Tout ce que tu as fait sans savoir pourquoi. Tout ce qui n’avait pas d’explication logique.

    - Tu vas me dire que tu as guidé mes doigts ? Rit-il intérieurement.

    - Parfaitement !

    - C’est moi qui t’es créée ! Essaie de ne pas l’oublier !

    - … Il faut que je voie si je peux contacter Mathias seule…

    - Bonne chance. 

                Jean-Marc finit son plat puis vint rapporter la vaisselle aux cantinières. Il jeta toutefois un regard autour de lui. Il ne voyait plus Faustine. Son étrange collègue avait dû aller se terrer en quelconque lieu glauque et ne reviendrait que pour donner ses propres cours.

     

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  • Chapitre 8 : Une réponse à sa question.

     

                Jean-Marc se maudit à la seconde même où il prit sa décision. Mais c’était la seule qui lui semblait acceptable. Il lança un regard vers Faustine. Si la femme l’ignora, il vit clairement Mathias lui faire un geste obscène. Il grogna face à cette impertinence. Il s’éloigna et se mit à sillonner les rues.

                Il marcha jusqu’à venir dans le centre-ville, là où il y avait tant et tant de boutique qui foisonnait. Là où on ne pouvait que trouver son bonheur.

                Il finit par le trouver. Il lança une œillade à droite, une à gauche. Un coup d’œil dégoûté à la plaque en or plaqué qui trônait sur la pierre puis il entra dans le bâtiment. Il empestait un mélange d’encens et de pot-pourri qui ne s’accordait absolument pas.

                Il s’assit sur des chaises d’un horrible rose. Il entendait la voix de Sullyvanne. Au moins, pour une fois, ils étaient d’accord. Elle trouvait l’endroit ignoble.

                Jean-Marc s’obligea à patienter jusqu’à ce qu’une petite porte s’ouvre derrière de grands rideaux d’un rose pâle immonde.

                Là se tenait une femme d’une trentaine d’année, de longs cheveux noirs retenus par un bandana blanc. Elle avait un châle sur les épaules. Elle portait une robe un peu bohème qui lui allait bien malgré son teint plus que pâlot qui avait un aspect irréel avec la lumière rose de la demeure.

    - De l’esbroufe, bien sûr.

    - « C’est une voyante, c’est limite un pléonasme ! ».

    - Sullyvanne !! Pensa vivement Jean-Marc, agacé.

                Il avait l’impression de devoir supporter le comportement d’une vulgaire adolescente de douze à treize ans.

    - Si on peut même plus s’amuser. Râla la demoiselle.

                Jean-Marc l’ignora et il suivit la femme à l’intérieur. Il y avait là un foyer à charbon qui venait d’être alimenter de telle sorte qu’il y avait une chaleur étouffante dans la pièce. Elle s’assit à sa chaise, un sourire aux lèvres.

    - Je suis Althaia Sextus.

    - Un faux nom si tu veux mon avis. Dit Sullyvanne.

    - Bonjour, Jean-Marc Narean. J’ai un problème depuis quelques temps.

                La femme lui fit signe de se taire pour se concentrer. Elle resta inerte un instant puis elle sourit.

    - Je vois votre problème.

    - Bien, je vous écoute. Sourit, cruellement, l’homme.

    - Votre aura est perturbée, quelque chose vous dérange. Quelque chose de récent.

    - Bravo… j’entends une voix depuis un moment.

                Il n’avait pas le temps de jouer avec la femme qui l’agaçait déjà.

    - Elle vient d’une personne qui serait à priori l’héroïne de mon dernier roman.

    - Romancier. Sourit Althaia. Il se trouve que j’ai déjà entendu cela. C’est un phénomène de symbiose. Ça arrive à la plupart des auteurs. Nous ignorons ce qui provoque cela. Mais c’est une bonne chose.

    - Sauf quand elle est aussi agaçante que cela ! Elle veut absolument que je continue une histoire déjà finie ! Et elle parle à longueur de temps !

    - Il faut que vous poussiez la symbiose au maximum. Expliqua la voyante. Vous verrez que tout deviendra bien mieux lorsque vous saurez faire attention à votre personnage. Puisque vous l’avez créé, vous devriez savoir ce qui lui plaît.

    - Au contraire ! Elle n’agit pas comme je l’ai créée et elle est insupportable ! En plus que maintenant je dois supporter le « Mathias » de Faustine !

                Althaia ouvrit des yeux surpris avant de lui prendre les mains pour les regarder. Elle traça le sillon des lignes qui striait sa main. Jean-Marc frissonna : ça chatouillait.

    - Oui… votre vie vient de se lier à celle d’une autre personne.

    - Qu’est-ce que je dois faire ? Questionna Jean-Marc, agacé.

                Il ne s’entendait vraiment pas avec Faustine. Elle était trop bizarre, elle avait quelque chose qu’il n’appréciait vraiment pas. Et Mathias était d’autant plus étrange. Très agréable à l’œil mais c’était un garçon bon dieu !

                Il sentit une douleur à l’arrière de son crâne.

    - Pervers ! Siffla Sullyvanne.

                Il se frotta la tête. Avait-il sentit sa création le frapper ? Il vit la voyante qui lui offrait un sourire presque mystérieux.

    - Combien ? Demanda Jean-Marc en se levant.

    - Trois cent.

                L’homme s’étouffa avec sa salive alors que Sullyvanne éclatait de rire. Il sortit de l’argent de son portefeuille et le jeta sur la table.

    - C’est honteux ! Cria-t-il avant de s’en aller.

    - Merci, repassez au moindre souci.

                Jean-Marc pesta alors qu’il continuait de partir, horrifié de tout l’argent qu’on venait de lui dérober honteusement. Mais il était aussi troublé de cette douleur qui continuait de poindre sur sa tête.

     

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  • Chapitre 9 : Offrez-moi de l’aide.

     

                Jean-Marc hâtait le pas. La nuit commençait à tomber, il voulait réussir à faire ce qui était préférable avant que le voile de l’obscurité ne s’étende sur la ville. Il y avait tant de chose à encore faire. Récupérer de l’argent pour avoir toujours la même somme sur lui puis trouver ce qu’il cherchait.

                Il n’arrivait toujours pas à croire que cette femme lui avait volé tant d’argent. Et tout ça à cause du parasite qu’était Sullyvanne. Il regrettait le jour où il avait voulu écrire un livre. S’il avait su qu’il devrait supporter un personnage comme elle, il aurait refusé de commencer ce projet.

                Elle était bien trop agaçante. Le pire étant encore qu’elle ne supportait pas qu’il l’estime de la sorte. Maintenant qu’elle avait une main, ou peut-être même deux vu la vitesse avec laquelle elle en usait, elle le frappait à la moindre pensée qui lui déplaisait. Il n’aimait vraiment pas ça. La sensation était désagréable et, en plus, il ne pouvait même pas soulager la douleur sans paraître suspect.

                Jean-Marc s’arrêta à quelques pas de l’école. Il soupira en regardant l’édifice. Selon ses élèves, cet endroit devenait glauque à la tombée de la nuit. Pourtant, ça restait une bâtisse pareille. C’était les mêmes pierres, les mêmes vitres, les mêmes pièces.

                C’était pour cela qu’il savait où est-ce qu’il devait aller.

                Il espérait qu’il trouverait la solution pour se défaire de la chose qui lui pourrissait la vie depuis un peu trop longtemps.

                Une claque retentit, entendue et ressentie uniquement par lui. Il grogna alors qu’il poussa la porte de sa délivrance.

     

                Faustine se pencha au-dessus du divan pour prendre une télécommande. Elle changea alors une émission qui parlait des masques de carnaval viennois pour mettre une émission de jardinage. Mathias applaudit, tout sourire. Il s’installa correctement dans le divan, en tailleur. La femme lui donna un petit coup sur la tête puisqu’il exhibait ainsi sa culotte. Certes ils étaient seuls et elle l’avait créé ainsi, mais tout de même !

                Mathias voulut reprendre une position plus normale lorsqu’on sonna à la porte. L’enseignante fronça les sourcils. Elle ignorait qui ça pouvait bien être alors qu’il était déjà vingt heures. Elle lança un coup d’œil vers sa cuisine où l’attendait la vaisselle puis elle s’obligea à venir ouvrir.

                Qu’elle ne fut pas sa surprise de trouver son collègue dans l’encadrement de sa porte. Jean-Marc afficha un large sourire, glissant ses doigts dans ses cheveux. Il voulait se donner un air charmeur. Mais ça ne tira qu’un air agacé à Faustine. Elle croisa les bras alors que Mathias se levait pour venir la rejoindre.

    - Comment te retrouves-tu ici ? Demanda-t-il.

    - J’ai été trouvé votre adresse là où ce serait facile de le faire. J’ai été voir une voyante… elle m’a arnaquée. Mais elle m’a parlé de choses étranges. Je me suis dit que tu pourrais… m’aider…

                Faustine ne manqua pas de remarquer que les mots semblaient être arrachés à la gorge de l’homme. Elle avait envie de lui refermer la porte au nez. Au lieu de quoi, elle se déplaça pour lui laisser le chemin. Jean-Marc entra alors, le nez retrousser. Il n’aimait pas cette odeur de café qui imprégnait l’air.

                Il se rendit jusqu’au divan où il s’installa sans honte. Mathias fit la moue avant de venir sur l’accoudoir, le regard tourné vers la télévision où on expliquait comment installer des repousses de pelouse.

    - B’jour Mathias. Dit Sullyvanne.

    - Bonjour !

    - Le problème est encore et toujours Sullyvanne ! Dit Jean-Marc en désignant l’air.

                Il ignorait où est-ce qu’elle était exactement. Mais il savait qu’il recevrait un coup aussitôt qu’il dirait ou penserait quelque chose de mal à son égard. Il avait d’ailleurs l’impression d’entendre grogner dans son oreille.

    - Je t’ai déjà dit que je ne pourrais rien faire pour toi ! C’est à toi de t’accorder avec ton personnage. Répliqua Faustine.

    - Elle n’en fait qu’à sa tête !

    - Et alors ? N’est-ce pas une bonne façon d’écrire ? Il ne faut jamais se reposer sur ses lauriers, vous savez ? Une histoire peut toujours être améliorée.

    - C’est peut-être parce que vous n’avez pas le talent… Supposa Jean-Marc.

    - Quoi ?! S’écria Mathias.

                Au même moment, l’homme eut une violente baffe sur l’arrière du crâne. Il grogna en se frottant la zone douloureuse. Faustine eut un léger sourire.

                Jean-Marc se retint de faire la moue. Il remarqua un paquet de feuille posé sur un bureau. Il s’en approcha. C’était raturé, corrigé, annoté. Il se doutait de ce que c’était. Poussé par sa curiosité, il attrapa les premières feuilles et lu.

                Faustine se tendit alors en le voyant faire. Mais elle n’avait pas la force de lui dire de ne pas le faire. Elle était trop timide.

     

    « Prologue

                Lorsque le monde est né, les races furent créées en deux sexes précis : le féminin et le masculin. Quelques fois, la nature est un peu défectueuse et elle crée, par mégarde, les deux en un seul : l’hermaphrodisme.

                Quelques fois, la faute de la nature est plus grande encore. Ce n’est pas que le corps comporte deux sexes. C’est qu’il comporte celui qu’il ne faut pas. Il existe des cas peu grave mais d’autre qui le sont bien plus…

    Chapitre 1

                Une peau d’opaline, des yeux vert pommes pétillants et rieur, une longue chevelure d’un blond platine presque blanche, un corps élancé, des gestes charmeurs. Rien en ce corps ne semblait prouver la triste vérité. Ce n’était pas que cet être avait été doté d’une poitrine si horriblement menue qu’elle semblait inexistante, c’était que la poitrine n’existait pas.

                Ce n’était que lorsqu’on voyait ce corps en sous-vêtements, ou que l’on essayait de voir sous ses délicats jupon, que l’on se rendait compte de ce qu’il était vraiment. Pas le corps d’une femme avec quelque traits masculins qui n’étaient pas si disgracieux. Le corps d’un homme.

                S’il avait pu simplement cacher son sexe avec quelque vêtement un peu ample,  mais seyant, il aurait été ravi. Malheureusement, ses parents l’avaient affublés d’un nom horrible à son sens. Trop masculin. Il aurait été ravi de s’appeler Emmanuel, Dominique, Joël ou Frédérique. Le rêve aurait été de pouvoir s’appeler Camille ! Un nom masculin qui était devenu plus féminin qu’autre chose. (Symbole de la féminité) 

                Malheureusement…

                Il s’appelait Mathias.

    - Mathias ! interpella une voix féminine depuis l’étage inférieur. (Elle provenait de l’étage inférieur) »

                Jean-Marc posa la feuille, lançant un vague regard vers Faustine qui restait silencieuse. Elle avait mis ses mains dans son dos et elle triturait ses ongles d’un air nerveux. Elle estimait que le texte n’était pas encore prêt à être lu. Il y avait encore tant de correction à faire. Quelques fautes d’orthographe immonde, elle le savait.

                En plus, c’était tout de même un professeur de français qui lisait ce texte. Il ne pourrait qu’être critique. Elle savait qu’il le serait.

    - Quantième réécriture ?

    - Troisième réécriture, septième correction. On travail dessus depuis trois ans maintenant. Expliqua Faustine.

                L’homme eut un rire.

                Sullyvanne soupira puis lança :

    - Dis-moi Mathias, comment es-tu devenu semi-corporel ?

     

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  • Chapitre 10 : Ce qu’il y a à l’intérieur.

     

                Mathias tourna la tête vers Jean-Marc qui grimaçait. Il n’était pas sûr de vouloir voir Sullyvanne. Certes, il savait que son physique serait intéressant mais il n’ignorait pas que sa création serait imbuvable.

    - Tu comptes rester longtemps Jean-Marc Narine ? Questionna Faustine.

    - Narean ! Et pourquoi pas ?

    - Il s’impose. Remarqua Sullyvanne. Ah les hommes !

    - Trop ! Soupira Mathias.

                Jean-Marc lança un regard atterré au travesti. Celui-ci sursauta et passa ses doigts dans ses cheveux, un peu paniqué.

    - Mes rubans sont mal mis ?

    - Mais non, tu es parfaite, chérie. Lui dit Faustine depuis la cuisine.

    - Ouf !

                Le professeur de français prit place dans un fauteuil.

    - Aloooooooooooors ?! Lança Sullyvanne d’une voix toute guillerette.

    - Ah oui ! Et bien, j’ai eu un corps lorsqu’un lien s’est fait entre Faustine et moi ! Lorsque nous avons commencé à nous comprendre et à vivre ensemble. À vrai dire… j’ai eu un corps, immatériel, depuis le jour où elle a accepté de faire… ce corps-ci !

                Il se leva et tournoya sur lui, tout sourire. Sullyvanne rit.

    - Ça ne s’entend pas, mais j’applaudis !

    - Merciiiii !

    - Voilà une raison de plus pour ne pas écrire de suite. Trancha l’homme.

                Il sentit une douleur à l’arrière de son crâne, une fois encore, et grogna. Il lança un regard agacé vers la gauche où il devinait sa « fille ».

                Faustine revint dans la pièce. Elle posa devant Jean-Marc une sorte de gobelet remplit d’une étrange substance. Il plongea dedans sa fourchette pour voir qu’il ressortait de longues nouilles qui baignait dans un breuvage brun.

                Il se tourna vers sa collègue, sourcil froncé alors que les deux personnages de roman rigolaient.

    - Ce sont des nouilles instantanées, chéri. Ricana Mathias.

    - Probablement la meilleure chose au monde. Avança Faustine en plongeant ses baguettes dans son propre plat.

    - J’ai habitude de manger des plats plus… raffinés. Je cuisine moi-même.

    - Moi je n’ai pas le temps. Répondit la femme.

                Elle se mit en tailleur dans son fauteuil. Jean-Marc regarda vers la télévision. Cette émission ne lui plaisait pas du tout. D’ailleurs, à en voir l’expression de sa collègue, c’était pareil pour elle. Mais Mathias irradiait en fixant l’écran.

                Jean-Marc regarda les nouilles et il y goûta. Il eut une moue déçue lorsque la saveur explosa dans ses papilles. Ce n’était vraiment pas ce qui lui plaisait.

                Mathias se leva d’un bond et sautilla sur place, dans cet horrible bruit de talon, en désignant la télévision.

                Jean-Marc tourna la tête pour voir une tondeuse à gazon électrique dans des tons roses fuchsia. L’homme ne put qu’afficher une moue écœurée.

    - Faustiiiiiiiine ! On l’achète ?! Elle ne coûte que 365,99 € !!!

    - Je voudrais bien, chérie, mais tu oublies quelque chose ?

    - Ce serait stupide ? Marmonna Jean-Marc.

    - On n’a pas de jardin.

                Mathias se rassit dans le fauteuil en soupirant.

    - Je te tapote l’épaule. Informa Sullyvanne.

    - C’est gentil !! Jean-Marc, il faut que tu lui donnes un corps, la pauvre !

    - Mon texte est très bien !

    - Jean-Marc ? Intervint Faustine. Pourrais-je le lire ? Tu pourras lire le manuscrit complet de « On ne juge pas un livre sur sa couverture ».

    - Je pourrais donner mon avis ?

    - Bien sûr. Sourit la professeur de science.

    - Bien… nous échangerons nos manuscrits demain. Ne lésine pas sur les commentaires, toi non plus. Mais je doute que tu trouves grand-chose.

    - On verra bien. Sourit la femme.

     

                Le lendemain, Faustine donnait son cours de science. Plus précisément de biologie. Mathias était assis sur son bureau, occupé à caresser le petit cactus qui y était posé. Entre autre parce qu’il ne pouvait pas se blesser dessus, aussi par amour pour la plante.

    - Je répète la question… où se trouve l’hémoglobine ? Dit Faustine en souriant.

                Aucune main ne se dressa. La femme se passa la main sur le visage se retenant d’avoir l’air dépité. Pourtant, elle l’était.

    - Si je te donne la bonne réponse, je pourrais avoir ma tondeuse ?

                Faustine lança une petite moue désapprobatrice à Mathias. Celui-ci lui fit une tête de petit animal battu.

    - Alors ? Demanda la femme à ses élèves.

                La sonnerie retentit. Elle n’eut pas le temps de leur offrir la réponse qu’ils rangèrent leurs affaires et sortirent de la classe.

    - Faites les exercices de la page six ! Leur cria la professeur.

                Elle n’entendit aucune réponse. Elle soupira. Faustine récupéra son manuscrit sur son bureau puis elle sortit de la pièce. Elle regagna alors la salle des professeurs où elle trouva son collègue. Lui aussi avait son manuscrit sur lui.

                Il vint vers elle après avoir jeté un regard à ses autres collègues. Il était toujours aussi gêné de devoir discuter avec elle devant tout le monde. Il le voyait aux regards. Même les adultes étaient mauvais et mesquins, contrairement à ce qu’on croyait. Pourquoi s’intéresser à une femme qui ressemblait à une adolescente un peu trop gothique ?

                Jean-Marc posa son manuscrit sur la petite table réservée à la professeur de science.

    - Je vous informerais au plus tôt de ce que j’en ai pensé. Dit-il.

    - Merci. Je ferais de même. Je suis en train de corriger alors j’aurais peut-être un peu de retard.

    - Oui. Je comprends…

                Faustine sourit et elle s’installa à son bureau. Elle prit sa tasse de café. L’homme retourna à sa place, lui aussi. Il entendit la voix de Sullyvanne. Elle était toujours là. Il n’arrivait pas à se défaire d’elle. C’était une des raisons pour laquelle il ne voulait vraiment pas qu’elle devienne matérielle. Il savait à quel point ce serait pénible. Elle serait toujours dans son champ de vision, exubérante.

                Déjà qu’elle se glissait toujours dans sa salle de bain…

     

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  • Chapitre 11 : L’avis et la vérité.

     

                Jean-Marc était sous sa douche lorsqu’il ressentit l’impression d’être épié. Il se passa la main sur le visage avant de regarder les rideaux. Même sans ses lunettes, ils lui semblaient suffisamment opaques. Bien que…

    - Sullyvanne ! Vas-tu sortir de cette salle de bain ?

    - Mais je m’ennuiiiiie ! J’ai déjà lu vingt fois le Prologue de l’histoire de Mathias. J’ai déjà regardé toutes tes couvertures… y en a une qui est obscène et pas mon genre.

    - Regarde la télévision.

    - Elle est coupée !

    - Regarde par la fenêtre.

                Il entendit Sullyvanne soupirer. Il eut l’impression qu’elle s’éloignait. Il soupira à son tour, content qu’elle soit partie. Il termina sa toilette.

     

                Faustine venait de s’installer dans le divan. N’en ayant que faire de l’émission qui pouvait bien y avoir, elle avait mis un programme qui parlait des fleurs afin de calmer Mathias. Le travesti regarda le programme avant de se tourner vers sa créatrice. Celle-ci avait préparé une tasse de café et avait le manuscrit de Jean-Marc juste à côté.

    - Faustiiiiiiiiiine ?

    - Quoi ?

    - Je peux avoir une autre tenue ? Demanda Mathias.

    - Quel genre de dépravation tu veux encore me faire faire ? Nargua la femme.

    - Je veux juste une nuisette blanche et noire. Alleeez, sort ton clavier magique !

                La professeur attrapa son clavier déconnecté. La force de Mathias s’était insinué dedans à tel point qu’il agissait réellement sur lui. Il suffisait juste qu’elle écrive et ça s’appliquait au travesti. C’était ce qu’il avait fini par appeler le « clavier magique ». Elle aurait pu le faire sur un simple bloc-notes mais l’un et l’autre trouvait cela plus amusant ainsi.

                Elle commença alors à taper des mots. Les vêtements de Mathias changèrent dans une lumière un peu rosée. Il se leva et tourna sur lui-même, ravi de ses nouveaux vêtements. Vu comme elle était courte, Faustine se félicita de ne pas avoir oublié la culotte pour une fois.

    - Alors… prêt à lire ce manuscrit ? Demanda-t-elle.

    - Ouiii !

                Mathias vint s’asseoir en tailleur à côté d’elle. Il mit ses mains sur ses genoux puis attendit qu’on lui fasse la lecture.

     

                Jean-Marc sirota son thé au fruit rouge. Il renifla dédaigneusement pour la cinquième fois en moins de dix minutes.

    - Quoiiiii ?

    - Mathias est intéressé par un homme…

    - Mathias se prend pour une fille. C’est normal qu’il préfère les hommes… enfin « normal ». Faut pas que je disse ça, je suis mal placée pour parler de normalité et tout…

    - De quoi tu parles ?

                Sullyvanne dut se rapprocher de lui. Du moins, il en eut la sensation.

    - Je suis lesbienne…

    - Hein ?

    - J’aime les femmes… t’as un micro-cerveau ou quoi ?

    - Je n’ai jamais écrit ça ! S’insurgea Jean-Marc.

    - Non… mais tu l’as suffisamment sous-entendu puis… j’ai décidé de le devenir aussi. Je préfère ça.

    - Décidé… De quoi tu parles ?

    - J’aime pas les garçons. Je préfère les filles… je suis devenue lesbienne. Répondit-elle d’un air détaché.

    - Je… ne… m’attendais pas à ça…

    - Il faut que tu apprennes à lire entre les lignes.

    - Entre les lignes ? De ce que moi j’ai écrit ?

    - Tu n’as pas la main basse sur tout… je suis une partie de l’histoire. Je la guide autant que toi.

    - Tu la guide…

    - On écrit à quatre mains ! Je t’insulte des idées, des sentiments… Mathias fait la même chose avec Faustine. Discuter avec elle aurait dû t’apprendre à ce genre de chose.

    - Ça me semblait toujours aussi bizarre.

                Il y eut un grésillement dans l’air. Il fronça les sourcils et regarda par là. Pendant un instant, il eut l’impression de voir une silhouette de jeune femme. Il se redressa.

    - Sullyvanne ?

    - Quoi ?

    - Tu apparais ?

    - Si tu écoutes mes explications sans me critiquer ça peut faire un lien.

    - Alors je vais recommencer à te critiquer.

    - Tu es méchant, tu m’énerves ! Je boude !

    - Au moins je lirais tranquillement.

     

    1 semaine plus tard.

     

                Jean-Marc vint se mettre devant le bureau de sa collègue. Celle-ci terminait de corriger un devoir. Mathias était assis sur le bureau, comme bien souvent. Et comme chaque jour, il avait une tenue différente. Cette fois, une robe à paillette rouge, fendue sur le côté et des spartiates hautes. Les rubans de sa chevelure y étaient accordés.

    - J’ai fini…

    - Moi aussi. Répondit Faustine en souriant.

    - Honneur aux femmes.

    - J’ai trouvé le texte et le style bon… mais ça manque d’émotion et Sullyvanne a raison. Navré de te l’apprendre.

    - Hahaha ! Claironna la demoiselle.

                Mathias applaudit en souriant. Faustine sortit une liste des soucis qu’elle avait notés. Ça faisait une quinzaine de pages, au bas mot. Jean-Marc pinça les lèvres puis lui prit le paquet.

    - Merci. Ton texte… est bon. Il y a de bonnes idées, une bonne approche… Mais un peu trop d’homosexualité !

    - Euuuuh ? Dirent Mathias et Faustine d’une même voix.

    - Un baiser. Des allusions. C’est de trop !

    - Faites pas attention. Répondit Sullyvanne. Il crie toujours que je suis hétérosexuel et qu’il me le prouvera !

    - Peut-être… toujours est-il que… je veux bien voir s’il est possible de faire une suite. Marmonna-t-il, de mauvaise foi.

                Et pourtant, un éclair frappa la pièce. Il tourna la tête pour voir une silhouette apparaître.

     

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